Intervention de France Gammerre à l’université d’automne de SLR (30 septembre 2006)
le 13 octobre 2006
Pour une recherche au service du public et non des intérêts privés
Par France GAMERRE, Présidente de Génération Ecologie
Préambule
Étant issue du milieu de la Recherche et ayant œuvré pour elle toute ma vie, soit comme chercheur, soit comme responsable des relations internationales à l’Université, j’ai donc eu largement le temps de me faire une opinion personnelle sur les objectifs et le fonctionnement de la Recherche en France et de la comparer avec celles des autres pays.
C’est pourquoi, je suis particulièrement heureuse et intéressée de participer au débat que vous menez aujourd’hui.
Ma vision est donc certainement plus personnelle que celle de la plupart des candidats qui m’ont précédée car elle vient en grande partie de mon expérience et de celle de mes collègues de travail.
Le sens de la Recherche
La recherche a toujours était indépendante. Elle est certes le fait d’individus isolés, d’équipes, de laboratoires ou de réseaux, mais c’est avant tout la curiosité et le besoin de comprendre « ce qui se trouve derrière chaque chose » qui a motivé les chercheurs et leur a permis d’avancer. La société peut leur donner des priorités, des missions, des directions, des incitations mais ne peut en aucun cas leur donner des ordres, des cibles et des échéanciers.
Ce serait un non sens !
En effet, de plus en plus, on donne aux chercheurs des crédits en fonction d’objectifs précis, la plupart mercantiles, dans un temps déterminé. Cela suppose que le donneur d’ordre (en général un non scientifique) connaît donc par avance la solution. Alors pourquoi chercher si on connaît par avance le résultat.
C’est donc une absurdité de vouloir encadrer militairement ou commercialement les chercheurs car ce sont les seuls qui éventuellement peuvent dire s’ils ont des chances d’aboutir et dans quelles directions ils doivent chercher.
L’encadrement politique et administratif, de plus en plus pesant et rigide, des chercheurs va à l’encontre de « l’esprit de la recherche » et conduira, tôt ou tard, à son tarissement ou du moins à sa stagnation. Certes les chercheurs ont de plus en plus besoin d’outils performants et de crédits, mais ce n’est pas en leur demandant de plus en plus de rendement ou bien de justifications, à tout bout de champ, qu’on obtiendra de bons résultats.
Dans certains cas, la charge administrative ou la requête de crédits dépassent largement le temps effectif de Recherche ou d’Enseignement.
On en arrive donc à une situation absurde et je pense que les responsables de la Recherche Française, à force de vouloir imiter celle « made in USA » mais avec la lourdeur de l’appareil d’État Français, entraîne nos chercheurs sur de fausses routes.
Quels buts et quelles missions pour la Recherche.
Je distinguerai le but premier et fondamental de la Recherche, du but que poursuivent les dirigeants
Le but premier de la Recherche, c’est d’augmenter la connaissance dans tous les domaines pour la mettre à disposition des citoyens et de la société. La Recherche Fondamentale alimente donc la Recherche Appliquée mais aussi l’Enseignement et la Transmission des Connaissances d’une génération à l’autre.
La recherche devrait donc favoriser le bien être des citoyens, qu’il s’agisse de leur santé, de leur environnement, de leur qualité de vie ou de leur développement intellectuel.
Dans ces conditions les chercheurs devraient avoir des comptes à rendre aux citoyens et à la société et non aux dirigeants d’entreprises, aux politiciens ou aux administratifs comme c’est le cas actuellement.
Or, actuellement les dirigeants confondent de plus en plus Recherche Fondamentale et Recherche Appliquée, parce qu’en fin de compte, ils veulent se débarrasser de la Recherche Fondamentale qui leur pose des problèmes financiers. Ils préfèrent se consacrer à ce qui leur tient le plus à cœur, leur réélection
Pour être réélu, il faut donc satisfaire l’électeur dans les plus brefs délais, c’est-à-dire en moins d’un mandat. Or, la Recherche est, en général, une affaire de long terme. Alors autant la confier à l’industrie, surtout si l’on croit que c’est par l’abondance de biens matériels pour tous qu’on gagnera les suffrages des électeurs.
Voilà pourquoi on assiste à la grande braderie de la Recherche Fondamentale et à son étouffement progressif, au profit d’une recherche directement commercialisable.
Bien entendu les hommes qui mettent sciemment en œuvre cette politique de destruction de la Recherche Fondamentale ne souhaitent pas en porter la responsabilité. Ils essayent donc de la faire supporter par les chercheurs, en utilisant plusieurs moyens :
en dénigrant systématiquement les chercheurs,
en restreignant les crédits et les postes,
en les étouffant dans un carcan administratif,
en les surveillant de plus en plus étroitement
en les décourageant par des demandes en un nombre astronomique d’exemplaires administratifs
en confiant leur avenir et l’avenir de la Recherche, non pas à des commissions d’élus dans le milieu de la Recherche, mais par des experts nommés et recrutés souvent à l’étranger.
En clair les Gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, se désintéressent complètement de la Recherche et souhaitent que celle-ci soit prise en main par le secteur privé. Le célèbre MITI japonais est bien dans toutes les têtes de nos gouvernants.
Quelles missions confier à la Recherche
Ce que les citoyens attendent de la Recherche est tout autre. Les citoyens veulent :
qu’elle aide à réparer les dégâts causés par la société industrielle et notamment à l’environnement. Dégâts que certains voudraient bien attribuer justement aux chercheurs comme catalyseurs de l’essor industriel. Dans les débats sur les OGM, on cible les chercheurs comme des « apprentis sorciers » mais pas les industriels de l’agro-alimentaire qui pourtant sont les seuls qui s’enrichissent dans cette affaire.
qu’elle aide à surmonter les crises futures : crise de l’énergie, de la diminution des ressources naturelles, crise de l’agriculture, etc. C’est pourquoi, je pense que tout projet de Recherche doit pouvoir se développer sans contrainte ni sans « à priori ». Ce sera aux citoyens de dire ensuite si les résultats sont acceptables ou non et s’ils doivent être mis sur le marché.
La meilleure illustration est celle du Projet de recherche ITER auquel je suis favorable. Nul ne sait s’il aboutira un jour, mais nul ne sait aujourd’hui s’il ne va pas sauver l’humanité d’un chaos énergétique. C’est pourquoi je soutiens les chercheurs d’ITER. Nous verrons bien, au moment de passer au stade industriel, si on doit franchir le pas ou s’il est préférable de s’en abstenir.
-qu’elle serve de guide dans l’avenir. Nul n’est mieux placé que le chercheur pour savoir ce qu’il sera possible et moralement acceptable de faire demain. C’est pourquoi réduire les chercheurs à de simples exécutants ou de simples robots au service de l’industrie, c’est les désigner par avance à la vindicte publique et c’est profondément injuste !
-qu’elle assure directement la transmission et la diffusion du savoir. C’est en pouvant s’expliquer directement avec les étudiants et avec le public d’une manière pédagogique, que le chercheur rendra le meilleur service à la société.
Actuellement ce savoir est transmis par les médias qui le déforme ou les transforme pour le rendre plus sanglant, plus provocateur, plus extrémiste, plus accrocheur ou encore plus spectaculaire.
-qu’elle soit neutre politiquement. La Recherche comme l’Écologie ou le sport n’ a pas a être de droite ou de gauche. Elle doit être (comme les chercheurs d’ailleurs) au service de tous les français et non pas au service d’un parti politique ou d’une organisation privée quelle qu’elle soit.
-enfin, qu’elle soit un modèle pour l’Europe et la mondialisation. En tant qu’ex- responsable des Relations Internationales, j’ai suivi et souvent précédé des chercheurs à l’étranger et j’ai pu voir combien la recherche est Internationale. Les chercheurs sont les mieux placés pour entreprendre une mondialisation des savoirs , d’ailleurs « inventeurs de l’Internet », ils sont depuis longtemps en Réseau International.
Comment faire ?
Vous allez me dire : « tout ça c’est bien beau , c’est de belles paroles mais que proposez vous si vous êtes élue ? ».
D’abord, je n’ai pas la prétention de penser que je puisse être élue Présidente de la République en 2007, mais cela ne m’empêche pas de faire des propositions.
Je rétablirai la démocratie au sein des instances et je redonnerai la parole aux chercheurs dans les commissions en changeant les proportions élus / nommés (2/3 d’élus et 1/3 de nommés).
Le projet de décret de l’AERES (Agence d’Évaluation des Laboratoires) qui écarte les chercheurs de cette instance est une aberration de plus. Si ce projet de décret passe, la Recherche sera évaluée uniquement par des nommés du Gouvernement. Autrement dit, beaucoup d’industriels viendront faire leur marché dans la Recherche publique ou imposer les sujets qui les intéressent au sein de la Recherche Fondamentale.
Je séparerai nettement la Recherche Fondamentale et la Recherche Appliquée par deux directions distinctes au sein du Ministère de la Recherche, chacun avec des budgets seraient propres. La Recherche Militaire qui occupe la majeure partie du budget de la Recherche doit être imputée au Ministère des Armées et non à celui de la Recherche. Il en de même pour la Recherche Industrielle. Dans beaucoup de pays, comme les Etats-Unis ou le Japon, la pauvreté de la Recherche Fondamentale face à la Recherche Appliquée fait qu’ils recrutent des chercheurs venant d’autres pays où les Recherches Fondamentales sont plus développées ( Europe et Russie). La France n’aura pas les moyens financiers de s’offrir ce luxe !
Je redéfinirai les missions des chercheurs en incluant dans tout projet « d’application possible dans l’industrie ou le commerce » des études d’impacts environnementaux et sociaux. Mais il ne saurait y avoir relance de la Recherche, ni redéfinition de ses missions, sans une discussion prospective avec les chercheurs. Je commencerai par mettre en place un débat identique à celui des « Assises de la Recherche » de 1982 qui, malgré son caractère autocratique et dirigiste, a donné quelques résultats intéressants.
J’indexerai le budget de la recherche sur le PIB du pays en prenant comme repère le taux moyen des cinq pays les plus performants dans ce domaine (entre 2.5 et 3% du PIB contre 1.2% actuellement). L’augmentation des budgets et des postes est nécessaire si l’on ne veut pas que la Recherche Française s’asphyxie ou soit à la traîne d’autres pays.
Je conserverai l’idée d’une agence de moyens qui est une bonne chose si elle est contrôlée par les chercheurs eux-mêmes et non par les responsables politiques ou le secteur privé.
Je rattacherai les Grandes Écoles qui font de la Recherche Fondamentale à l’Université comme cela se pratique dans la plupart des pays. La concurrence entre les chercheurs étant plus souvent individuelle que collective.
J’inclurai dans le contrat du chercheur une clause de « réserve morale », identique à celle des contrats de journaliste, pour le cas où le chercheur ne serait pas moralement d’accord avec les recherches qu’on lui assigne.
Je demanderai que l’évaluation du travail des chercheurs ne soit pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif. Que les tâches d’enseignement, de diffusion, d’administration et de conseil qui font partie des missions du Service Public, soient prises en compte avec des coefficients fixes affectés à chacune d’elles.
Je mettrais en place un grand Conseil Permanent Européen de la Recherche, toutes disciplines confondues . J’ai été ,en 1992 l’une des fondatrices (puis Présidente) de l ‘EAIE ( Association des Universités Européennes ) qui regroupe la plupart des Universités d’Europe. Je sais combien il est important pour les chercheurs et les universitaires de confronter leurs méthodes et leurs expériences.
Enfin, il ne saurait y avoir de bonne recherche sans bons chercheurs et si les meilleurs partent à l’étranger, faute de perspectives, la Recherche Française deviendra une recherche de seconde zone. Les chercheurs français ne doivent pas être aussi mauvais que ce que les gouvernant le disent car l’étranger essaie de nous prendre nos chercheurs et pas nos Énarques.
-Conclusion
En conclusion , je dirai qu’un pays moderne ne peut prétendre à un avenir sans une bonne Recherche. Celle-ci intervient dans tous les domaines même si elle souffre (comme l’Écologie d’ailleurs) d’un manque d’urgence visible par les citoyens et les hommes politiques.
Être un homme (ou une femme) politique responsable, c’est savoir garder à l’esprit les priorités pour l’avenir. Pour moi la recherche est une des clés de l ‘Avenir
France Gamerre , Présidente de Génération Ecologie
Candidate déclarée à l’élection présidentielle.