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Propositions pour un renforcement graduel d’une autonomie responsable des Universités dans leur politique de recherche

Par buffenoir, le 24 février 2005

Dans son état actuel, le projet de Loi d’Orientation et de Programmation de la Recherche et de l’Innovation (LOPRI) du gouvernement constitue une grave menace pour l’avenir de la recherche publique des universités et des organismes, et par là-même pour l’élaboration et la transmission des connaissances. Il est mauvais, non seulement sur le plan des propositions budgétaires, mais, et c’est peut-être pire, aussi sur le plan des réformes. En particulier, l’essor du système universitaire de recherche français est une des clés de la réforme à venir, pourtant un tel essor ne pourra se produire sans que l’effort fourni par la puissance publique ne s’accompagne de réformes de fond des modes de gouvernance et d’évaluation au sein des universités. Or les mises au point récentes du Ministre de la Recherche, sur la LOPRI en préparation, concernant l’éventualité d’accorder une autonomie accrue aux universités sans préciser les modalités d’une telle évolution n’est pas sans alarmer la communauté scientifique. Le rapport des Etats Généraux de la Recherche (EGR) a fourni des propositions pour une réforme globale du système de recherche. Ce texte a recu le soutien de l’essentiel des personnels de la recherche, qu’ils viennent de l’université ou des organismes. Alors qu’il est nécessaire pour les efforts de tous de converger vers un même but, il est bon de rappeler certains de ces principes, relatifs au système de recherche universitaire.

_*Principe 1 : Recherche et Enseignement supérieur ne sauraient être séparés, la création d’un grand ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de plein exercice est donc indispensable. Un Haut Conseil de la Science formé d’une majorité de membres élus ou nommés exclusivement en fonction de leur compétence scientifique doit être responsable de l’orientation des grands choix scientifiques nationaux. Un Comité d’Evaluation des Opérateurs de Recherche (CEOR), unique, est chargé de l’évaluation régulière de la politique de recherche de TOUS les opérateurs de recherche. La qualite des recrutements, et en particulier la proportion de recrutements extérieurs, est un critère objecif d’évaluation retenu par le CEOR.

_* Principe 2 : L’existence des organismes, en tant qu’opérateurs de recherche, est, dans la période couverte par la LOPRI, la condition indispensable permettant d’assurer l’ indépendance des arbitrages et des évaluations nécessaires à une politique de recherche nationale.

_* Principe 3 : Une université doit pouvoir mener une politique de recherche dès lors que ses pratiques de décision et d’évaluation internes auront été accréditées par le CEOR et que des bilans réguliers de ceux-ci seront réalisés. Il faut donc, sans attendre, ainsi que demandé par les Etats Généraux, adapter la gouvernance des universités pour replacer la recherche au coeur des préoccupations des conseils et des instances d’évaluation, selon des modalités qui sont détaillées ci dessous.

_* Principe 4 : La diversité statutaire des métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur est une richesse. Une évaluation de TOUTES les activités doit permettre à tous les acteurs de la recherche, independamment de leur statut, d’obtenir la reconnaissance qui leur est due. Le statut unique est une mauvaise réponse à un vrai problème, et ne saurait, étant donné le rapport C/EC, à court ou moyen terme, permettre simplement par un système de décharge de conserver le niveau actuel de notre système de recherche. Mais de plus grandes possibilités de détachements provisoires ou définitifs, au cours de leur carrière, doivent permettre aux différents acteurs d’exercer au mieux leurs compétences. Ceci ne peut se faire sans un véritable plan pluriannuel de l’emploi d’EC couplé à une augmentation massive de décharges de services d’enseignements pour les EC possédant un projet de recherche évalué, ainsi que d’embauche d’IATOS permettant de décharger les EC de leurs taches administratives.

_* Principe 5 : Un système d’évaluation évaluant TOUTES les structures de recherche sur des bases communes, et tous les acteurs de la recherche sur l’ensemble de leurs activités, indépendamment de leur statut doit être mis en place pour permettre à ces acteurs d’obtenir la reconnaissance qui leur est due et le respect de ces évaluations, en matière de financement, de recrutement et de gestion des carrières, doit être vérifié lors des évaluations du CEOR. Le système d’évaluation doit mettre à parité les organismes de recherche et les universités, comme c’est le cas au CoNRS, pour permettre à l’ensemble de leurs missions d’être prises en compte et mettre en place un réel partenariat.

L’énoncé de ces principes, s’il est essentiel, ne fixe pour autant ni les objectifs quantifiés de la réforme actuelle, ni la pondération des efforts et encore moins les modalités concrètes de la réforme structurelle à engager au sein des universités pour hisser celles qui le peuvent de leur niveau actuel jusqu’aux meilleurs standards internationaux de recherche (avant de faire des propositions concrètes sur ces points, il peut être instructif d’éclairer le propos par l’analyse d’un autre système, cité bien souvent en référence, le cas du système de recherche de l’Etat de Californie présenté en annexe de ce texte).

Pour qu’une évolution positive prenne place au sein des universités et qu’elles deviennent de véritables opérateurs de recherche responsables, partenaires naturels des organismes de recherche nationaux, il convient de renforcer graduellement l’autonomie de celles qui sont disposées à mettre en oeuvre un certain nombre de pratiques permettant au CEOR d’évaluer leur politique de recherche.

L’objectif de la réforme ne doit pas être de mettre en place cette autonomie partout et tout de suite, étant donné l’émiettement du système universitaire français. Pour remédier à cette dispersion du potentiel de recherche français, les EGR ont proposé la création de Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES) visant à associer localement, dans des structures légères (ex : GIP) avec autant que possible une forte composante de multidisciplinarité, les différents partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche publique et privée. Outils d’aménagement du territoire, ils devraient permettre, en mettant en place des réseaux, de coordonner et diversifier l’offre de formation, d’élargir les possibilités de recherche des Enseignants-Chercheurs, de favoriser les coopérations et de servir d’interlocuteur aux acteurs économiques et sociaux. De part leur potentiel humain, les universités seraient évidemment des acteurs majeurs dans ces PRES, si du moins elles souhaitent s’y investir.

L’autonomie serait donc graduellement accordée sur la base du respect, par les universités en faisant la demande, des engagements suivants :

_* Engagement 1 : Contractualisation rénovée

_** L’Université demande pour toutes ses structures de recherche leur classement (A+, A, B+, B, ...) déterminé par une évaluation NATIONALE et incorpore cette évaluation dans l’évolution de sa politique quadriennale. Elle élabore et signe avec le Ministère et les grands organismes de recherche un contrat quadriennal beaucoup plus précis qu’actuellement (actuellement il est plutôt un bref catalogue de souhaits plutôt vagues et peu contraignants), en particulier avec des engagements chiffrés en termes de redéploiements de personnels et de recrutements, qui doivent être, pour l’essentiel, extérieurs à l’université, et sur le mode de gestion des crédits dévolus à chacune des équipes, crédits dont les montants figurent dans le contrat. Les écarts de la politique de recherche vis-à-vis de ces données précises sont les critères objectifs pris en compte par l’évaluation du CEOR.

_** Les seules ressources pouvant être globalisées lors du quadriennal sont le BQR et la part actuellement appelée frais de gestion, qui devrait être considérablement augmentée en pourcentage (au moins doublée) et avoir pour assiette l’ensemble de TOUS les crédits de recherche pour financer les frais d’infrastructure nécessaires à un fonctionnement correct de la recherche (mise à niveau des locaux, en termes de normes de sécurité notamment, entretien et gardiennage du campus, etc...), infrastructures qui bénéficieraient évidemment aussi à l’enseignement. Suivant l’évaluation de la politique de recherche de l’Université, le pourcentage du BQR pourra aussi évoluer, dans un sens comme dans l’autre.

_** l’autonomie signifie avant tout l’élaboration négociée de grands projets avec les instances nationales (Ministère) et régionales et les organismes nationaux de recherche, négociation permettant d’assurer l’indépendance des arbitrages et des évaluations nécessaires à une politique de recherche nationale. C’est vraiment à ce stade que l’autonomie a son sens plein, car c’est par les grands projets que se fait une bonne partie de la politique de recherche. Dans ces négociations, si les universités françaises n’ont que des ressources propres limitées (contrairement aux grandes universités privées américaines, mais en revanche comme Berkeley ou UCLA, universités d’Etat), elles ne sont pas démunies de moyens, car elles disposent de leurs stocks de postes d’enseignants-chercheurs, et d’ITARFs qui représentent des sommes considérables en terme de budgets consolidés. Ces engagements doivent eux aussi faire l’objet d’une planification chiffrée précise lors du contrat, opposable lors de l’évaluation du CEOR.

_*Engagement 2 : Réforme des instances de décisions

_** Dans le mode de gouvernance actuel des universités, les présidents et les conseils sont submergés de tâches ancillaires, qui les empêchent en pratique de prendre le recul nécessaire au suivi indispensable à la réalisation des projets ambitieux inscrits dans le contrat, et dissuadent les membres extérieurs de participer activement à ces conseils. Ceci contribue à vider le contrat d’une grande partie de son efficacité potentielle. Le suivi de la réalisation du contrat quadriennal est assuré par un Comité de Suivi du Contrat, où sont représentés l’Université, le Ministère (Direction des Enseignements Supérieurs, Direction de la Recherche) et les grands organismes, qui se réunit deux fois par an au moins pour faire le point sur la réalisation des objectifs du contrat et rappelle si nécessaire chaque partie à ses obligations et propose éventuellement des avenants au contrat.

_** L’Université assure dans ses conseils, en particulier Conseil Scientifique et Conseil d’Administration, une représentation des chercheurs des grands organismes en proportion raisonnable de leurs effectifs, (si une modification de certains textes concernant les modes d’élections des conseils est nécessaire, elle doit être réalisée sans attendre.

A titre de conclusion, il convient de rappeler qu’un tel renforcement de l’autonomie des universités dans leur politique de recherche est totalement incompatible avec un fléchage des crédits dirigiste à plus de 90% vers des objectifs finalisés, tel que le projet actuel d’ANR le présente, et sans que soit bien sûr envisagé une progression des crédits de base des organismes et des universités comparable aux évolutions des dotations de cette agence.

Annexe

Pour éclairer le propos et éviter tout jugement trop franco-français, faisons une rapide comparaison de l’organisation de notre système d’enseignement supérieur avec celui de la Californie, dont le PIB est comparable à celui de la France, et où l’enseignement supérieur relève très largement du financement de l’Etat de Californie. Il y a 10 universités seulement où on trouve une recherche de haut niveau, l’ensemble formant l’University of California, et accueillant 200000 étudiants avec un personnel de 155000 "faculty+staff" A côté, on trouve California State University avec 23 campus, 409000 étudiants, 44000 faculty+staff avec très peu de recherche, et des services d’enseignement deux fois plus élevés que dans l’University of California. Le contraste est parlant (de plus, il y a des dizaines de junior colleges, se limitant au niveau L, soit privés soit financés par les comtés, voire les municipalités importantes). Avec les trois universités privées Caltech, Stanford et USC, la recherche universitaire californienne est donc à peu près totalement concentrée sur 13 sites, et sur ces sites à peu près tous les enseignants sont très actifs en recherche. Notons d’ailleurs que la partie fondamentale de cette recherche est en très grande partie financée par le gouvernement fédéral via des contrats concernant directement les équipes, l’université en tant que telle n’intervenant qu’au moment du montage des grands projets, montage financier en particulier, et en y mettant les postes permanents, assurant ensuite seulement la gestion des fonds en prélevant des frais très importants (environ 50 pour cents) pour le fonctionnement général de ses services.

Par comparaison, une des caractéristiques principales du système français est sa dispersion : s’il y a une quinzaine de nos universités où les enseignants-chercheurs sont majoritairement très actifs en recherche, et majoritairement dans des unités mixtes avec les organismes, il y en a beaucoup d’autres où l’investissement dans la recherche de pointe est beaucoup plus faible. Ce qui n’exclut absolument pas la présence de collègues de grande valeur dans la plupart de ces endroits, qui ont du mal à travailler à cause de leur isolement, et dont les talents se trouvent ainsi gaspillés.

Un autre contraste avec le système d’Etat californien est dans la gouvernance : les grandes décisions y sont prises par le Board of Trustees, unique pour toute l’University of California qui est entièrement nommé par l’Etat : représentants de la société civile et hommes politiques essentiellement. La pratique montre que ceci n’est absolument pas incompatible avec la liberté académique (les résultats sont là pour le montrer) ni avec l’autonomie des 10 campus, mais les oblige simplement à monter des dossiers particulièrement soignés et à les implémenter avec rigueur, d’où en bonne partie leur succès.

Il est évidemment totalement illusoire et démagogique de prétendre que les 88 universités françaises de plein exercice pourraient un jour atteindre en recherche le niveau des treize sites californiens mentionnés ci-dessus ! Il est également chimérique, et d’ailleurs non souhaitable, de vouloir effectuer un démixage qui serait analogue à celui entre l’University of California et California State University. On peut néanmoins s’inspirer en les adaptant de quelques modes de fonctionnement de ce système. Il est en particulier nécessaire d’imaginer des adaptations de notre système qui permettent de ne laisser personne sur le bord de la route, et simultanément d’améliorer l’efficacité de l’utilisation de nos moyens, budgétaires et humains, pour que chaque université puisse donner les meilleures conditions de travail à ses éléments les plus actifs en recherche.

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