Article paru dans l’Est Républicain du 10 mars 2005
Le risque de labos « asservis »
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, le 10 mars 2005
BESANÇON. - Un an après leur première grosse colère, les chercheurs redonnent de la voix. Les Bisontins n’ont pas manifesté hier, mais ont fait signer des pétitions auprès de la population : « 273 signatures recueillies en une heure et demie ». Ils participeront aux grèves et défilés interprofessionnels de ce jeudi.
Qui représentent-ils ? Deux milliers de personnes dans la région, moitié chercheurs et enseignants-chercheurs, moitié autres catégories (ingénieurs, techniciens et administratifs). Le gros des troupes étant concentré à l’Université de Franche-Comté (UFC).
Finalité immédiate
Qu’ont-ils obtenu en 2004 ? 9 postes, pas tous pourvus. « Parmi nous se trouvent 250 personnes en contrats précaires, un nombre qui en dit long sur les besoins », souligne François Vernotte, directeur de l’Observatoire de Besançon. Une situation qui entraîne un recours massif aux heures supplémentaires : « 50.000 heures par an à l’UFC ».
Mais l’actualité, c’est la LOPRI (loi d’orientation et de programmation pour la recherche et l’innovation) qui doit être adoptée au début de cet été. Les intéressés n’y retrouvent pas du tout l’esprit de leurs « états généraux » de l’automne dernier. « Nous voulions que les crédits des labos soient laissés, à hauteur de 30 %, à des projets ’’blancs’’, c’est-à-dire définis par ces mêmes labos », expliquent les Bisontins du collectif « Sauvons la recherche ». Résultat : presque rien pour les « blancs ». La plupart des crédits étant liés à des thématiques « fixées à l’avance » par un « haut conseil » scientifique dont aucun membre ne serait élu, mais nommé, avec la moitié des places réservée « aux représentants de l’industrie ».
En substance, « la LOPRI passe sous silence la recherche fondamentale au profit de tout ce qui est à finalité immédiate, pour servir l’économie ». Les objectifs sont donc « utilitaristes ».
Servir l’économie, les chercheurs n’ont rien contre, à condition de ne pas être « asservis ». En se focalisant sur l’innovation technologique, le ministre concerné, François Fillon, commet à leurs yeux une grave erreur. Car l’innovation ne surgit pas ex-nihilo, « elle découle de la recherche fondamentale ».
Le gouvernement persiste et signe avec les trois grandes thématiques retenues : l’agroalimentaire, le biomédical, et les sciences et techniques de l’information et de la communication. « Les sciences humaines sont très menacées, mais pas seulement. Les maths aussi ! » Même le regroupement de labos de physique qui a donné naissance en 2004 au FEMTO-ST, l’organisme de recherche le plus étoffé de la région avec 350 salariés, ne serait pas à l’abri, car en concurrence avec d’autres structures plus importantes ailleurs dans l’Hexagone.
La LOPRI ne ferait donc pas bon ménage avec l’esprit critique, pourtant indispensable à toute démarche scientifique. « On voudrait empêcher l’avènement d’un Bourdieu ou d’un Foucault qu’on ne s’y prendrait pas autrement. »