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De la rentabilité ou de l’inutilité de la recherche

Par Alain Trautmann, le 31 mars 2003

Pour comprendre les mesures gouvernementales qui risquent d’étrangler la recherche publique française, différentes explications sont envisageables. Celle-ci a trait à la rentabilité.

Une étrange logique purement financière est en train de s’imposer dans la plupart des domaines mondialisés de l’activité humaine. Un de ses principes fondamentaux est la nécessité d’augmenter les retours sur investissement en réduisant les coûts. Le licenciement massif de personnels "trop bien payés" est un mode de réduction des coûts, souvent salué par une augmentation de la cotation en bourse de l’entreprise qui licencie. Cette logique de rendement à court terme de placements financiers très mobiles ne s’embarrasse ni du long terme, ni de la création de richesses réelles, ni des coûts humains directs (chômage) et indirects (destruction de liens sociaux, avenir plombé des enfants de chomeurs, destructuration de régions). Cette logique qui se moque de l’avenir au nom du court terme rentable pour quelques-uns semble bien mener le monde et notre économie : la rentabilité est un principe efficace, indiscutable, quasiment une loi naturelle, n’est-ce pas ?

Ces principes ne mènent pas seulement notre économie : il y a au gouvernement des responsables (?) qui veulent appliquer la même logique à la gestion de la recherche. Ils disent : la recherche publique française n’offre pas assez de retour sur investissement. Donc nous allons réduire les coûts, notamment en réduisant les crédits. Nous parions que dans ces conditions, la recherche continuera d’avancer, à moindre coût, donc de façon plus rentable. Ce raisonnement a visiblement convaincu nos plus hauts responsables, malgré la gravité des erreurs qu’il contient.

La première erreur est d’ignorer que si l’on réduit brutalement de 30% des crédits de recherche dont environ 50% (contrats de maintenance, animaleries, fluides etc...)sont incompressibles, sous peine de fermer les laboratoires, la réduction réelle vécue, pour les crédits utilisables, est plutôt de l’ordre de 60%. Il est hors de question, dans ces conditions, de pouvoir travailler autrement qu’au ralenti. Si rien n’est fait, à partir de l’été, de nombreuses équipes de recherche ne pourront plus travailler. Asphyxiées, elles seront payées à ne rien faire. Comme augmentation de rentabilité à court terme, on peut mieux faire.

La deuxième erreur est une profonde incompréhension de ce qu’est le produit du travail des équipes de chercheurs-ingénieurs-étudiants. Ces équipes produisent des connaissances concrétisées en articles, jugés intéressants ou non par la communauté scientifique. Certains, très rares, donneront des brevets. L’immense majorité de ces articles n’auront pas d’autre utilité immédiate que d’augmenter le socle de connaissances de l’humanité. Certains seront utiles beaucoup plus tard. Même si l’on se place dans une optique utilitariste, seules des personnes très myopes ne considèreront pour l’essentiel que l’évaluation à court terme. Les Etats-Unis l’ont bien compris, qui investissent fortement dans la recherche, même dans ces temps difficiles. Ainsi, le NIH (National Institute of Health) a vu son budget doubler entre 1998 et 2003, pour s’élever aujourd’hui à un montant 50 fois plus élevé que celui de l’Inserm, pour une population étasunienne 5 fois plus nombreuse que la population française. Remarquons en outre que dans cette somme, 50% environ est consacrée à la recherche fondamentale, donc sans application immédiate.

Ceux qui prennent la responsabilité de couper les ailes aux équipes de recherche, risquant de faire de la recherche française une recherche sous-développée, ne se trompent pas seulement en négligeant le long terme au profit du court terme. Ils se trompent en étant incapables de sortir d’une vision utilitariste. L’inutile est indispensable aux humains. Les découvertes de Copernic, Darwin, Freud ou Einstein n’avaient aucune utilité économique au moment où elles ont été faites (quels que soient les développements qu’elles aient pu avoir ensuite). Les connaissances qui permettent aux hommes de mieux appréhender l’univers, de mieux se connaître, d’éviter des souffrances inutiles, la plupart du temps, aucun index ne permet d’en mesurer l’impact. Elles échappent à l’utilitarisme économique. De ce point de vue, elles sont inutiles.