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Groupe de travail EPST

CNRS : Quelle est sa place, quel est son rôle ?

Par chzelwer, le 13 juin 2006

Depuis vingt ans, le CNRS est l’objet de violentes campagnes, à fondement idéologique, où on lui fait porter toute la responsabilité des insuffisances du système, tout en minimisant son rôle en cas de succès. On lui reproche de fonctionner à l’encontre des dogmes néo-libéraux (personnels permanents et sans charge d’enseignement) il représenterait de ce fait une survivance de l’époque de la Libération, aux antipodes du modèle américain. Il serait trop conservateur et incapable de se réformer (rapport de la cour des comptes de 2001), il bloquerait le fonctionnement normal des universités (centralisation jacobine des décisions versus développement régional de clusters centrés sur les universités et les industries de pointe), il serait trop isolé de la société et de ses problèmes (peu de brevets, dans les années 80 - 90) et peu réactif aux changements de la conjoncture scientifique. En interne, les tensions n’en sont pas moins vives entre les directions scientifiques et les personnels des unités de recherche, entre la Direction générale qui transmet les pressions (notamment budgétaires venant du Ministère des Finances) et les équipes de recherche qui tentent d’obtenir des soutiens financiers extérieurs tout en conservant une capacité d’anticipation financière supérieure à un an.

Différents projets de liquidation du CNRS ont été présentés avec deux philosophies différentes : transformation du CNRS en agence de moyens et transfert de ses capacités d’opérateur de recherche vers les universités (Campagne d’universitaires en 1994, de Claude Allègre en 1998) ou écartèlement du CNRS au profit d’organismes de recherche centrés sur des finalités (notamment INSERM, INRA, CEA) et dissolution de son secteur « Sciences humaines et sociales » dans les universités. En toile de fond de ces critiques, le CNRS vit sous le régime du soupçon, du manque de confiance - de la part des « politiques », des « budgétaires » (les contacts que l’on a pu avoir les députés - surtout de droite - dans la dernière période sont édifiants car ils révèlent une désinformation de ces milieux quant à ce qu’est la recherche et son organisation, tout à fait alarmante). Mais ces critiques sont aussi relayées à l’intérieur de la communauté scientifique par certains scientifiques de renom qui enragent de ne pas le voir au niveau académique des meilleures universités anglaises ou américaines et soumis à une gestion tatillonne due à la tutelle de l’Etat. Un coup d’œil rétrospectif sur les 20 dernières années, nous montre que le CNRS a traversé successivement :

-  une tentative de blocage et de liquidation en 1986, suivie d’une réforme du Comité national ;
-  un redéploiement des recrutements vers la province (1990) : seul organisme à avoir subi de telles pressions ;
-  une chute brutale de son financement en 1992 ;
-  une crise financière en 1995 ;
-  une première tentative de réforme interne sous la direction de Guy Auber (création des UMR, abandon du système des laboratoires associés, réduction projetée du nombre de départements scientifiques, modification de leur rôle correspondant à une redéfinition des missions de l’organisme et de ses rapports avec les universités) ;
-  une tentative de lancement de programmes ministériels finalisés (F. d’Aubert, 1997) visant à intéresser le secteur privé au financement de la recherche ;
-  abandon des orientations précédentes avec le gouvernement Jospin et tentative de transformation du CNRS en agence de moyens (Allègre) et de fusion des corps de chercheurs et d’enseignants-chercheurs. Cette tentative a échoué du fait de la résistance du Comité national et de la DG de l’époque (C. Bréchignac). Mais il y a eu réduction dramatique du nombre d’unités propres du CNRS et réforme de sa gouvernance visant redonner du poids aux instances scientifiques par rapport à la Direction générale ;
-  une consultation « CNRS-avenir » menée sous la direction de C. Bréchignac, visant à montrer que le CNRS n’est pas conservateur et au contraire capable de bouger (consultation dont les résultats sont restés dans les tiroirs) ;
-  le remplacement de C. Bréchignac par G. Berger qui lance une politique de pluridisciplinarité sur le papier sans toucher aux départements scientifiques (ceux-ci constituent en fait huit mini-CNRS plus au moins indépendants et dont le poids au Comité de Direction réduit considérablement le pouvoir de la Direction générale) et dans un deuxième temps, création de sections interdisciplinaires au Comité national ;
-  limogeage de G. Berger qui accepte mal l’asphyxie budgétaire depuis le changement de majorité (assèchement de la trésorerie et annulations de crédits dans l’idée que la gestion financière des programmes de recherche doit se faire à court terme en interdisant les réserves de précaution et en obligeant les équipes à dépendre d’une multitude de petits contrats aléatoires) ;
-  nomination de B. Larrouturou qui élabore une réforme suivant les lignes tracées par le Président G. Mégie. Cette réforme reprend certaines idées du plan Auber de 1995 en y rajoutant la dimension régionaliste abandonnée au CNRS depuis le départ de F. Kourilski en 1995. Il s’agit encore une fois de redistribuer les rôles entre les Universités et le CNRS en recentrant ce dernier sur un certain nombre de missions, dans la ligne du contrat CNRS-Etat de 2002 et en abandonnant le reste aux universités.
-  En 2005 : Démission du Président B. Meunier et limogeage de B. Larrouturou, dont la réforme conduite à marche forcée suscite des oppositions dans les départements scientifiques, et de la part d’une partie du milieu craignant l’abandon de secteurs de recherche au profit des universités et s’inquiétant de la création des Directions interrégionales.
-  Nomination de C. Bréchignac comme présidente, dont les orientations ne sont pas affichées, ce qui ne l’empêche pas d’apporter des modifications substantielles au dispositif hérité de 2005 et à balayer tous les collaborateurs de l’ancienne Direction générale.

Dans l’immédiat, le CNRS n’a pas de politique affichée vis-à-vis des Universités, (ses rapports avec l’Université sont envisagés pour le moment sous l’angle des échanges de personnels avec l’Enseignement supérieur). Il n’a pas de politique régionale (suppression des DIR, remplacés par aucune structure de caractère scientifique). Le contrat de plan Etat-région se négocie en l’absence du CNRS, mais il y a des directives occultes transmises aux préfets, venant des départements du CNRS (localement, l’interlocuteur des préfets de région, ce sont les Universités et elles seules). Quant à la politique scientifique définie dans le Projet d’établissement de 2002 et le contrat CNRS-Etat, elle semble être passée à la trappe. La véritable politique scientifique est maintenant du ressort de l’ANR, c’est-à-dire une chasse gardée du Ministère de la Recherche.

Suggestion I

La liste des coups de barre successifs donnés dans tous les sens depuis 20 ans, montre que cet organisme a été ballotté au gré des humeurs de tel ou tel ministre ou des idées personnelles de tel DG ou de tel Président. Il convient donc de changer de méthode ou peut-être plus simplement d’en définir une. C’est pourquoi, un Haut Conseil de la Science aurait du avoir pour charge de définir les missions et compétences respectives des Universités, des EPST et en particulier, celles du CNRS. Ce n’est qu’une fois ces missions définies, que chacun des opérateurs de recherche peut revendiquer une véritable autonomie vis-à-vis des gouvernements successifs. Bien sûr, le HCS devrait tenir compte des avis de la communauté scientifique, c’est pourquoi sa composition prévue dans la Loi de Programme (entièrement nommé par le pouvoir politique) le rend malheureusement particulièrement inapte à l’exercice de ce type de responsabilités.

Suggestion II

Le CNRS ne saurait définir lui-même et unilatéralement le partage de ses compétences entre lui-même et l’Université. Comparé à un autre EPST comme l’INRA, le CNRS est dans une situation particulière : concerné par toutes les disciplines et chargé de faire avancer l’ensemble du front des connaissances, il se trouve de ce point de vue avec la même mission de recherche que les Universités. Un partage des responsabilités avec celles-ci se situe donc dans l’ordre logique des choses. Il est toutefois étrange que l’un des objectifs du projet Larrouturou - Mégie, le partage des rôles entre l’Université et le CNRS n’ait pas résulté d’un choix gouvernemental réfléchi, mais soit apparu comme une initiative du seul CNRS. II a. Si sur le plan de la Recherche, les Universités et le CNRS ont des rôles qui se recouvrent largement, leurs modes d’organisation et la spécificité des missions d’Enseignement et de formation de l’Université laisse place à une forme de subsidiarité. L’Université se doit d’enseigner toutes les disciplines et doit recruter ses personnels en grande partie, en fonction des besoins en formation de haut niveau pour l’ensemble de la société. La Recherche suivant une autre logique, il y a place pour des organismes nationaux, généralistes ou spécialisés, chargés de promouvoir les champs thématiques qui ne sont pas réductibles à une discipline susceptible d’être enseignée en tant que telle. La nécessité de grands instruments, de plateformes technologiques suppose une capacité d’initiative nationale opérationnelle. Faute de se situer clairement, parce que la croissance des effectifs d’étudiants a entraîné une surcharge de travail pour les enseignants-chercheurs, le CNRS a toujours été tiraillé entre les deux logiques, celle de la progression d’ensemble des connaissances et celle de l’implantation de champs disciplinaires nouveaux, plutôt pluridisciplinaires. Il faudrait donc un partage des rôles plus clair, ce qui suppose une redéfinition de ses missions.

II b. Un autre aspect du problème réside dans le nombre d’universités, souvent de taille insuffisante pour se doter de moyens d’expertise adéquats. Nombreux sont les Conseils scientifiques d’Universités qui ne comprennent qu’un seul spécialiste de chaque domaine (dans le meilleur des cas). Je ne veux pas dire par là que l’Enseignement supérieur ne doive pas assurer un maillage complet du territoire. Mais cela n’implique pas que l’on ait près de 90 universités indépendantes. Une université peut fort bien être articulée autour de plusieurs pôles distincts, assurant une fonction de proximité géographique. Les PRES, pourraient constituer un palliatif à l’existence d’universités de petite taille, à condition que les EPST et les EPICs y participent pleinement (il faudrait pour cela que les EPSTs disposent d’une organisation territoriale scientifique et non plus seulement administrative) avec des directions dûment mandatées. Pour qu’ils soient efficaces, les PRES devraient recevoir une délégation de la part des universités pour créer des départements scientifiques (pas nécessairement disciplinaires) qui soient forces de proposition.

Suggestion III

Du fait de l’existence de l’ANR, le CNRS doit être force de proposition et être incontournable en matière de définition des priorités. S’il apparaît comme un conglomérat de départements scientifiques jouant chacun pour son propre compte, son audience sera amoindrie et certains de ces départements seront concurrencés par des EPSTs spécialisés dans tel ou tel domaine, plus crédibles pour orienter les investissements, car appuyés par des demandes sociales évidentes de par leurs missions respectives. En fait, la véritable originalité du CNRS réside dans sa capacité à dépasser les visions disciplinaires et la pression des demandes sociales immédiates. Cette capacité suppose une redéfinition de ses missions, une organisation en matière de ressources humaines, de stratégie de communication et d’intervention territoriale. C’est à cette condition que le CNRS pourra coopérer efficacement avec les autres EPSTs. Mais contrairement à ce qui a affaibli la réforme mise en œuvre par la direction précédente, c’est la réflexion scientifique qui doit être au cœur de la réforme et non le raisonnement technocratique. C’est à cette condition que les scientifiques pourront y adhérer, adhésion qui a cruellement fait défaut en 2005, avec le gâchis qui s’en est suivi. Mais pour retrouver un rôle qu’il est seul en mesure de jouer, le CNRS doit retrouver une capacité d’initiative financière, y compris sur le plan immobilier (existence de campus labellisés CNRS, administration autonome, politique de communication à la hauteur de ses missions).

Suggestion IV

Seul un rééquilibrage des financements entre l’ANR et les opérateurs de recherche pérennes (Universités, EPSTs) est compatible avec une organisation cohérente de la Recherche scientifique publique. L’ANR devrait faciliter une mutualisation de ressources entre les différents opérateurs, servir d’incubateur à des programmes transversaux ne se limitant pas à l’émission d’appels d’offres.

Suggestion V

Le CNRS (j’ignore ce qu’il en est des autres organismes) n’a pas de politique de formation de ses cadres (unités, départements, fonctions d’intérêt général). Faute d’assurer une carrière à ceux qui exercent des responsabilités de haut niveau, on assiste à un ballet incessant aux postes de responsabilité élevés. Le département des « Sciences de la vie » a connu 7 directeurs scientifiques en 15 ans. Nombre d’entre eux, doivent préparer dans la dernière phase de leur mandat, leur retour au labo. Cela n’incite pas à prendre des décisions difficiles. Enfin, s’agissant des responsabilités d’intérêt général, les titulaires n’ont pas toujours eu une expérience du laboratoire de recherche et ignorent la plupart du temps les contraintes et aléas de ce qu’ils sont censés gérer. Pour illustrer ce propos, je connais plusieurs exemples de construction de bâtiments qui ont mis près de 10 ans à se réaliser. Lorsque les locaux sont prêts, la configuration des lieux ne correspond plus aux besoins et effectifs des équipes qui vont les occuper. C’est en général la situation de départ qui est prise en compte lors de l’élaboration des plans qu’il n’est plus possible ensuite de modifier dans le cadre d’une enveloppe financière fixée une fois pour toutes, dans le cadre d’un budget annualisé ! Les modalités de gestion et d’organisation du CNRS sont un frein à la réactivité de l’organisme. Il est indispensable de créer un corps spécifique d’encadrement de la recherche formé, à partir de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’ingénieurs ayant eu une réelle expérience du terrain. Ce corps spécifique doit être géré de manière assurer une carrière et une mobilité à ceux qui auront fait le choix d’en faire partie. Cela permettrait d’éviter que l’attribution de ces responsabilités ne soit réservée à des profils étroits ou soumises aux pressions du pouvoir politique.

Faute de s’en donner les moyens, le CNRS devra se résigner, s’il ne sort pas de sa paralysie actuelle, à ce que l’ANR ou tout autre superstructure (voir le succès des génopoles) joue exclusivement le rôle d’opérateur de recherche et se cantonner à n’être plus qu’une agence de personnels répondant à des sollicitations extérieures, en attendant de disparaître purement et simplement.