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Du clair-obscur dans l’innovation

par Yan de Kerorguen, journaliste au service Expertises de « La Tribune »

le 6 janvier 2005

Parler d’innovation revient souvent à passer « d’une insensible dégradation du clair à l’obscur », comme disait André Gide. D’un côté, l’innovation est brandie comme le radieux flambeau de la croissance. La mise au point de nouveaux produits et services, suscitant de nouvelles demandes, de nouveaux marchés et par conséquent des emplois. Sans oublier les résultats en Bourse des compagnies qui investissent dans la R&D. De l’autre côté, l’innovation est négligée par les décideurs dès qu’il s’agit de passer aux actes. Et là, nous rentrons dans la grisaille. Surtout en France ! Si l’on en croit l’Observatoire des sciences et des techniques, les contrats passés par les entreprises françaises aux laboratoires sont en diminution constante. Les budgets de R&D dans les grandes entreprises stagnent.

Mais la faiblesse principale vient du fait que des secteurs entiers comme les biotechnologies ou la microélectronique sont portés manquants. Si la recherche industrielle française se situe bien en deçà de ce que l’on pourrait attendre d’une grande nation, cela n’autorise pas l’Etat à faire porter le chapeau d’une R&D défaillante aux seuls industriels. Sa propre responsabilité dans la façon dont est menée la politique de recherche, privée et publique, est largement en cause. Ainsi en est-il de l’obscurité sur les chiffres qu’entretient le gouvernement français à propos des enjeux de recherche européens.

Manque de clarté. Rappelons que le sommet de Lisbonne de mars 2000, réunissant tous les membres de l’Union européenne, s’est fixé l’ambition de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». Pour atteindre cet objectif, les pays membres doivent ainsi accroître, à l’horizon 2010, leur ratio de recherche à 3 % du PIB, afin d’être comparable à l’investissement en R&D des Etats-Unis et du Japon. Seulement voilà... Win Kok, l’ex-Premier ministre néerlandais qui vient de fournir à Bruxelles, le 5 novembre dernier, une évaluation à mi-parcours du processus de Lisbonne, n’a pas caché que l’effort serait difficile à accomplir. Dans ce contexte, la France se distingue par un singulier manque de clarté sur ses engagements.

1. L’Etat français s’est flatté de respecter la directive européenne recommandant de porter à 3 % du PIB l’effort de recherche en 2010, avec comme répartition indicative : 1 % pour le public et 2 % pour le privé. En faisant état d’un financement public civil de 0,86 % du PIB, le ministère délégué à la Recherche s’enorgueillit un peu vite de se trouver au premier rang mondial du financement de la recherche publique devant l’Allemagne (0,81 %) et loin devant le Japon ou les Etats-Unis. Il y a cependant un hic. En effet, au sens européen du terme, ce classement et ces chiffres ne sont pas exacts. D’abord, la Finlande et la Suède sont devant la France avec 0,98 % et 0,95 % d’investissement public. Ensuite, l’effort public est plus fort aux Etats-Unis qu’en France, grâce aux importants dégrèvements d’impôts liés aux donations de recherche. La France est en fait le seul pays avec la Grande-Bretagne à consacrer 25 % de ses crédits publics à la recherche militaire. De plus, à la différence de tous les autres pays, elle finance également le nucléaire à travers le secteur public. Du coup, si l’on veut être tout à fait logique et honnête, et donc faire des comparaisons, à périmètre comparable, au niveau européen (hors militaire, nucléaire et spatial, soit 0,2 % du PIB), il faudrait transférer ces dépenses dans le domaine privé. C’est donc 0,6 % du PIB que la France consacre à la recherche publique et non 0,86 %.

2. Jean-Pierre Raffarin s’est engagé à augmenter de 1 milliard d’euros chaque année le budget global de la recherche publique jusqu’en 2007, soit un total de 3 milliards. Or, si on veut tenir les engagements des 3 % du PIB pour 2010, les calculs les plus simples montrent que ce n’est pas 1 milliard « sec » en 2005, en 2006 et en 2007 qu’il faut injecter (d’ailleurs pourquoi jusqu’en 2007 ?), mais n + 1 milliards chaque année, soit 6 milliards en 2007 et, par voie de conséquence, il faudrait donc plus de 15 milliards d’euros pour tenir l’enjeu des 3 % en 2010. On est loin du compte.

3. Quand bien même on transigerait sur ce 1 milliard, avant même d’exister il est amputé d’un tiers. Les deux tiers des financements sont en effet occupés par le budget civil de recherche (BCRD) et par des fonds extrabudgétaires. Le dernier tiers, lui, se résume à du crédit d’impôt recherche et des exonérations fiscales, donc du financement privé. En toute logique, il faut le retrancher. Reste 700 millions d’euros pour la recherche publique et non 1 milliard.

4. Or, si l’on additionne les annulations de crédits de paiements parues au Journal officiel le 30 décembre 2002 (94 millions), le 14 mars 2003 (99,8 millions) et le 3 octobre 2003 (43,1 millions), puis les baisses de crédit de paiements en 2003 et 2004 (231 millions) comparées au niveau de ces crédits en 2002 (vérifiables dans les bleus ou jaunes du budget), il en résulte une perte de 468,7 millions d’euros en euros courants. En prenant en compte l’inflation, on arrive à une perte de 618 millions d’euros (hors gel des crédits 2002, qui ont été remboursés depuis) par rapport à la loi de finances 2002. On peut en déduire que les 700 millions d’euros du budget 2005 compensent tout juste les pertes des années précédentes. Aussi la grandeur des ambitions françaises pour la recherche doit-elle être nettement relativisée.