Pasteur brûle-t-il ?
Les chercheurs de l’Institut Pasteur, mobilisés dans une action sans précédent, bloquent la dérive autoritaire de leur direction
le 8 décembre 2004
Dans une déclaration récente au journal Le Monde, Philippe Kourilsky, directeur de l’Institut Pasteur, avouait non sans cynisme avoir « allumé quelques incendies ». Le feu est en train de gagner, et menace désormais la Direction et le Conseil d’administration de l’Institut. L’institut Pasteur vit des heures noires. Ce remarquable campus de recherche, connu et cité en exemple dans le monde entier, et cher depuis toujours au coeur des français qui l’ont créé à l’origine à travers une souscription publique,vit depuis des années et particulièrement depuis un an des temps difficiles . Ceci n’est pas dû à un défaut d’excellence scientifique, bien au contraire. Ce n’est pas non plus des problèmes financiers graves qui l’assaillent. C’est par contre dans sa richesse fondamentale, la motivation de ses chercheurs, que l’Institut Pasteur est attaqué.
Cette structure privée, à but non lucratif, salarie de nombreux personnels propres et accueille aussi des personnels de recherche fonctionnaires mis à disposition par leur organisme public d’origine. Ces chercheurs français et étrangers sont exceptionnellement motivés, du fait des missions exaltantes confiées à cet institut par son fondateur, Louis Pasteur, dans les domaines de la recherche et de l’enseignement, particulièrement appliqués à la lutte contre les maladies infectieuses . Malgré son statut juridique de fondation privée, l’Institut a toujours mené une recherche de type académique et publique.
Le malheur veut que cette communauté de scientifiques est actuellement harcelée par une bureaucratie envahissante et incompétente, et des techniques de gestion des personnels indignes et contre-productives . Désinformation, manipulation, intimidation, punitions administratives, fabrication de fautes professionnelles, mises à la retraite abusives, menaces de délocalisation d’équipes, tout le répertoire des pressions managériales qui ont servi aux directions des ressources humaines de beaucoup d’entreprises privées pour déstabiliser les personnels et pour mieux les contrôler est utilisé . L’enjeu est ici de briser les résistances d’une population de chercheurs motivés par une recherche innovante, et donc libre de ses choix stratégiques propres.
A Pasteur, les protestations de plus en plus nombreuses n’aboutissent qu’à un raidissement de la direction de l’Institut . Cette dérive autoritaire aurait dû normalement être contrôlée par le Conseil d’Administration de l’Institut . Il n’en est rien. Michel Bon, le nouveau président de ce Conseil, qui s’était précédemment illustré par un désastre financier à France Télécom, n’est pas familier du monde des institutions de recherche et gère ce grand campus comme s’il s’agissait d’une entreprise quelconque. Le conseil d’administration de l’Institut soumet une fois par an son rapport d’activité administratif et financier à une « Assemblée des Cents », faite d’une centaine de membres élus à l’intérieur comme à l’extérieur de Pasteur. Cette année, fait sans précédent dans l’histoire de l’Institut, l’Assemblée a refusé d’approuver le rapport d’activité du Conseil d’Administration. Contrairement à ce que la simple dignité aurait dû lui dicter, le président du Conseil d’Administration n’a pas démissionné, laissant la situation pourrir malgré les protestations des pasteuriens. Faute d’être entendue, la communauté pasteurienne gronde de plus en plus haut son mécontentement. Le conflit persiste et s’étend. Le 29 novembre, des centaines de chercheurs ont envahi le bâtiment de la direction, et le conseil des chefs de département a obtenu l’arrêt des processus de délocalisation engagés. Le changement du bureau du Conseil d’Administration et de son président est demandé.
Grâce au mouvement Sauvons-la-Recherche, la France a re-découvert cette année l’importance pour une nation d’investir dans sa recherche et ses chercheurs. L’Institut Pasteur est un fleuron de la recherche française, mais aussi un « laboratoire d’essai » pour les réformes actuellement engagées pour dynamiser la recherche dans notre pays. Il est donc important que cet institut phare retrouve sa sérénité pour recouvrer son efficacité, et qu’il offre de nouveau à la France l’exemple d’un Pôle de Recherche et d’Enseignement où il fait bon chercher, découvrir et transmettre son savoir aux jeunes générations. Pasteur brûle-t-il ? Le risque existe, en effet, mais il suffira de faire cesser les erreurs de gouvernance actuelles pour retrouver le chemin de la réussite et l’ esprit pasteurien de toujours. L’exemple est là : une communauté de chercheurs déterminée peut reprendre son destin en main.
Louis P.
On s’étonnera peut-être du fait que ce texte ne soit signé que d’un pseudonyme, comme on a pu s’étonner que tous les pasteuriens interrogés par une journaliste du Journal du Dimanche (numéro du 5 décembre) aient répondu en demandant l’anonymat. Cela constitue une illustration supplémentaire des pratiques d’une direction capable de s’emparer de n’importe quel prétexte pour accuser de faute professionnelle.