Budget 2005 de la recherche : les manipulations du Ministre François Fillon
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, le 30 novembre 2004Mauvais signe, le ministre François Fillon a repris à son compte les manipulations budgétaires de feue Claudie Haigneré. Au moment où le gouvernement élabore la LOP, le "problème des chiffres" pour aride qu’il soit, est déterminant. Certes, c’est une grande victoire du mouvement des scientifiques et de SLR d’avoir arrêté la chute vertigineuse des CP depuis deux ans et d’avoir même obtenu un rattrapage significatif. Mais il est montré dans ce texte que la progression des moyens financiers de 2005 compense au mieux les pertes 2003 et 2004, qu’au travers de "l’Agence" le pilotage par le ministère va s’accroître, et que la situation de l’emploi scientifique est plus sombre que jamais.
1. La progression des CP 2005 compense au mieux les pertes 2003 et 2004
Le ministre embrouille volontairement le problème
. Cette nouvelle manipulation des chiffres est d’autant plus grave qu’elle a été effectuée devant la représentation nationale (http://www.recherche.gouv.fr/discou...) :
"Je souhaiterais d’ailleurs saisir cette occasion pour mettre les choses au point sur ce qu’on peut lire ou entendre ici ou là sur le budget qui ne compenserait qu’à peine les baisses et les gels de crédits de 2003 et 2004. Ceci est tout à fait faux pour les raisons suivantes : - tous les crédits qui avaient été gelés (235 M€) ont été intégralement versés dans les budgets 2004 des EPST ; - si les baisses de CP représentaient 273 M€, les retards de paiement eux ne s’élevaient qu’à 162 M€ car 111 M€ d’AP avaient été annulés ; or, on ne peut par définition pas couvrir des AP qui n’existent pas. Au total, le rattrapage ne porte que sur 162 M€. Si on le compare aux 700 M€ de progression des crédits qui iront dans les laboratoires grâce au budget 2005, c’est plus de quatre fois plus. Il est donc complètement faux de dire que cette hausse « compense à peine les baisses et gels de crédits des années 2003 et 2004". C’est embrouiller volontairement le problème. La forte baisse des crédits de paiement (CP) de la recherche publique en 2003 et 2004 n’a à faire ni avec le gel des crédits 2002 (qui ont enfin été payés), ni avec le problème des AP qui effectivement ont été rayées d’un trait de plume.
Oui, les CP de la recherche publique a perdu 650 millions d’euros (M€) en 2003 et 2004
Par rapport à la Loi de finances initiale de 2002, le tableau ci-joint prend d’abord en compte :
les baisses de CP dans les LFI 2003 et 2004, qui se calculent facilement en additionnant (CP 2002 - CP 2003) et CP 2002 - CP 2004), vérifiables dans les "bleus" ou "jaunes" du budget ;
les annulations de crédits du 30/12/2002, 14/03/2003 et du 03/10/2003 parues au JO.
A l’exception des annulations ultérieures d’octobre 2003, ces chiffres ont été publiés dans Le Monde ; de plus, G. Berger, alors directrice du CNRS, avait confirmé dans ce journal (mars/avril 2003) que le CNRS avait bien perdu 30 % de ses CP, ce qui lui avait valu d’être limogée peu de temps après.
A ce total de 468,6 de M€ en euros courants, s’additionne l’inflation soit 2% sur les crédits 2003 (donc 47,2 M€) et 4 % entre 2002 et 2004 (donc 97,3 M€) ainsi que 4 % sur les 300 M€ de CP 2002 payés avec deux ans de retard (12M€) soit 156,5 M€.
A ce total (468,6 + 156,5 = 635,1 M€) de crédits qui manquent pour maintenir en 2003 et 2004, le niveau des CP de la LFI 2002, s’ajoute une série de sommes moindres ; par exemple, la transformation de 15 M€ de CP en salaires, car il n’y avait pas assez d’argent pour payer les salaires au CNRS l’an dernier. Au minimum, 650 M€ de plus étaient donc nécessaires en 2003 et 2004.
En étant très optimiste, il y aura 650 M€ de plus en 2005 pour la recherche publique
Il y a bien 350 M€ en plus sur les CP en 2005, ce qui entraîne des progressions d’autant plus spectaculaires (+ 36 % au CNRS) que la baisse avait été forte en 2003 et 2004. Il y a aussi 350 M€ de plus annoncés sur "l’Agence". Même dans l’hypothèse où tout l’argent de l’Agence irait aux laboratoires publics, il n’y a pas une progression de 350 M€. En effet, le FNS et FRT (CP 2004 = 232,2 M€) ont des contrats à honorer d’au moins 250 M€, alors qu’ils ne sont budgétisés que pour 200, le reste sera payé sur l’Agence, qui disposera donc de 300 M€ et non de 350. Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, dans le meilleur des cas, cette croissance de 650 M€ (350 + 300) ne fera que compenser les pertes subies en 2003 et 2004. En d’autres termes, pour atteindre 3 % du PIB en 2010, un investissement de l’ordre de 5 milliards était à faire entre 2002 et 2005 pour la seule recherche publique. Nous en sommes à zéro, c’est-à-dire que nous en sommes toujours au niveau 2002.
2- Agence, "fondations" et pilotage par le ministère
Ce calcul n’est pas formel, les organismes ont tenté de maintenir les moyens des formations pendant ces deux dernières années, mais en sacrifiant l’équipement et les constructions, retard qu’il faut rattraper aujourd’hui. Le CNRS, avec + 36 % en CP, a annoncé que les crédits des formations n’augmenteront que très peu. Le ministre généralise : "L’accroissement des moyens de paiement des EPST, + 32 % (...) leur permettra de couvrir tous leurs engagements passés (contrats de plan Etat-région), de faire face à leurs investissements lourds (...) et d’accroître les moyens récurrents des laboratoires (...) d’au moins 5 % ". La moitié du rattrapage des crédits perdus en 2003-2004 va donc va s’effectuer par l’Agence qui devient un organisme et une strate de plus. Le pilotage par projet sur thèmes prioritaires va s’accentuer et le financement sur contrat triplera. Il s’élèvera à 600 M€, d’après le ministre ; à savoir 350 M€ de l’Agence, 200 M€ budgétisés sur le FNS et le FRT, et sans doute 50 M€ de "report" des "fondations" crées en 2004.
Ainsi, les organismes et les universités vont fournir le gîte et le couvert : locaux, fluides, appareillages, base du fonctionnement. Pour se développer, les laboratoires devront faire appel à l’Agence (qui serait, en l’état actuel, un GIP dans lequel le gouvernement aurait 52 % des parts), au FNS et FRT, et aux fondations :
"La mission de l’Agence sera de financer, après sélection, les meilleurs projets de recherche dans les thématiques prioritaires. (...) Le mode de fonctionnement de cette Agence sera double. D’abord, elle pourra financer elle même des projets de recherche. Elle le fera par exemple en lançant les actions nouvelles en 2005 du FNS et du FRT. Elle pourra faire des dotations en capital à des fondations de recherche reconnues d’utilité publique. Mais, elle pourra également déléguer l’exécution de programme de recherche à certains de nos établissements de recherche dans leur fonction d’Agence de moyens."
Pour ne pas complexifier le problème, il n’a pas été parlé jusqu’ici des 150 M€ affectés en 2004 aux "fondations Raffarin", financement provenant des privatisations. Toutefois nul ne sait si cet argent ira réellement à la recherche publique, vu les très rares exemples de ces fondations mentionnés par le ministère. De plus, pratiquement aucun crédit supplémentaire n’a été versé aux laboratoires à un mois de la clôture de l’exercice. A l’évidence, seuls 50 M€ sont "reportés" : les 100 autres se sont-ils volatilisés ?
3- La catastrophe de l’emploi scientifique En France comme en Europe, le nombre des étudiants dans les disciplines de base baisse, plus encore dans les doctorats scientifiques. C’est un signal très fort qu’il fallait donner aux étudiants pour qu’ils choisissent la filière du doctorat : rendre attractif celui-ci et les carrières, reconnaître la thèse dans les statuts publics et les conventions collectives, planifier et afficher un nombre significatif de débouchés à terme pour qu’un étudiant brillant soit certain de trouver un emploi passionnant à l’issue du doctorat.
Or pas le moindre geste positif n’a été fait dans le budget 2005 sur l’emploi et les carrières. Pour masquer la réalité, le ministre joue avec les mots. Il additionne les 1000 emplois dans l’enseignement supérieur arrachés en 2004 et les misérables 150 postes de MC créés en 2005, pour clamer que "1000 emplois sont ouverts". Il annonce triomphalement que "4000 nouveaux allocataires de recherche seront accueillis", alors que cela ne correspond qu’aux 4000 fins de contrats annuelles. Pas plus d’amélioration du montant de l’allocation. Aucun poste nouveau de chercheur ou d’ITA n’est créé, mais le ministre décrète que "l’accroissement des départs en retraite (...) permettra d’accroître significativement les campagnes de recrutement". C’est faux et il le sait : du fait de la loi Fillon sur les retraites, les personnels vont reculer leur âge départ et le nombre de recrutements va baisser fortement dans les universités et organismes (de l’ordre de 2 à 4000 en quatre ans).
On continue donc d’envoyer dans le mur, de vouer au chômage ou à l’expatriation, les jeunes docteurs dont nous disposons encore. C’est un signal terriblement négatif qu’on donne aux étudiants. Dans ce contexte de baisse du recrutement, le gouvernement refait le coup "des 550 CDD" : le ministre a déclaré qu’il allait créer des CDD de cinq ans, montrant qu’en lieu et place d’emplois budgétaires, il veut développer la précarité.Il est encore temps de créer dans le budget 2005, 4500 emplois d’enseignants-chercheurs, d’ITA, d’IATOS et de chercheurs, demandés par les Etats généraux de la recherche. Le coût est inférieur à 200 M€, soit quinze fois moins que la baisse de la TVA sur la restauration, engagement que Sarkozy vient de confirmer pour janvier 2006. Relancer l’emploi scientifique en 2005 est une condition nécessaire pour réamorcer ce flux fragile d’étudiants brillants qui s’orientent vers le doctorat et qui devrait être la première étape d’un plan pluriannuel attractif de l’emploi scientifique. Il en va de l’avenir du pays. Tout autre attitude serait suicidaire.
Henri Audier, DR, membre du CA du CNRS
Le fichier associé contient le texte plus un tableau récapitulitif des annulations de crédits, retards, etc.