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Intervention de Marie-George Buffet à l’Université d’automne de SLR (30 septembre 2006)

le 9 octobre 2006

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie, tout d’abord, de me donner la possibilité de m’exprimer devant votre Assemblée.

La recherche est un besoin humain fondamental.

Mais la recherche, c’est aussi l’évolution des sciences et des techniques dessine tout l’avenir de notre civilisation. Elle interroge la façon dont nous imaginons la société de demain. Elle revêt, ainsi, une forte dimension politique.

C’est là toute la force de votre mouvement que d’être parvenu à mettre ces questions sur la place publique et à interpeller la grande responsabilité des hommes et femmes politiques.

Notre société ne peut en effet rester sans voix face à toutes les menaces qui pointent sur notre environnement. Elle est en attente devant toutes les promesses de la médecine. Elle s’interroge sur l’homme, son histoire, la culture. De fait, nos concitoyens et nos concitoyennes ont besoin d’analyser et de comprendre. Ils ont besoin d’inventivité et de critique. Bref, nous avons tous et toutes besoin de recherche !

Nous tous ici, nous savons que la recherche prend du temps et qu’elle vaut parfois autant par sa démarche que par son résultat concret. Vous savez aussi apprécier la valeur intrinsèque de toute aventure intellectuelle ; vous savez tout autant combien les questions, celles qui ouvrent de nouveaux champs d’étude, nous font parfois davantage progresser que certaines découvertes.

Les libéraux, eux, attendent des résultats qu’ils pourraient inscrire demain en actif dans un bilan comptable. Il attendent la découverte qui leur donne l’avantage comparatif décisif dans les compétition économique, la matière que l’on peut exploiter rapidement. A la confrontation des idées et des intelligences, ils préfèrent une concurrence mortifère.

Ces deux conceptions de la recherche sont pour ainsi dire inconciliables. Disons-le tout net. Notre humanisme ne peut être réduit à d’aussi étroites conceptions marchandes.

Ma conception de la recherche est évidemment tout autre. Elle est bien sûr liée à la façon dont je conçois le monde.

Mon combat est celui de l’émancipation humaine. Il passe donc par la construction d’une société de la connaissance partagée, c’est-à-dire une société où chacune et chacun aurait la possibilité de comprendre le monde dans lequel il vit, de s’y insérer, mais aussi de s’en approprier tous les enjeux. Il a pour ambition un monde où la science serait à la disposition de toutes et tous, en matière de connaissance comme d’esprit critique.

Nous militons pour cela pour une recherche qui, par son caractère public, garantisse l’indépendance intellectuelle du chercheur et encourage le débat par la reconnaissance d’un véritable pluralisme. Nous voulons une recherche publique, qui parce qu’elle fait le choix de la transparence, assume sa responsabilité sociale devant l’opinion.

Jamais le niveau général des connaissances n’a été aussi élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Jamais, donc, notre civilisation n’a été potentiellement aussi riche d’idées, de techniques et de créativité.

Mais dans le même temps, vous le savez comme moi, il existe aussi une méfiance à l’encontre du progrès scientifique. La puissance des hommes sur la nature suscite aussi des inquiétudes. Je pense au nucléaire. Je pense aux questions éthiques qu’éveille le progrès des biotechnologies. Je pense aussi à la façon dont nous devons mêler écologie et progrès scientifique.

Trop de découvertes scientifiques, je pense par exemple aux OGM, sont détournées et exploitées par des multinationales, souvent dans la plus grande opacité. C’est donc aussi en matière de transparence que se joue la crédibilité de la recherche scientifique.

Aussi, pour lever ces doutes et protéger le progrès scientifique de ces détournements, il nous paraît fondamental que la définition des orientations et des modes d’évaluation de la recherche émanent bien de choix collectifs. C’est pourquoi nous proposons la création d’instances nouvelles de dialogue entre la collectivité scientifique et l’ensemble de la société. La représentation de la diversité de la communauté scientifique y serait assurée ; son indépendance à l’égard de toute forme de pression serait également garantie. Et toute notre politique de recherche en serait affermie.

Je sais que vous portez cette exigence : Sauvons la recherche propose que le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie devienne un véritable « Parlement » de la recherche. Nous travaillons nous à la constitution, à l’échelle du pays, au plus près de la vie quotidienne des Françaises et des Français, d’un réseau de forums citoyens de la science, de la technologie et de la culture. Ces instances, nous les imaginons composées de chercheurs, d’élus locaux, de responsables associatifs et de simples citoyens.

Nous pensons qu’elles pourraient être saisies, partout en France, chaque fois que des citoyens en exprimeront le besoin. Elles seraient dotées de pouvoirs d’enquête sur pièce et sur place.

Elles pourraient ainsi répondre à beaucoup des questionnements et des doutes qui peuvent naître dans l’opinion à l’égard d’un certain nombre de découvertes scientifiques. Nos propositions sont complémentaires. Toutes attestent de notre volonté commune d’approfondir les liens entre les citoyens, les élus et les chercheurs.

Bien entendu, cette confiance que nous appelons de nos voeux, elle est impossible tant que l’indépendance des chercheurs pourra, de quelque façon que ce soit, être mise en cause.

C’est bien pourquoi le caractère public de la recherche est pour nous absolument incontournable. Un laboratoire dépendant des largesses de donateurs privés, quelle que soit la qualité et le sérieux de son travail, sera toujours objet de soupçon. C’est pour cela que nous proposons que le financement des laboratoires publics soit assuré pour au minimum 2/3 de leur montant par des crédits publics.

Certes, le caractère public du financement de la recherche n’est pas une garantie absolue. L’organisation de la nouvelle agence nationale de la recherche en est malheureusement la meilleure preuve. Sauvons la recherche dénonce à juste titre que le seul but de cette agence est d’assécher les crédits de tous les programmes qui n’auront pas été identifiés par le gouvernement comme utiles. Avec cette agence, les politiques publiques en matière de recherche risquent de se réduire à de simples aides à l’innovation technique. Nous partageons bien évidemment toutes ces critiques.

C’est bien pourquoi je suis particulièrement attachée à la préservation et au développement des grands organismes publics de recherche créés à la Libération. Leur apport comme leur potentiel sont indispensables.

C’est aussi au regard de notre attachement profond à la recherche publique que nous appréhendons la nature des liens entre le monde de la recherche et celui de l’industrie et des services. Nous refusons, d’abord, ce dévoiement de l’esprit même de la recherche qui consiste à la mettre à la disposition des seuls besoins d’innovation des entreprises.

Et parce que les sciences et les techniques sont une force productive absolument fondamentale, nous considérons qu’elles doivent être maîtrisées par notre peuple. Nous faisons donc le choix de la création d’un grand organisme public de la recherche technologique et industrielle. Sa mission sera claire : permettre à la Nation de maîtriser son développement économique. Libérer la recherche des exigences des grandes entreprises pour préparer les grandes inventions dont nous aurons besoin après-demain.

Cet organisme public, régionalisé pour être au plus près des besoins des populations et des exigences de développement des projets scientifiques et industriels, intégrerait les missions de l’Agence nationale pour la valorisation de la recherche ; il ferait reposer sur une base coopérative les relations, évidemment nécessaires, entre les laboratoires publics, les universités et les entreprises industrielles et de service. Il travaillerait donc à l’écart de toute pression économique ou politique. Ce qui signifie, pour nous, qu’il devrait disposer de toutes les garanties en matière de définition de ses propres orientations. Aucun pouvoir économique ou politique pourrait limiter sa capacité à explorer dans la durée tous les sujets qui lui paraissent importants. C’est la capacité d’initiative des chercheurs qui permet, à terme, la réalisation des grands projets. Nous justifions ainsi notre franche opposition avec les créations par le gouvernement de l’agence nationale de la recherche ou des pôles de compétitivité. Nous touchons aussi, sur ce point, nos interrogations sur les orientations de l’Union Européenne en matière de recherche.

L’agenda de Lisbonne annonce certes l’entrée de l’Europe dans une société et une économie de la connaissance. Ce que nous pourrions approuver sans ambages. Mais le problème est bien que cette économie de la connaissance a pour premier objectif de créer l’économie la plus compétitive du monde. C’est donc uniquement en matière de rentabilité économique que l’Europe évalue les bienfaits de la recherche. Ce sont ces conceptions étroitement utilitaristes qui justifient l’inquiétude des chercheurs travaillant dans des domaines de recherche considérés comme non prioritaires.

C’est aussi ce détournement de l’esprit même de la recherche qui justifie notre volonté de réorientation radicale des politiques communautaires. La recherche européenne telle que nous la concevons, elle repose sur les coopérations et le respect du métier de chercheur.

Dans cet esprit, nous nous prononçons pour la création d’une véritable structure démocratique, un Conseil européen de la science, qui serait composé pour 2/3 de ses membres de travailleurs scientifiques européens. Et plus largement, cette coopération que nous voulons avec l’Europe, nous souhaitons la développer avec les autres parties du monde.

La pression communautaire le montre bien : nous ne pourrons pas construire la recherche dont nous rêvons sans croiser le fer avec toutes ces forces libérales qui veulent instrumentaliser la recherche en France et en Europe.

Nous portons ainsi une toute autre conception de la vie et du métier de chercheur.

Il n’est ainsi pas possible d’avancer sereinement dans ses recherches lorsque l’on ne sait pas de quoi le lendemain sera fait. Oui, le travail des jeunes chercheurs et des doctorants doit être reconnu à sa juste, et souvent grande, valeur. Je propose donc, pour ces jeunes chercheurs, mais aussi pour protéger leur liberté de recherche, d’éradiquer toute la précarité qui leur est aujourd’hui imposée. Nous réclamons ainsi la revalorisation franche des rémunérations. Nous revendiquons, par exemple, la reconnaissance du grade de docteur dans les conventions collectives et un statut de doctorant se rapprochant de celui de fonctionnaire stagiaire.

Nous revendiquons également une politique de recrutement massive, à l’université comme dans les organismes de recherche, qui soit à la hauteur des besoins de notre société. Je ne développe pas, m’inscrivant tout à fait dans le cadre de vos propositions sur ce point.

Car ce n’est évidemment pas seulement l’organisation de la recherche française qui est en jeu. C’est aussi celle des moyens qui lui sont donnés pour répondre aux grandes questions scientifiques du moment !

Bien entendu, le CNRS ou l’INRA ne régleront pas seuls les problèmes du réchauffement climatique ou de la faim dans le monde. Ces problèmes sont d’abord politiques.

Mais leur résolution peut aussi être facilitée par l’avancée des sciences et des techniques. Notre responsabilité, à nous politiques, est donc aussi de vous permettre d’élaborer les technologies qui seront à l’avenir utiles au bien-être des hommes et des femmes de notre planète.

C’est pourquoi les communistes proposent de doubler les crédits de la recherche publique sur la prochaine législature.

Nous nous inscrivons ainsi en plein dans le mouvement que vous avez initié, avec Sauvons la recherche et les Etats généraux de la recherche à Grenoble, auxquels j’avais déjà eu l’occasion de m’adresser à vous, pour rendre à la recherche et aux universités françaises des moyens à la hauteur de nos ambitions.

En vous faisant cet engagement, je ne signe en aucun cas de chèque en bois ! Cet effort pour la recherche publique, je pense d’abord le financer par une exonération de TVA pour tous les établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur. Mais je milite surtout pour une véritable réforme fiscale qui ait le courage de relever les taux de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés et donc, d’aller chercher l’argent là où il est. Je défends une modification de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, qui frapperait tous les profits redistribués en dividendes ou investis sur les marchés financiers. Ce sont ainsi des sommes considérables que nous pourrions mettre à disposition de la recherche.

Mesdames, Messieurs,

Il y a deux ans, « Sauvons la recherche » est parvenu à mettre en débat la question de l’avenir de la recherche. Aujourd’hui, avec vos propositions, vous continuez ce débat en portant une conception de la recherche fondamentalement différente. Vous poursuivez votre action en posant des questions décisives pour la recherche, évidemment, mais aussi pour l’avenir de tout notre pays.

Je ne peux donc que vous encourager à persévérer dans votre démarche. La construction de votre mouvement, l’élaboration de vos propositions, la façon dont vous vous adressez aux candidats correspond parfaitement à ma conception de la politique, une conception qui repose sur l’intervention directe des citoyens et des citoyennes dans les débats et les prises de décision politiques.

Aussi, je vous souhaite bon courage !

Je vous remercie de votre attention.