Sauvons la R&D d’EDF
Tribune proposée par l’intersyndicale EDF R&D
Par
, le 12 avril 2005Ce texte est co-signé par les syndicats EDF R&D : SUD, CGT, CFDT, FO. contact : anne.debregeas@edf.fr
Il y a près d’un an, à l’occasion de la bataille contre le changement de statut juridique d’EDF et de GDF, nous avions tenté d’alerter l’opinion sur la situation inquiétante dans laquelle se trouvait la R&D de nos entreprises, et sur les menaces que faisaient peser sur elle ce changement de statut.
Aujourd’hui, cette situation ne cesse de s’aggraver. Les budgets et les effectifs de la R&D sont constamment revus à la baisse. Ainsi à EDF, si le « plan moyen terme » de l’Entreprise est appliqué, l’effectif sera passé de 2700 à 2000 en 7 ans (période 2001-2007), le budget aura chuté de 30%. Et rien n’indique que cette baisse s’arrêtera là : à l’international, tous les pays ayant subi une libéralisation de leur secteur électrique ont connu des baisses drastiques de leur R&D.
Alors que les champs de recherche ne manquent pas, alors que chacun s’accorde à dire que le modèle énergétique actuel n’est pas viable à long terme, la quasi totalité des activités de recherche sont en déclin, ou disparaissent simplement. Aucun nouveau thème de recherche n’émerge, à l’exception des recherches liées au marché de l’électricité. Cette situation représente un risque majeur pour la collectivité, tant pour l’environnement que pour la sécurité, ou plus prosaïquement pour le fonctionnement du système électrique. Comment ne pas s’inquiéter des coupes claires dans les budgets de recherche sur la maintenance et la sûreté nucléaire ou sur la neutronique à l’heure où les centrales nucléaires voient leur durée de vie prolongée ? Quelles seront les conséquences environnementales de la diminution des budgets de recherche sur les énergies renouvelables (pourtant déjà beaucoup trop limités), en particulier sur l’éolien, sur la maîtrise de l’énergie et l’efficacité énergétique, sur les véhicules électriques, sur le thermique à flamme, la biologie, la gestion des déchets... Le seul nouveau thème de recherche concerne la connaissance des marchés de l’énergie !
La Direction d’EDF justifie ces baisses budgétaires par des arguments financiers : le « projet industriel ambitieux d"EDF », consistant à se développer en Europe, nécessite de l’argent. Cet argent sera trouvé auprès des clients « grâce à des augmentations tarifaires », auprès des épargnants, « grâce » à une entrée en bourse permettant une augmentation de capital (cette entrée en bourse justifiant elle-même un objectif d"augmentation de la rentabilité de l"entreprise de 2 à 7% pour attirer les capitaux), et enfin auprès des salariés qui devront faire des gains de productivité permettant des diminutions d’effectifs et de budgets de fonctionnement.
Nous ne reviendrons pas sur le caractère inique de ce projet industriel, dans lequel le service public semble totalement oublié. Nous aurions pourtant beaucoup à dire sur les conséquences annoncées du changement de statut juridique d’EDF, pourtant encore entièrement publique, qui conduit sa direction à afficher un objectif de croissance et d’augmentation de sa rentabilité, alors qu’EDF est déjà le 1er électricien européen et affiche des résultats positifs. Nous aurions préféré lui voir afficher des objectifs de maîtrise de la consommation électrique, de maîtrise des conséquences environnementales, d’accès à tous à l’énergie, d’amélioration de la qualité de service ...
Nous sommes conscients que les baisses d’effectifs que connaît la R&D sont partagées par de nombreuses autres entités d’EDF, et que les conséquences de la libéralisation du secteur électrique ne se limitent pas au problème de la Recherche.
Nous voulons toutefois ici alerter sur le problème spécifique de la Recherche.
Au-delà des baisses budgétaires qui hypothèquent l’avenir de la R&D, nous sommes également confrontés à un grave problème d’orientation et de pilotage de cette recherche.
Ainsi, la R&D d’EDF qui porte tout un secteur de recherche nécessaire à la collectivité dans le domaine énergétique, semble désormais aux mains très libérales du président d’EDF, Pierre Gadonneix.
Celui-ci, dans un déni total de toutes les réflexions initiées par les chercheurs dans le cadre de leurs Etats Généraux, refuse de reconnaître une quelconque spécificité à l’activité de Recherche, et entend lui appliquer tous les préceptes d’une bonne gestion libérale. Ainsi, il considère que la R&D peut faire des gains de productivité, comme n’importe quelle activité : il suffit de mieux s’organiser, d’être plus sélectif, de « faire jouer les synergies du groupe », de mieux s’appuyer sur les partenariats universitaires : c’est le sens de l’histoire de faire plus avec moins de moyens ! De même, il refuse une quelconque autonomie de moyen à la R&D : en quelques années, le budget propre de la R&D d’EDF est passé de 50% à 3%. M. Gadonneix réaffirme cette ventilation : près de 80% du budget est arbitré par chacune des directions opérationnelles (telles que la Direction Commerciale, la Direction de la Production, la Direction du Transport) qui ont des objectifs de rentabilité à court terme, environ 20% est arbitré par la tête de groupe (comité de direction ayant les mêmes objectifs court terme). Les 3% restants sont accordés « pour le challenge », « pour s’amuser » comme dit M. Gadonneix. Il n’est en rien étonnant que dans ces conditions, toute recherche amont, tout projet comportant une probabilité d’échec est progressivement éliminé. La R&D s’oriente vers de l’ingénierie. M. Gadonneix a annoncé très clairement que la R&D d’EDF devait s’intégrer à la politique du groupe : « le processus de décision des choix de recherche doit être cohérent avec les choix de l’Entreprise » (c’est à dire un choix de croissance). « La Recherche ne doit pas faire la politique du groupe ». Ainsi, imaginer que la R&D pourrait être libre de mener des recherches sur des nouvelles énergies sans l’aval du groupe paraît aujourd’hui totalement illusoire. Les questions des organisations syndicales sur le mode de pilotage à mettre en place pour des recherches concernant des domaines non rentables pour l’entreprise mais ayant une valeur pour la collectivité (telles que la maîtrise de la consommation par exemple) sont restées sans réponse : M. Gadonneix semble ne pas concevoir de domaines de recherche non rentables pour l’entreprise.
Enfin, M. Gadonneix entend bien poursuivre la politique de « suivi » de la Recherche mise en place récemment et dénoncée à de nombreuses reprises par les chercheurs pour leurs caractères contre-productifs : les chercheurs d’EDF doivent rendre compte de leur activité à des échéances de plus en plus fréquentes (tous les 2 mois), ils doivent tendre à une réussite à 100% des objectifs qu’ils se sont fixés, ils doivent accorder une importance toute particulière au respect des délais. Enfin, pour certains projets dont le nombre va croissant, ils doivent calculer un retour sur investissement de leur projet (appelé « valeur actuelle nette ») a priori et a posteriori, avec réactualisation tous les ans ! Ces retours sur investissement, qui ne reflètent que les gains escomptés à court terme, sont un élément (que nous supposons prépondérant) de choix des projets.
M. Gadonneix prétend cependant accorder une grande valeur à la R&D. Mais dans son discours, cette valeur apparaît liée non pas à la qualité de ses résultats, mais à l’exploitation que l’entreprise peut faire de l’ image de la R&D auprès de l’opinion, des clients et des partenaires d’EDF. Elle peut également permettre de « donner un avantage concurrentiel » à EDF et lui permettre de « trouver des relais de croissance ».
Face aux risques que représente pour la collectivité une telle conception de la Recherche et du service publique, face à l’absence apparente d’intervention de l’état - pourtant encore unique actionnaire d’EDF à ce jour - dans cette politique qui contredit ses annonces sur la Recherche, face à la surdité de la Direction d’EDF devant les revendications des chercheurs, il nous semble de notre devoir d’alerter l’opinion publique.
Nous remercions « Sauvons la Recherche » de nous accorder une tribune pour faire valoir ce devoir d’alerte.