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Itinéraire d’un enfant gâché.

Par Pierre-Henri Kalinarczyk, le 19 juin 2005

Bonjour à tous. Puisque je viens de soutenir, je me suis dit que l’occasion était belle pour établir un bilan, que j’espère provisoire, de mon parcours. La seule valeur de mon témoignage réside dans sa grande banalité. Ce que j’ai vécu, des milliers d’entre vous l’ont connu aussi ou, hélas, le connaîtront encore. Toutefois, il s’agit de remarques, d’anecdotes et d’impressions personnelles qui n’engagent que moi et mon sale caractère.

Commençons par mon cursus. Je suis aujourd’hui docteur ès lettres, spécialiste de poésie francophone (Antilles, Afrique, France) : maîtrise mention TB, DEA mention TB, doctorat mention TH avec félicitations.

Je suis aussi un homme en situation de grande précarité, qui vit en dessous du seuil de pauvreté, sans endroit que je puisse appeler "chez moi". Maîtrise "squatt et pique-assiette", DEA "système D", doctorat "serrage de ceinture"... cela pourrait être une autre façon de présenter mon cursus. Je n’ai pas obtenu d’allocation de recherche. Si vous considérez qu’un étudiant présentant les notes maximales n’a pas d’allocation garantie, vous pouvez imaginer l’état de la filière lettres : soit je suis outrageusement surnoté, soit les crédits sont dérisoires.

Mes seules ressources officielles ont été une bourse d’agrégation de 22 000 FF (j’ai raté le concours) et un prêt d’honneur de 1500 €, que je dois toujours rembourser. A peu près à la même époque, Xavière Tibéri a touché 200 000 FF pour un rapport bidon sur la francophonie, qui m’aurait demandé trois jours de travail si j’avais assez peu d’amour-propre pour rédiger un texte aussi lamentable. Madame Tibéri n’a pas été inquiétée par la justice.

La quête des financements, presque vaine, me rappelle une anecdote. Je ne sais plus trop comment, il y a quelques années, je me suis retrouvé dans le bureau de l’assistante sociale. Elle était sans aucun doute pleine de bonne volonté, mais elle m’a parlé comme si j’étais un toxicomane dépressif en train de redoubler ma 5ème première année. Qu’il y ait un traitement social de l’échec, soit. Mais quand on aboutit au traitement social de la réussite universitaire, là, il faudrait quand même se poser quelques questions. La seule suggestion qu’elle ait pu m’offrir était de porter plainte contre mes parents pour défaut d’obligation alimentaire.

Porter plainte contre mes parents ! Je me croyais blindé, mais ça m’a vraiment mis par terre. Dans le même ordre d’idée, je proposerais au gouvernement deux solutions :

- Placer les jeunes chercheurs sur la liste des animaux nuisibles, aux côtés des rats, des fouines et des belettes. La mesure aurait le double avantage de plaire à une clientèle électorale influente, celle des chasseurs, et de débarrasser la France d’éléments devenus inutiles.

- Mettre un nouveau type d’administration en place, que j’appellerais pour ma part "Groupement d’Organisation Universitaire pour le Logement, l’Accueil et la Gestion". Entièrement modulaire et peu coûteuse, la structure G.O.U.L.A.G. représente l’avenir de la recherche française. Les chambres de 7 m² promises par le gouvernement me paraissent encore trop luxueuses, alors qu’il est parfaitement possible de loger les doctorants dans des baraques en planches et de les nourrir de façon économique, par exemple à l’aide de rebuts de pêcherie ou de denrées périmées.

Bon, peut-être que j’exagère, parce que j’ai refusé de splendides aubaines. D’abord le bénévolat-recherche, dans les groupes de travail de l’université. On est où, là ? "Chercheurs sans frontières" ? Les "labos du coeur" ? Le bénévolat est un luxe de riche ; je n’ai pas les moyens d’une dame patronnesse.

L’enseignement dans le secondaire, ensuite, où, CAPES en poche, j’ai tenu un mois. J’ai gardé en souvenir le premier exercice qu’on m’a obligé de donner à mes élèves, à savoir l’évaluation 2001 d’entrée en seconde :

"Année 2832, sur la planète Boolkyès, la musique est inconnue. Zicmu, le grand voyageur interstellaire boolkyèsien, revient d’un voyage d’exploration sur la planète Terre [...]"

Je répète que cet exercice n’est pas destiné à des maternelles, mais à des élèves de seconde générale, âgés de 15 à 16 ans. Après une heure de fou rire intégral avec ma classe (heureusement que les gens de l’IUFM n’étaient pas là !), j’ai présenté ma démission en me tenant encore les côtes. Mon cursus ne m’a pas suffisamment préparé à l’école du cirque.

Evidemment, aujourd’hui, je ris un peu moins : j’ai commencé les démarches en vue de bénéficier du RMI. Quand vous décrochez une thèse avec la meilleure mention, tout le monde vous félicite, vous sourit et vous serre la main. Quand vous remplissez les formulaires du RMI, peu après, vous comprenez quelle est votre véritable place dans la société française, et où dix années de travail acharné vous ont mené : en dessous de tout, méprisé, parasitaire.

J’ai également demandé un passeport, bien décidé à profiter de la première fenêtre de tir qui me permettra de m’enfuir et de récupérer un peu de ma dignité. Je m’entraîne même à enseigner la francophonie en anglais (hé oui !), puisque tout m’y invite.

Cela dit, je n’ai aucune inquiétude pour mon pays : en France, on a les meilleurs buralistes du monde.