Intervention de Laurent Fabius à l’Université d’automne de SLR (1er octobre 2006)
le 9 octobre 2006
Mesdames, Messieurs,
En vous remerciant de votre invitation, je veux d’abord rendre hommage à l’action que vous menez depuis près de trois ans. Votre démarche a contribué à sensibiliser nos concitoyens à l’importance de la recherche et de l’enseignement supérieur, leviers décisifs pour le rayonnement de la France, la compétitivité de notre économie et la solidité de notre croissance. Vous avez fait reculer le gouvernement, le forçant à revenir en partie sur les coupes financières inadmissibles de 2002. Votre mobilisation a abouti aux Etats généraux de la recherche de Grenoble, dont on sait la richesse. Tout cela est positif.
En commençant mon propos et avant de dialoguer volontiers avec vous, permettez-moi d’évoquer un souvenir personnel. Votre élan collectif m’a rappelé dans un autre contexte la dynamique née en 1981 - 1982 autour des Assises de la Recherche qui ont abouti à la loi d’orientation et de programmation de 1982. J’étais alors Ministre du budget, j’ai participé à ce mouvement et veillé à dégager des moyens importants pour notre recherche scientifique. Nommé ensuite Ministre de la recherche et de l’industrie, j’ai - et ce fut une tâche passionnante - mis en œuvre cette loi avant de transmettre le flambeau à Hubert Curien, dont j’évoque le nom avec affection. Sans idéaliser cette période, elle avait, je crois, imprimé un élan nouveau à la politique de recherche, avec une stratégie vigoureuse de l’emploi scientifique, et porté notre effort de recherche à un niveau proche des 2,5% du PIB contre moins de 2,2% aujourd’hui. L’expérience est un atout, à condition que l’on sache en tirer les leçons : j’évoque cette détermination passée pour dire qu’il nous faudra faire preuve d’une mobilisation encore plus forte à partir de 2007, dans un contexte où, plus que jamais, la recherche est la clef de l’avenir. J’évoquais H. Curien. C’est notamment grâce à lui que j’ai bien mesuré l’importance capitale de la recherche, et compris dans ce domaine la nocivité des à-coups ainsi que la nécessité du long terme. Il disait : « l’horizon de la recherche, c’est celui du forestier ». C’est une conviction essentielle. Candidat à l’investiture pour la Présidence de la République, je veux faire de la recherche une priorité de long terme pour la France.
1. QUELLE SITUATION NOUS LAISSERA LE GOUVERNEMENT ACTUEL ?
Nous partirons d’une situation qui, reconnaissons-le, n’est pas bonne. Les Etats généraux de la recherche ont voulu donner une base pour refonder notre système de recherche : j’aurais souhaité que le gouvernement en tienne compte ! Mais à travers sa loi sur la recherche, il n’a pas vraiment écouté le message des chercheurs. Comme s’il avait voulu donner raison à ceux qui pensent que la droite au pouvoir, guidée par son idéologie libérale, n’aime véritablement ni la recherche ni l’université. 1986, 1993, 2002... trois retours de la droite qui ont été autant d’années noires pour notre recherche avec des coupes claires dans les budgets. Annonçant celles de 2002, les amputations de 1993 avaient d’ailleurs été décidées par un ministre des finances nommé Nicolas Sarkozy. Ce spécialiste de la prétendue « rupture » devrait d’abord rompre avec cette mauvaise habitude de passer le budget de la recherche au karcher.
Cette loi gouvernementale, en effet ne permet pas de combler les retards et de nous rapprocher de l’objectif nécessaire des 3% du PIB. La programmation des crédits est aléatoire et même souvent insincère. Les augmentations affichées reposent sur des ressources incertaines provenant de recettes de privatisations et sur l’impact supposé de mesures indifférenciées comme le crédit d’impôt recherche. Les dépenses fiscales sont censées tripler en 5 ans alors qu’aucune évaluation sérieuse n’a été faite de leur impact réel sur les dépenses de recherche des entreprises. Le risque d’un effet d’aubaine au profit des grandes entreprises existe, alors qu’il faudrait concentrer les ressources d’abord sur les entreprises de taille moyenne à forte intensité technologique. Je ne condamne pas le crédit d’impôt recherche - c’est moi qui l’ai créé ! -, mais je souhaite qu’il soit mieux orienté vers les entreprises qui en ont le plus besoin et qu’il puisse favoriser, comme vous le demandez, l’embauche de docteurs par les entreprises.
La programmation retenue par le gouvernement est déséquilibrée. Les augmentations prévues concernent essentiellement les crédits sur projet étroitement pilotés par le ministère via l’Agence nationale pour la recherche (ANR), au détriment des crédits récurrents des universités et des organismes de recherche. Le décalage est flagrant entre des discours officiels ronflants et une réalité qui est souvent la misère des laboratoires et une situation matérielle indigne de beaucoup de nos chercheurs. Les budgets 2007 des organismes de recherche confirment cette stagnation. Je crois juste le diagnostic du précédent directeur général du CNRS : « Confier aux agences la très grande majorité des augmentations de crédits serait une catastrophe pour la recherche française. Si les organismes de recherche et les universités n’ont plus la capacité de mettre en œuvre la loi, le dispositif national est bancal et atrophié ». Pour cette raison, nous devrons redéfinir les objectifs, les moyens et le mode de pilotage de l’ANR.
Le nouveau pilotage du système de recherche prévu tend en effet à dessaisir les organismes de recherche et les universités. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de nier au pouvoir politique la capacité d’orienter et de définir des priorités. Doivent être par exemple amplifiés les efforts en faveur des nanotechnologies, des biotechnologies et des sciences de la vie - j’y reviendrai - mais aussi, compte tenu des bouleversements qui s’annoncent, pour l’énergie et le développement durable. Mais la méthode de pilotage retenue par la droite est très contestable.
D’abord, elle repose sur des nominations souvent discutables, venues interrompre des mandats en cours. Je pense notamment à ce qui s’est passé au CNRS, à l’IFREMER, ou au Président du Muséum. Quelle organisation peut fonctionner dans de bonnes conditions lorsqu’on en change les dirigeants tous les trois ans, voire plus rapidement encore ? Nous devons dans ce domaine comme dans d’autres pratiquer un Etat impartial. Les dirigeants d’organismes de recherche devront être nommés, après un appel à candidatures international, et choisis uniquement en fonction de leurs compétences et de leur projet pour l’organisme concerné.
Le type de pilotage actuel accroît la fragmentation et l’illisibilité de notre dispositif de recherche. En ajoutant de nouvelles structures aux institutions existantes, on fragilise les grands organismes de recherche sans améliorer les synergies indispensables entre enseignement supérieur et recherche. L’exemple de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est éclairant. Il était nécessaire de renforcer le dispositif d’évaluation, de le rendre plus transparent et de disposer par exemple d’une évaluation commune à l’ensemble des laboratoires du CNRS et des établissements d’enseignement supérieur. Au lieu de cela, le gouvernement bâtit une sorte de monstre bureaucratique qui dessaisit les organismes de recherche de l’évaluation de leurs laboratoires et leur ôte une bonne part de leur capacité de pilotage. Tout en maintenant la nécessité d’une évaluation comparative, il faudra simplifier le dispositif en s’appuyant sur les instances d’évaluation des organismes de recherche. Elles pourraient être utilisées pour évaluer les unités purement universitaires.
Le gouvernement a ainsi empilé les nouvelles structures au point que chaque laboratoire peut se trouver rattaché à plus de 5 structures administratives. Nous devrons repenser cela. Les chercheurs et les universitaires devront être associés à cette réflexion sur la simplification administrative de notre recherche. J’adhère tout à fait aux principes que vous énoncez pour les laboratoires : réactivité et souplesse de fonctionnement.
De plus, la loi refuse, j’y reviendrai, de prendre à bras le corps la question des universités, qui - c’est une donnée centrale - ne peuvent pas être laissées à l’écart d’une véritable stratégie pour notre recherche.
Enfin, elle ne redonne pas une attractivité suffisante aux métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche. En refusant toute programmation de l’emploi scientifique, elle ne fournit pas le signal réel qui est indispensable pour les jeunes désirant s’engager dans ces carrières. Le pacte entre la recherche et la Nation n’est pas davantage repensé, alors même qu’il est urgent de structurer un débat entre les scientifiques et la société civile pour définir ensemble une véritable politique du progrès.
Les défauts de cette loi et son manque d’ambition sont d’autant plus préoccupants que le positionnement international de notre pays en matière de recherche se dégrade. Nous restons en volume la cinquième puissance mondiale, mais nous stagnons ou reculons quand d’autres progressent ou émergent : la France est parmi les pays développés celui qui a connu la plus faible croissance de la dépense intérieure de recherche et développement sur les dix dernières années (+2,7% en volume), loin derrière les pays scandinaves. La Chine est désormais la 3ème puissance mondiale en volume, et la croissance annuelle de sa dépense de recherche dépasse 10%. Les Etats-Unis consacrent 2,7% de leur PIB à la recherche. Leur effort est, en valeur relative, le triple du nôtre pour l’enseignement supérieur. A cela s’ajoute le fait que nous perdons des places dans l’impact de nos publications scientifiques, nos voisins britanniques faisant mieux que nous avec un effort financier moindre. Notre position en matière de brevets se détériore et nous restons loin derrière l’Allemagne dont la part dans le dépôt de brevets est le triple de la nôtre. Nous devons réagir, nous devons agir. Pour la recherche et pour l’enseignement supérieur, nous devrons changer de politique en 2007 et engager une nouvelle donne scientifique sur le long terme.
2. JE SOUHAITE ET JE PROPOSE QUE NOUS PORTIONS UNE NOUVELLE AMBITION POUR LA RECHERCHE ET L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
Augmenter notre effort en faveur de la recherche publique
Le projet qu’a adopté le parti socialiste prévoit d’augmenter, sur la durée de la législature, le budget de la recherche de 10% par an, ce qui permettra d’atteindre effectivement l’objectif des 3%. Cet effort considérable s’appuie sur une analyse différente de celle du gouvernement actuel, mais aussi de la Commission européenne dans le cadre du processus de Lisbonne. Cette politique part en effet de l’idée que notre effort public serait suffisant et que pour atteindre les 3% du PIB, c’est seulement une augmentation de l’effort de recherche privé qui serait nécessaire.
En réalité, il faut agir sur les deux. Notre effort public reste trop concentré sur quelques secteurs de souveraineté (espace, nucléaire, aéronautique) où nous connaissons des succès, qu’il faudra évidemment prolonger. Mais, il est insuffisant dans des secteurs de recherche fondamentale comme les sciences de l’information et de la communication ou les sciences de la vie alors que celles-ci sont susceptibles d’entraîner de fortes retombées, notamment dans le domaine économique, tant les industries de la santé ou de l’électronique reposent sur des processus liés à la recherche.
Dans le même temps, notre aide publique à la recherche industrielle est l’une des plus importantes et représente un montant très supérieur aux contrats de recherche des entreprises passés avec la recherche publique.
Quant à l’effort de recherche privé, il ne se bâtit pas uniquement à coup d’aides fiscales mais il doit être le résultat d’une politique volontariste de détection des compétences par l’enseignement supérieur, pour attirer les meilleurs chercheurs et encourager les coopérations entre recherche publique et privée, tout en mettant fin sur ce dernier point à une certaine anarchie des aides nationales et territoriales. L’augmentation de l’effort public en faveur de la recherche est une priorité et il faut évidemment cesser, contrairement à l’actuelle majorité, d’opposer recherche fondamentale et recherche appliquée.
Pour un plan pluriannuel 2007-2017 de l’emploi scientifique
Dans ce cadre, un des axes forts de notre action sera la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, brutalement interrompu en 2002. Je m’engage sur la mise en place de ce plan pluriannuel. La conférence des présidents d’université l’a souligné : les promesses contenues dans le pacte pour la recherche ne seront pas respectées dès 2007. Il existe actuellement des secteurs où les docteurs ont du mal à trouver un emploi correspondant à leur qualification, d’autres où nous risquons dans les prochaines années d’avoir un vivier insuffisant de futurs chercheurs de qualité. Par manque d’attractivité dans certains domaines scientifiques, les métiers de chercheurs et d’enseignants-chercheurs chez nous sont en concurrence, soit avec des métiers plus rémunérateurs d’ingénieurs ou de gestionnaires, soit avec l’exercice du métier de chercheur à l’étranger. Ce plan est donc urgent.
Le plan pluriannuel 2007-2017, indispensable pour éviter les « coups d’accordéon » destructeurs dans les recrutements et travailler à long terme, devra prendre en compte, outre le remplacement des nombreux départs à la retraite et les créations d’emplois dans les secteurs prioritaires, les équilibres sectoriels ainsi qu’entre chercheurs et enseignants-chercheurs. Il devra comporter des mesures rendant plus attractives les études scientifiques et l’entrée dans la carrière de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs. Il inclura des mesures incitatives pour l’embauche des docteurs dans la recherche privée, comme, par exemple, une part plus forte du crédit d’impôt liée à l’embauche de docteurs. Il devra favoriser le rapprochement des métiers de chercheurs et d’enseignants-chercheurs s’appuyant sur une participation plus large des chercheurs à l’enseignement et sur une modulation du service des enseignants-chercheurs permettant pour les jeunes chercheurs de disposer de périodes dédiées majoritairement à la recherche.
L’élaboration de ce plan devra s’appuyer sur une consultation large de la communauté scientifique, d’autant plus que vous avez déjà beaucoup travaillé sur ces questions.
Un grand programme pour les sciences de la vie
D’un point de vue plus sectoriel, il me parait nécessaire de lancer un grand programme pour les sciences de la vie. C’est un des domaines promis à la plus forte croissance. La demande de santé et de soins progresse plus vite que l’économie en général. Les besoins sont immenses si l’on tient compte de ce que sera demain la demande des pays du Sud. La France possède un grand acquis et des références en ce domaine, mais elle a pris un retard qu’elle doit combler. Un tel programme devra mobiliser les acteurs de la recherche publique et ceux du monde industriel, avec à la fois un effort intensif de recherche fondamentale et appliquée et des mesures permettant de passer au stade de la concrétisation dans les entreprises, en améliorant les dispositifs existants (réorientation des pôles de compétitivité et des mesures d’aides fiscales, création de moyens d’investissements en fonds propres dans les PME du secteur confié à l’ANVAR). Ce grand programme pour les sciences de la Vie devra être mené en coordination efficace avec nos partenaires européens en lui donnant un caractère prioritaire dans le programme cadre de recherche et de développement (PCRD) et dans l’emprunt de la Banque Européenne d’Investissement destiné au financement de projets innovants. Les thèmes suivants pourraient notamment être mis en avant :
• nouveaux vaccins et développement de nouvelles classes d’antibiotiques, visant les maladies des pays riches et des pays pauvres, • mise au point de traitements à partir de recherches avancées sur les cellules souches, recherches qui ne doivent pas être entravées par ceux qui fondamentalement refusent le progrès, • lancement de produits innovants en matière de protection de l’environnement, • combinaison de l’électronique, de la biotechnologie et des nanotechnologies pour développer des « puces à ADN », plus performantes pour le diagnostic, • développement à grande échelle des thérapies géniques.
Mieux prendre en compte la dimension européenne
Alors que l’Europe est appelée à jouer un rôle central dans la recherche scientifique, elle est absurdement absente de la loi recherche. Erreur complémentaire : le gouvernement a délibérément contribué à limiter le budget européen en matière de recherche et de programmes d’échanges d’étudiants.
La revalorisation d’ensemble du budget de l’Union, à laquelle je suis favorable, permettrait d’accroître la part actuellement consacrée aux dépenses de recherche et de développement en son sein.
De même, des efforts coordonnés et massifs sont indispensables pour le développement de la recherche dans le secteur des énergies renouvelables et des économies d’énergies. La mise en place d’agences européennes dans des domaines comme l’océanographie, la recherche pour le développement sera utile. A côté des programmes de la Commission Européenne et du Conseil Européen de la Recherche (ERC) qui se met en place, le futur gouvernement devra aider et inciter nos grands organismes de recherche et nos universités à nouer de nouveaux partenariats dans l’espace européen. Le CNRS, l’INSERM, ou l’INRA doivent se penser comme des acteurs à l’échelle européenne et plus seulement nationale. Cela augmentera l’attrait des jeunes chercheurs étrangers qui connaîtront mieux ainsi la qualité et le dynamisme des chercheurs français.
3. UNE RECHERCHE FORTE EST INDISSOCIABLE D’UN ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DE QUALITE
L’erreur a souvent été commise dans le passé de dissocier recherche et enseignement supérieur. Tirons-en les leçons. Une nouvelle ambition pour la recherche devra évidemment prendre en compte l’enseignement supérieur. Les enseignants-chercheurs et la recherche universitaire constituent aujourd’hui notre principal potentiel de recherche publique. La montée en puissance de la recherche universitaire a été facilitée par de forts liens avec les organismes de recherche. Cette situation est différente de celle de 1982 quand avait été élaborée la loi sur la recherche, période où les universités en tant qu’institution ne jouaient pas le même rôle dans la politique de recherche. C’est d’ailleurs un des grands mérites des universités d’avoir en vingt ans su accueillir, dans un contexte de sous-financement, deux fois plus d’étudiants, tout en structurant une recherche universitaire de qualité et en entrant avec détermination dans le LMD. Je veux rendre hommage à cet égard à la communauté universitaire et aux présidents d’universités, qui ont montré une capacité d’adaptation et d’anticipation remarquable.
En même temps, il faut reconnaître - et c’est un point sur lequel insistent les conclusions de vos états généraux - que les faiblesses de l’université et notamment de son mode de gouvernance constituent un obstacle au double rapprochement nécessaire entre universités et organismes de recherche ainsi qu’entre universités et grandes écoles. L’effort budgétaire que nous prévoyons dans notre projet en faveur de l’enseignement supérieur, nous amenant aux standards internationaux, devra être accompagné de réformes portant sur le fonctionnement de l’université.
Ce sujet est délicat mais capital et je voudrais proposer à votre examen critique quelques principes :
1. L’autonomie des universités présentée parfois à tort comme contraire à la démarche de la gauche est largement le fruit du mouvement de 1968. Elle a été réaffirmée en 1984 et elle caractérise toutes les grandes institutions universitaires. Pour moi, « autonomie accrue » ne veut absolument pas dire absence de règles. Pas davantage elle ne signifie, comme le proposent certains y compris parfois à gauche, une « régionalisation » des universités. Je suis partisan que l’Etat conserve un rôle de régulation nationale, à travers notamment le processus de dialogue contractuel que nous avons initié. L’accroissement progressif de l’autonomie devra avoir pour corollaire une évaluation renforcée. Le mode de gouvernance devra trouver un équilibre entre un pouvoir présidentiel indispensable mais respectant les droits des composantes, le maintien d’un caractère démocratique et l’existence d’instances, notamment scientifiques ou stratégiques, faisant appel à des personnalités extérieures. Ces équilibres pourront varier d’un établissement à l’autre. Nous encouragerons les universités à se doter de conseils scientifiques internationaux et à réaliser des appels d’offres ouverts pour assurer leur présidence.
2. Il n y a pas, a priori, d’incompatibilité entre la nécessaire démocratisation des universités et la constitution d’universités capables de rivaliser avec les universités étrangères les plus renommées. On peut admettre une certaine différenciation des universités. Toutes les universités françaises n’ont pas exactement les mêmes missions dans les mêmes proportions. Il ne s’agit cependant pas de les hiérarchiser, mais de mieux les faire travailler en réseau au sein d’une même région. Il s’agit aussi de faire en sorte que tout enseignant-chercheur puisse, dans le cadre des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), être rattaché à un laboratoire de haut niveau.
3. L’échec constaté en premier cycle universitaire, que certains exploitent à des fins polémiques, est avant tout un échec des bacheliers technologiques et professionnels, alors que les bacheliers généraux réussissent plutôt bien. Si, comme nous le proposons, tout bachelier technologique et professionnel obtient un droit effectif à une inscription dans une filière technologique supérieure courte, le taux d’échec dans les filières généralistes sera nettement diminué. Là où les dirigeants de la droite proposent d’introduire une sélection à l’entrée des premiers cycles universitaires, je propose de mieux satisfaire les demandes des bacheliers dans toute leur diversité. Selon cette même démarche, les mesures que nous envisageons visent à égaliser progressivement les moyens d’encadrement des différentes filières d’enseignement supérieur (IUT, STS, Classes préparatoires aux grandes écoles et premier cycle universitaire), afin de corriger l’inégalité qui consiste à mieux encadrer les élèves déjà les plus favorisés. Enfin, je soutiens l’idée d’un accès garanti aux classes préparatoires et aux filières sélectives en faveur des élèves issus des quartiers difficiles.
4. Une autre nécessité est le rapprochement entre les universités et les grandes écoles. Chacun sait ici que le système français est spécifique, avec sa « double dualité » entre universités et grandes Ecoles et entre universités et organismes de recherche. Ce système possède une histoire et des réussites mais notre « élite » est insuffisante en nombre, trop concentrée et pas assez formée par la recherche. Il serait illusoire d’envisager à court terme une intégration brutale des organismes de recherche et des grandes écoles dans les universités. En revanche je suis partisan de favoriser les rapprochements et les synergies. S’agissant des rapports entre les organismes de recherche et les universités, d’ailleurs liés à travers le système des unités mixtes, leur collaboration doit s’exercer dans le cadre des pôles de recherche et d’enseignement supérieur et elle doit évoluer vers une relation plus partenariale, une « coopération renforcée » allant au-delà du seul soutien à des laboratoires communs. Concernant les rapprochements entre universités, écoles et classes préparatoires, les collaborations sont fortes en matière d’études doctorales et parfois de laboratoires communs. Trois mesures précises pourraient être prises :
sur le modèle des ENS, faire en sorte que tout élève de grande école suive une partie de ses cursus à l’université,
créer au sein même de l’université des classes préparatoires aux écoles d’ingénieurs, de commerce ou aux écoles normales,
multiplier les voies d’accès aux grandes écoles après un premier cursus universitaire.
5. Enfin, l’augmentation des moyens des universités et les réformes qualitatives nécessaires devront conduire rapidement à une loi d’orientation et de programmation pour l’enseignement supérieur. L’élaboration de cette loi devra associer très largement la communauté scientifique et universitaire dans son ensemble suivant une formule qui pourrait être analogue à celle que vous avez conduite pour les Etats généraux de la recherche.
Mesdames, Messieurs, chers amis, Nous ignorons une bonne part de ce qui déterminera notre futur mais nous savons que la matière grise sera la vraie richesse des Nations. Sans un effort de grande ampleur dans les domaines de la recherche et de l’enseignements supérieur, nous serions condamnés, selon les termes de Philippe Aghion et d’Elie Cohen, à être une économie d’imitation et non une économie d’innovation ; je dirais même : une « société d’imitation » et non d’innovation. Qui peut croire que notre société, notre économie, française et européenne, tiendra durablement sa place face à l’Inde et à la Chine si elle n’est pas tirée par le haut grâce à un processus d’innovation continue ? Allons-nous, comme l’imaginent nos opposants « libéraux », tirer notre épingle du jeu en réduisant les salaires, en asséchant le financement de nos services publics et en rognant notre système de protection sociale ? Ne devons-nous pas plutôt, comme nous le proposons, miser sur la compétitivité par le haut et la performance durable des hommes et des territoires grâce à la promotion de l’excellence ?
La France est une grande Nation scientifique. Le progrès technologique mondial a souvent pris naissance dans nos laboratoires et dans nos écoles. Mais du retard a été accumulé ces dernières années, vis-à-vis des Etats-Unis, des nouveaux géants du Sud et d’autres pays de l’Union européenne. Et il est plus « aisé » de prendre du retard que de le rattraper. Nous ne pouvons pas rester sur le bord du chemin. Tous les enjeux de demain - allongement de la vie, après-pétrole, et plus globalement développement durable - réclament un effort accru de recherche. Cette obligation ardente concerne aussi les sciences humaines et sociales, nécessaires pour penser l’évolution du monde et servir d’appui aux politiques publiques en matière d’agronomie, de transports, de santé ou d’éducation. Républicain, laïc et homme de gauche, je crois fondamentalement au progrès. Je pense que le progrès technologique et scientifique ne doit pas être dissocié du progrès économique, social et environnemental. Je me reconnais dans le slogan d’un de nos grands services publics : « le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ». Je sais comme vous qu’en ce début du XXIème siècle, notre confiance dans le progrès ne peut pas être aveugle : nous mesurons les dérives et les dangers d’un progrès qui ne serait pas maîtrisé. Ce que j’appellerais volontiers une « politique du progrès » doit nous permettre de maîtriser le développement technologique afin qu’il ne porte pas atteinte à nos éco-systèmes, au développement durable, à notre santé, mais au contraire qu’il reste fondamentalement au service de nos valeurs humanistes et éthiques.
Dans ce cadre, une ambition nouvelle est nécessaire pour notre recherche et pour notre enseignement supérieur. Les solutions, je crois avoir évoqué les principales : effort financier accru en faveur de la recherche et des universités ; décloisonnement des structures afin de créer les synergies nécessaires entre recherche fondamentale et recherche appliquée, entre recherche et innovation, entre organismes de recherche et établissements d’enseignement supérieur, entre dimension nationale et dimension européenne ; nouvelles priorités sectorielles comme les sciences de la vie et les énergies renouvelables ; amélioration du pilotage d’ensemble du système et de la gouvernance des organismes de recherche et des universités. Et, couronnant le tout, inspirant le tout, une stratégie de long terme : l’horizon du forestier et non le regard du myope.
Mesdames et Messieurs, Votre communauté, victime de mesures injustes et délétères pour l’avenir de notre Nation, a su se mobiliser. D’une certaine façon, la gauche a rendez-vous avec la recherche et l’enseignement supérieur en 2007. Nous ne devons pas vous décevoir. Je ne crois pas à la France du chacun pour soi et du marché pour tous. Je ne veux pas d’une société française brutale et précaire. Ma conviction est que la France peut être plus forte si elle sait être plus solidaire dans l’espace et dans le temps. L’Etat et les acteurs publics doivent rester des défricheurs du futur. La recherche est notre chance. Je souhaite y consacrer toute l’énergie que réclame notre avenir.