CR de l’entrevue avec Bernard Larrouturou, le 18 février 2005
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, le 23 février 2005Le 18 février, le Directeur Général du CNRS , Bernard Larrouturou (BL) a longuement reçu une délégation de SLR composée de Henri Audier, Laurent Mémery, Alain Trautmann et Francis-André Wollman. Nous avons abordé deux séries de questions, relatives à la préparation de la LOP d’une part, et de l’autre à la politique actuelle du CNRS.
Sur l’ANR.
BL nous a indiqué que le CS du CNRS et les membres du conseil d’administration, au cours d’une réunion informelle, avaient manifesté de vives inquiétudes sur la façon dont l’ANR était mise en place. Ces réserves étaient exprimées par une très grande majorité des membres de ces instances, y compris les personnalités extérieures (et notamment industrielles) au CNRS. Il ne s’agissait pas d’une réserve concernant le principe de l’agence, mais concernant les équilibres, ou plus exactement des déséquilibres qui sont prévus. Les deux instances du CNRS ont posé la question : qui a préparé la programmation de l’ANR, et comment ?
L’adoption de la programmation de l’ANR par son CA est prévue pour le 8 mars. Nous rappelons certaines des critiques fondamentales sur la programmation existante, qui est beaucoup trop détaillée. Avec des secteurs totalement délaissés et d’autres excessivement "arrosés", on provoquera à la fois des étranglements dramatiques et des effets d’aubaine injustifiés pouvant aller jusqu’à l’impossibilité de dépenser tout l’argent prévu dans certains créneaux. L’économie ainsi réalisée ne déplairait sans doute pas à Bercy. De ce point de vue, il n’est pas impossible que certaines aberrations de programmation aient précisément ces économies comme objectif. BL n’a pas exprimé de désaccord sur cette analyse.
En réponse à une de nos questions, BL indique qu’il est très inquiet du projet de programmation inscrit dans le pré-projet de LOP. Confier à l’ANR la totalité des augmentations de crédits (hors mesures concernant l’emploi), sans aucune augmentation pour les organismes, peut aboutir à la mort des organismes. La situation est la même pour la recherche universitaire.
[Commentaire : sur la question de l’ANR, la position du DG est en phase avec celle des personnels, ce qui est une bonne chose. Mais n’oublions pas que dans le CA de l’ANR, il représente une voix sur 16.]
Sur l’emploi.
Dans sa vision actuelle de la programmation de l’emploi scientifique, BL distingue soigneusement l’emploi dans les universités et dans les organismes, qui ne sont d’ailleurs pas tous dans la même situation. Pour lui, le nombre de chercheurs statutaires doit rester à son niveau actuel au CNRS ; ce qu’il faut augmenter c’est le nombre d’ITA et de postes d’accueil, et surtout les crédits de fonctionnement et d’équipement. Ces derniers peuvent correspondre à des postes statutaires (par ex pour le détachement d’enseignants-chercheurs), ou à des CDDs pour attirer temporairement des chercheurs étrangers seniors, avec des salaires élevés. BL souligne que ce type de CDD ne doit pas être confondu avec les CDDs pour post-docs (avec, à la clef, des recrutements statutaires différés jusque vers 40 ans). Contrairement à Christian Bréchot, il n’est pas du tout favorable à l’allongement des CDDs pour post-docs.
Pour BL, l’essentiel des créations de postes dans la période à venir doit concerner les universités, à la fois pour les enseignant-chercheurs et pour les IATOS.
[Commentaire : nous constatons avec satisfaction que sur la question de l’emploi, sans être absolument identique, la position actuelle du DG est très proche de celle exprimée dans les EGR.]
Sur l’évaluation
FAW exprime sa réprobation des fortes critiques sur la compétence scientifique du Comité National qui sont prêtées à BL dans le rapport sur la recherche de la commission des affaires culturelles et sociales du parlement. BL exprime son étonnement que de tels propos aient pu lui être imputés. BL espère que la LOP mettra en place une structure unique pour évaluer toutes les équipes de recherche (en tous cas Universités et CNRS, et sans doute aussi INSERM). Par contre, il considère que pour l’évaluation des personnels (essentiellement pour le recrutement et les promotions), il peut y avoir d’autres structures d’évaluation. Il exprime son opposition par rapport à la procédure de qualification, qui constitue un obstacle au recrutement de chercheurs étrangers, question à laquelle il tient beaucoup.
FAW défend alors l’idée que, lorsque l’on se préoccupe de contractualisation, il y a une logique à évaluer simultanément l’activité de recherche des personnes et des équipes (économie de travail, possibilité d’effectuer une analyse plus en profondeur de l’activité des équipes). Ce travail est distinct de l’évaluation des promotions et des recrutements.
Cette position ne pose pas de problème à BL.
Nous passons ensuite à la politique actuelle du CNRS.
Unités mixtes et unités propres du CNRS.
AT se fait l’écho de grandes inquiétudes, par rapport au fait que le CNRS apparaît en train de se replier sur lui-même, de favoriser le développement d’unités propres d’où INSERM et universités seraient exclues ; ou bien de s’opposer au recrutement de personnels CNRS dans des unités INSERM. Ce type de politique est en totale opposition avec les demandes des EG souhaitant une augmentation de la concertation entre organismes, et entre organismes et universités. Elle ne permet pas de recruter les meilleurs (si des commissions CNRS en venaient à ne pas recruter un très bon candidat souhaitant aller dans une unité INSERM). Involontairement, elle fait le jeu de ceux qui poussent à sortir les SDV du CNRS et à créer un grand organisme des sciences de la vie qui serait en fait un "super-INSERM".
BL répond qu’il est favorable à ce que la majorité des unités du CNRS soient des unités mixtes avec les établissements d’enseignement supérieur. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait quelques unités propres, en particulier lorsqu’elles correspondent à des disciplines peu enseignées. Il est favorable à un partenariat renforcé avec les universités, ce qui ne veut pas dire que toutes les unités doivent être mixtes.
Il soulève le problème du pilotage des unités ayant plusieurs tutelles. Dans ce cas, il souhaite qu’il y ait un seul pilote, voire deux ; dans certains cas ce pourrait être l’université. BL est conscient que ce mot de pilotage est très peu populaire dans la communauté scientifique. Il réaffirme qu’avoir une politique scientifique signifie qq chose d’utile et nécessaire.
Sur les relations avec l’INSERM, BL rappelle qu’actuellement 1/6 des chercheurs SDV CNRS sont dans des unités INSERM, qu’en effet il ne souhaite pas que ce % augmente encore, mais qu’il est prêt à assouplir sa position. Selon lui, il n’y a pas de possibilité de pilotage (de politique scientifique) si on mélange tout, entre INSERM et SDV.
[Commentaire : nous prenons acte du fait que le DG est prêt à assouplir sa position. Mais cette position nous paraît encore trop centrée sur l’avenir du CNRS en soi, quand c’est l’avenir de l’ensemble du système de recherche et d’enseignement supérieur qui nous préoccupe]
HEA fait observer qu’il convient d’avoir une politique nationale de recherche, notamment dans le domaine de l’élaboration des connaissances. Une politique nationale ne peut se faire université par université. Si les organismes n’assurent pas ce dernier rôle, et tout particulièrement le CNRS, ce n’est sûrement pas l’ANR qui le fera. La crainte actuelle des gens c’est, qu’au nom de "sa stratégie", le CNRS abandonne des secteurs entiers aux universités, alors que celles-ci n’ont ni les moyens financiers, ni souvent les modes d’évaluation ou les structures pour les reprendre. BL comprend la nécessité que le CNRS ne se désengage pas en termes de moyens mais il considère que c’est avec de tels propos (« le CNRS doit faire la politique nationale pour les universités ») qu’on empêche les universités d’avoir une politique. HEA rappelle que les EGR ont proposé un partenariat plus équilibré avec les universités. Cela suppose qu’on donne plus de responsabilités aux universités dans la gestion de leur budget et donc leur politique scientifique, au fur et à mesure qu’elles se donnent les moyens structuraux : évaluation de tous les laboratoires par une même instance nationale, changement de la composition et du fonctionnement des conseils et des commissions de spécialistes, etc. BL est d’accord avec cette position.
Regroupements administratifs
FAW critique sévèrement la politique de regroupement forcé des labos de chimie à Paris-centre comme de biologie à Strasbourg, d’autant plus que dans le cas de Strasbourg, un travail complet de contractualisation venait juste d’être achevé.
BL reconnaît qu’il y a eu des erreurs de faites ("on s’est mis dans un mauvais cas de figure"). Il va s’exprimer prochainement à ce sujet, et reconnaît qu’il faut se donner du temps et ne pas aller trop vite.
La question lui est reposée : en quoi les TGU sont-elles souhaitables ?
BL considère que les laboratoires sont trop souvent émiettés, parfois trop petits, ce qui ne facilite pas la mutualisation des équipements et présente un risque de repliement sur soi-même, de cloisonnement scientifique . Il ne considère pas qu’il y aurait une taille de labo optimale unique. BL reconnaît que l’évaluation scientifique de structures de grande taille n’est pas simple. Nous soulignons le fait qu’il risque d’être difficile (sauf exception) d’obtenir des meilleurs scientifiques qu’ils acceptent de piloter ce type de structure alors qu’ils acceptent d’animer les formations ayant la taille d’un laboratoire.
Directions inter-régionales (DIR) et réforme du CNRS.
LM demande à quoi riment les DIR ?
BL souligne l’importance de la présence du CNRS en régions, et la nécessité de bien organiser le lien entre les régions et la direction nationale. Il va s’exprimer bientôt sur cette question, en particulier sur les responsabilités respectives des DIR et des Départements, une question sur laquelle sa position a évolué ces derniers mois (commentaire : dans un sens qui répond à une partie de l’inquiétude qui était apparue dès la diffusion de la réforme).
Il rencontre maintenant les délégués régionaux une fois par mois (beaucoup plus que ses prédécesseurs).
A ceux qui comprennent mal la raison d’être de ces DIR, il répond que ce peut être vu comme l’équivalent (mais en plus clair) de l’existence de 5 chargés de mission, avec des compétences scientifiques et non pas principalement administratives, chargés de coordonner l’activité des délégués régionaux, et membres de l’équipe de direction du CNRS.
BL souhaite que la réforme du CNRS, en chantier depuis maintenant un an, se fasse sans tarder et soit proposée bientôt aux instances du CNRS. La raison ? On ne peut pas en débattre indéfiniment, ou sinon cette réforme ne se fera tout simplement pas. En outre, cette réforme, strictement interne au CNRS, n’a pas de liens directs avec la loi en gestation et doit pouvoir se dérouler sur un tempo qui ne peut dépendre de considérations politiques et législatives. De plus, les personnels au siège sont inquiets et il faut éviter de prolonger cette période d’incertitude. Le DG a souligné que la croissance rapide des effectifs du siège ces dernières années avait été importante, et que la réforme s’accompagnera d’un redéploiement d’une partie de ces effectifs.
Commentaire général : Cet entretien a permis de mettre en évidence des accords sur des points importants, entre SLR et le DG du CNRS. Des points de désaccord subsistent, mais nous voulons souligner la franchise et la qualité du dialogue qui a eu lieu. BL a indéniablement une vision de ce qu’il souhaite pour le CNRS. Cette vision nous parait toutefois trop managériale, ne prenant pas assez en compte la dynamique de la recherche qui vient des laboratoires et qui est plus proche des souhaits et initiatives de la base. Mais par ailleurs, sur plusieurs points, BL a manifesté qu’il était prêt à prendre en compte des arguments qui lui sont opposés.