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Que vaut le doute scientifique sans les compétences ?

Par Florent Domine, le 10 novembre 2006

Claude Allègre, utilisant sa notoriété de grand scientifique et d’homme politique, bénéficie encore d’espace dans la presse pour propager ses idées particulières auprès d’une population qui ne sait plus à quel saint se vouer (Point du vue publié dans Le Monde du 9 novembre 2006).

Je suis d’accord à 100 % avec M. Allègre quand il explique que le propre de la démarche scientifique est de contester et de douter de théories, même solidement établies. De telles remises en question ont permis des avancées spectaculaires, comme par exemple l’élaboration de la théorie de la relativité.

Cependant, on ne peut pas raconter n’importe quoi juste parce qu’en principe il est légitime de douter. Encore faut-il être compétent sur le sujet qu’on conteste. Je viens d’interroger une base de données concernant les publications scientifiques de Claude Allègre. Le résultat est sans appel : l’ancien ministre géophysicien n’est l’auteur d’aucune publication scientifique où le mot climat figure dans le titre ou le résumé.

J’ai demandé à cette banque de données la liste des publications de M. Allègre afin de vérifier. L’analyse a été compliquée par le fait qu’il existe un autre C. Allègre qui travaille sur l’obésité (et qui sait, peut-être sur le dégraissage des mammouths ?), mais je n’ai toujours vu aucune trace de la moindre compétence prouvée de M. Allègre en matière de climat.

De quoi M. Allègre se mêle-t-il donc ? Comme autrefois le volcanologue Haroun Tazieff (secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs entre 1984 et 1986, décédé en 1998), ses succès en politique lui sont montés à la tête. M. Tazieff, de son temps, avait dénoncé un complot contre l’industrie chimique et nié l’existence du trou dans la couche d’ozone

Qui oserait aujourd’hui prétendre qu’il n’y a aucun rapport entre l’émission de chlorofluorocarbures (et non pas chlorofluorocarbones, comme le dit à tort M. Allègre, qui sait pourtant tant de choses...) et la destruction de l’ozone stratosphérique ? Il n’a pas fallu une génération pour que tout le monde soit convaincu qu’Haroun Tazieff n’était pas crédible en dehors de son domaine, la volcanologie.

UNE IDÉE DE 1896

Quant au lien entre CO2 et réchauffement, qui doit, selon M. Allègre, être prouvé et testé par le temps, je lui rappelle gentiment que cette idée date de 1896. Elle a été émise par un certain Svante Arrhenius, Prix Nobel de chimie 1903 ("On the influence of carbonic acid in the air upon the temperature of the ground". Philosophical Magazine and Journal of Science, vol. 41, n° 251, pp. 237-276.)

Claude Allègre s’apercevrait en lisant ce long article que M. Arrhenius ne s’est pas trompé de beaucoup en prédisant l’effet du CO2 sur la température. En clair, une idée de 1896 a été testée et confirmée par cent dix ans de mesures et de calculs.

Un recul de cent dix ans, cela suffit-il à M. Allègre ? Ou bien, au motif qu’il existe encore quelques imperfections dans notre compréhension d’un phénomène aussi complexe, faut-il attendre encore cent dix ans que la Terre explose ?

Florent Domine est directeur de recherche au CNRS