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Compte-rendu de la réunion du groupe enseignement supérieur - 1er juin 2006

Par Frédéric Sawicki, le 10 juin 2006

La réunion s’est tenue devant une vingtaine de personnes, en présence de Francine Demichel, professeur de droit à l’Université Paris VIII (ex directrice de l’enseignement supérieur) et Christine Musselin, sociologue, directrice de recherches au CNRS, spécialiste des organisations universitaires. Christian Baudelot, sociologue, n’est pas venu. Pour SLR étaient notamment présents les animateurs du groupe (Pierre Netter et Frédéric Sawicki), Bertrand Monthubert (président), et une vingtaine d’adhérents.

Bertand Monthubert ouvre la séance en rappelant que SLR a toujours insisté sur le lien fort existant entre recherche et enseignement supérieur et est doit donc intervenir dans le débat sur la question de la réforme de ce dernier. SLR constitue selon lui un lieu propice pour faire se croiser les points de vue des différentes catégories d’acteurs concernés par l’enseignement supérieur. La légitimité de l’intervention de SLR dans ce débat dans la perspective des futures échéances électorales reste cependant à construire et dépendra de notre capacité à faire des propositions à la mesure de l’enjeu et à bien délimiter le champ de notre intervention. Il faut en tout que d’ici début octobre, date de l’université d’automne, SLR soit en mesure de proposer certaines propositions fortes préalablement débattues.

Frédéric Sawicki introduit ensuite le débat. Il rappelle brièvement quelques propositions des Etats généraux qui concernent l’enseignement supérieur telles que les a synthétisées dans un document de travail Henri Audier (voir encadré à la fin du compte-rendu) :

-  doublement du budget alloué aux universités ;
-  création massive de postes administratifs de haut niveau et de postes d’enseignants-chercheurs pour améliorer l’encadrement des étudiants et faire face aux allègements des services des enseignants-chercheurs engagés dans un projet de recherche dûment évalué ;
-  réforme du mode de désignation ou d’élection des équipes de direction et des Conseils Centraux des universités (loi Savary). ;
-  rénovation des procédures de contractualisation entre universités et EPST ;
-  unification progressive des filières de formation (prépas, IUT, Grandes écoles, Universités).

F. Sawicki note que ces propositions doivent être précisées et complétées. D’abord en ce qui concerne la délicate question de l’orientation des étudiants et des réformes pédagogiques indispensables pour faire face à l’accès à l’enseignement supérieur de jeunes à faible niveau social et culturel. Concilier les trois objectifs principaux assignés à l’université : diffuser le savoir scientifique, assurer une formation reconnue sur le marché du travail à tous les étudiants, faire de la recherche d’excellence, constitue un défi qu’aucun gouvernement n’a su jusqu’alors relever. L’amélioration de la qualité de la recherche universitaire (via l’allègement du service des enseignants-chercheurs, la multiplication des accueils en délégation et des congés recherche, le renforcement des moyens des laboratoires et l’amélioration de l’accueil des doctorants et du statut des allocataires de recherche) ne doit pas se faire au détriment de l’encadrement pédagogique des étudiants de premier cycle et de la nécessaire adaptation des enseignements de second cycle au monde du travail. Il est de la responsabilité d’un mouvement comme SLR, compte tenu des valeurs qu’il a toujours défendues, d’éviter de ne voir la réforme de l’enseignement supérieur et singulièrement de l’université que du point de vue de la fonction recherche.

La concurrence déloyale qui existe entre les classes prépas, les IUT et les Grandes écoles et les universités fournit un bon exemple du caractère indissociable des problèmes. Les classes prépas et les IUT, et dans une moindre mesure les BTS, fonctionnent comme des filières de contournement du premier cycle universitaire. Dotées de deux fois plus de moyens par étudiant que les universités (elles-mêmes en situation inégale entre elles en termes d’encadrement étudiant), ces filières apportent un bien meilleur niveau d’encadrement et captent de nombreux étudiants qui seraient parfaitement capables de suivre des études universitaires. A l’inverse l’université doit gérer, notamment en lettres, sciences humaines et sociales et droit, des étudiants qui sont, pour un nombre significatif d’entre eux,mal orientés ou inscrits faute de mieux, et à qui elle ne peut apporter une formation adaptée faute de moyens en personnel.

Le succès des prépas repose sur la certitude (en sciences et en éco plus qu’en lettres) qu’ont les étudiants d’intégrer une plus ou moins grande école et donc d’avoir un emploi assuré au bout de 5 ans. Alors qu’une partie des étudiants formés dans les IUT reviennent dans les masters, avec pas mal de difficultés au demeurant, des générations entières de bons étudiants passés par le système prépas-grandes écoles n’auront jamais eu l’occasion d’être frottés à une réelle formation scientifique alimentant ainsi la désaffection dramatique vis-à-vis des métiers de la recherche et creusant un large fossé entre les ingénieurs et le monde de la recherche. Cette situation pénalise le développement de l’innovation dans les entreprises françaises et pèse également fortement sur le moral des enseignants-chercheurs qui ont souvent l’impression de sous-exploiter leurs connaissances et de ne pas pouvoir les transmettre. Elle est, en même temps que l’alourdissement des tâches administratives lié en particulier à la réforme LMD faite à moyens constants (et même diminuant en euros constants), la principale cause d’insatisfaction des enseignants-chercheurs comme le montre l’enquête réalisée par Sylvia Faure et Charles Soulié sur les conditions de travail des enseignants-chercheurs (2005) : http://droit.dentree.free.fr/fichie...

La question de l’autonomie des universités concerne de la même façon la recherche, la formation et la professionnalisation. Partant du constat de l’inégalité de fait entre les établissements, de la lourdeur de plus en plus grande des procédures de contractualisation en matière d’habilitation des formations et en matière de recherche, une plus grande autonomie des universités ne pourrait-elle pas favoriser à la fois l’innovation pédagogique, une meilleure adaptation des formations aux marchés régionaux d’emploi, un plus grand rapprochement entre universités et grandes écoles dans le cadre des PRES ? La différence entre le mode d’organisation et de gouvernement des universités françaises et les universités des autres pays européens et occidentales apparaît chaque jour davantage et constitue souvent un frein à la mise en place de formations partagées, obstacles que ne rencontrent pas les grands établissements. Jusqu’où faut-il aller dans l’émancipation des universités à l’égard de leur tutelle sans remettre en cause la reconnaissance nationale et européenne des diplômes et sans danger pour l’autonomie des enseignants-chercheurs garantie pour partie par la jurisprudence constitutionnelle ?

En l’absence de Christian Baudelot, la question des réformes pédagogiques et de l’orientation des étudiants est laissée de côté et sera traitée en septembre lors d’une prochaine réunion. Conformément à ce qui lui a été demandé, Christine Musselin aborde les deux questions suivantes : • Jusqu’où faut-il aller dans le sens d’une autonomie des universités ? L’autonomie est-elle inéluctable ? Que nous apprennent les « modèles » étrangers ? • Faut-il changer le mode de recrutement et de formation et le mode, le niveau de rémunération et la comptabilisation du temps de travail des enseignants-chercheurs ? C. Musselin commence par rappeler qu’on ne peut séparer la réflexion sur la recherche de celle sur l’université. L’imbrication entre les deux s’est particulièrement renforcée au cours des 10 dernières années (création des UMR, montée en puissance des conseils scientifiques et des politiques scientifiques d’établissement dans le cadre de la contractualisation, accueils en délégation, partenariat renforcé entre universités et conseils régionaux...). La conciliation entre recherche et enseignement constitue aujourd’hui un défi majeur pour les universités qui savent que leur reconnaissance et leur attractivité passent aussi par leur capacité à attirer et former les meilleurs chercheurs. Concernant l’autonomie des universités, C. Musselin souligne la nécessité de bien distinguer autonomie des établissements et autonomie des universitaires ce qu’on a souvent tendance à opposer en France. Les grandes universités de recherche à l’étranger sont des institutions fortes et autonomes dans lesquelles le pouvoir est tenu par les universitaires et où la recherche, y compris dans les secteurs à faibles débouchés professionnels et à faible attractivité des étudiants, est largement préservée des logiques de rentabilité. Les non-profit universities aux Etats-Unis par exemple défendent les petites disciplines. Les deux types d’autonomie, selon elle, peuvent parfaitement coexister, même si elles sont en tension permanente. Pour C. Musselin, il faut renforcer l’autonomie des établissements universitaires pour deux raisons principales. Tout d’abord, parce que c’est une évolution généralisée en Europe et au-delà et que, même si cela renvoie à des formes et à des modalités variées d’un pays à l’autre et s’il n’est pas question (l’histoire prouve que cela ne fonctionne jamais) de transposer termes à termes ce qui se fait ailleurs, l’absence d’autonomie dont souffrent les universités françaises ne peut que rendre de plus en plus difficile les partenariats et les échanges entre nos établissements et ceux de nos voisins. A nous de trouver des formes d’exercice de l’autonomie qui soient adaptées à notre système mais qui nous permettent de traiter d’égal à égal avec les autres établissements. Par ailleurs, la taille du système (nombre d’acteurs et d’établissements) rend celui-ci ingérable d’en haut. A ceux qui craignent la remise en cause de l’homogénéité des formations, elle répond que cette homogénéité n’existe pas, que l’hétérogénéité s’est renforcée ces dernières années sans que le ministère ne parvienne à la piloter ou à l’empêcher. Quel que soit le statut des universités, elles ont des missions de service public à remplir. Il convient donc, pour qu’autonomie ne règne pas avec concurrence aveugle et standardisation, d’élaborer un cahier des charges qui définisse précisément les droits et devoirs des universités et que les établissements universitaires soient régulièrement évalués par des collèges indépendants d’experts. Autrement dit, accroître l’autonomie des établissements ne signifie pas réduire l’action du ministère mais en transformer le contenu et notamment développer les dispositifs de régulation permettant d’intervenir si les établissements ne remplissent pas leurs missions, s’ils ne respectent pas des pratiques déontologiques, etc. Par ailleurs on ne peut reconnaître une plus grande autonomie aux universités sans simultanément les rendre plu responsables de leurs décisions, orientations etc. La question de l’autonomie des universités débouche sur celle des modalités de recrutement , mais surtout, plus largement sur celle de la gestion des carrières des enseignants-chercheurs. Modifier cette dernière suppose de répondre à un certain nombre de questions que C. Musselin livre à la discussion. Tout d’abord, faut-il que le concours (en tant qu’on se présente toujours sur un seul poste contre d’autres candidats, tant pour les recrutements que pour les promotions) régisse tout ? Si les enseignants-chercheurs étaient régulièrement et correctement évalués dans l’ensemble de leurs missions (recherche, enseignement, administration), on pourrait envisager quand ils satisfont aux critères de promotion, qu’ils n’aient pas à attendre qu’un poste se libère dans leur discipline ou leur université mais puissent être promus immédiatement. Ensuite, faut-il maintenir ou bien modifier le modèle actuel de déroulement de carrière qui repose sur une titularisation précoce (par comparaison avec ce qui se produit à l’étranger) mais un accès restreint au professorat, ce qui signifie le maintien dans un même statut sans possibilité de déroulement de carrière pour ceux qui restent maîtres de conférences. Peut-on par ailleurs continuer à vivre avec le mythe d’un contenu indifférencié et uniforme des tâches pour tous les enseignants-chercheurs. Concernant les modalités de calcul des services, C. Musselin a dit son accord avec une gestion collective de ceux-ci au niveau des établissements dans l’esprit des propositions du rapport Esperet. Mais alors une telle autonomie des universités en matière de gestion des carrières passe obligatoirement par la mise en place d’une évaluation régulière des enseignants-chercheurs qui devrait être confiée à des pairs indépendants extérieurs à l’établissement. Sur les rémunérations enfin, la faible différenciation qui caractérise la profession universitaire française, en matière salariale comme pour les conditions de travail, peut-elle et doit-elle être maintenue ? La tendance encore émergente mais croissante à l’internationalisation des recrutements, mais aussi le meilleur environnement de travail qu’offrent de nombreuses universités à l’étranger risquent de rendre nécessaire une réflexion sur les revenus, sur les variations possibles entre les disciplines, sur des écarts plus importants entre les différents enseignants-chercheurs. Francine Demichel quant à elle focalise dans un premier temps son intervention sur la question de l’articulation Prépas/IUT/premiers cycles universitaires avant de revenir à son tour sur les excès de la centralisation administrative du système universitaire. Pour Francine Demichel, il faut intégrer les prépas à l’université, de même que les petites et moyennes écoles, sans toucher aux avantages individuels, c’est-à-dire en ne remettant pas en cause le statut et les rémunérations des professeurs de prépas. L’enjeu principal est selon elle de retirer aux proviseurs le pouvoir de conserver leurs meilleurs élèves. Les PRAG sont déjà présents en masse dans les premiers cycles universitaires, le système ne s’en trouverait nullement chamboulé. Reste bien sûr à savoir, dans ce cas, si on maintient le principe de la sélection et si oui sur quels critères on y procède. Même si les IUT font, selon elle, de moins en moins de sélection, il faut renforcer également le contrôle des universités sur leur gestion.

Concernant l’autonomie des universités, Francine Demichel se dit persuadée qu’il faut la renforcer car le système, qu’elle a vécu de l’intérieur et qu’elle décrit comme une somme de bureaux largement autonomes les uns des autres découpés selon des critères obsolètes (une sous-direction gère le contrat d’établissement, une autre la formation, une autre encore la recherche), est à bout de souffle. Il faut selon elle « mettre tout sur les contrats d’établissement, y compris les postes, donner une masse indiciaire avec une évaluation à la fin, une évaluation qui soit internationale ». Pour favoriser les activités de recherche des universitaires, il faut augmenter le nombre et la périodicité des congés thématiques, gérer de façon plus souple les services, diversifier aussi les carrières. Selon elle, « on crève en France de l’uniformité des règles » et de la multiplication des contrôles mais de l’absence d’une culture d’évaluation. Le débat qui a suivi a été très nourri et ne peut être résumé ici en détail. Certains des intervenants ont repris des arguments déjà avancés sur la liste à laquelle nous renvoyons. Pierre Arnoux, d’Aix-Marseille II a insisté sur la démotivation des étudiants qu’entraînait l’absence de certitude quant à la valeur du diplôme et la certitude des débouchés (les étudiants sont prêts selon lui à accepter la sélection dès lors que celle-ci est juste et qu’elle garantit en contrepartie l’accès à un emploi comme en Médecine ou dans les Grandes Ecoles). Il a également proposé qu’on remette en place au sein de l’université le système des IPES (instituts de préparation à l’enseignement secondaire) destiné à former des étudiants moyennant rémunération au métier de professeur. François Lucas de l’université d’Angers a rappelé avec force et avec raison, que sans un doublement du budget de l’université, l’université serait condamnée à se battre à armes inégales et à échouer. Plusieurs intervenants, dont le nom nous a échappé, ont exprimé leurs réserves quant à la fatalité de l’autonomie des établissements (« ça se fait ailleurs, donc il faut s’aligner, non ! ») et quant aux dangers qu’elle faisait courir, mais sans apporter (pour l’instant) de propositions alternatives. La plupart des présents se sont en effet accordés sur l’idée que sans une réforme des structures et du statut des enseignants-chercheurs, l’injection de moyens nouveaux ne suffirait pas. Il ressort de cette réunion les points suivants qu’il faut maintenant débattre et approfondir sur le mode du c’est bien beau, mais comment on fait. Voici donc un résumé des principaux points assortis des questions ouvertes désormais à la discussion.
-  Nécessité d’intégrer les prépas et les petites et moyennes écoles à l’université (intégration dans un premier temps sur le modèle des IUT ou des IEP actuels ?)
-  Nécessité de rapprocher les IUT et leurs universités de rattachement (via les licences professionnelles ?)
-  Nécessité de doubler le budget des universités (hors salaires) (faut-il remettre en question les modes de calculs des attributions H/E, m2/E...?)
-  Nécessité d’augmenter fortement le nombre d’enseignants-chercheurs et la qualité de l’encadrement des universités (par la création d’un corps de fonctionnaires hautement qualifié dont une partie serait issu du professorat ou de la maîtrise de conférences ?)
-  Nécessité de mettre en place une évaluation indépendante des enseignants-chercheurs, y compris leur activité d’enseignement (au niveau des établissements ou au niveau national via un CNU réformé ?)
-  Nécessité de renforcer l’autonomie des universités dans le respect de leurs missions de service public et dans le cadre de la contractualisation (jusqu’à quel point ? en incluant les postes ou non ? en laissant une plus grande marge de manœuvre pour les diplômes d’établissement...)
-  Nécessité d’alléger les services des E-C : faut-il un abattement uniforme (150 h pour tous) ? que faire des E-C qui ne font pas de recherche ? Faut-il se satisfaire du mode actuel de comptabilisation des services qui pénalisent ceux qui font beaucoup et récompensent ceux qui font peu, etc.

Nous proposons de revenir sur tous ces points lors d’une réunion de rentrée en septembre au cours de laquelle nous souhaiterions aussi voir débattues certaines questions restées dans l’ombre : l’orientation, les passerelles entre les formations, le financement des universités, la réforme pédagogique des premiers cycles (faut-il aller vers des collèges universitaires ?), etc.

Frédéric Sawicki et Pierre Netter