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Du Pacte à la crise du CNRS

le 16 novembre 2006

La mise en place du Pacte pour la Recherche éclaire chaque jour un peu plus sur les véritables intentions du pouvoir. L’une d’entre elles est d’affaiblir les organismes de recherche et les universités au profit de nouvelles structures placées sous le contrôle direct du ministère, au premier rang desquelles se trouve l’ANR. Le CNRS est aujourd’hui le plus directement visé par ces attaques comme en témoignent les récentes déclarations de sa Présidente, Catherine Bréchignac, dont nous vous proposons une analyse à http://recherche-en-danger.apinc.or...).

A l’occasion du vote du budget 2007, qui signe une nouvelle fois un recul important par rapport aux engagements pris par le gouvernement (voir http://recherche-en-danger.apinc.or...), les syndicats de la recherche appellent à une manifestation nationale. Bien que n’ayant pas pris part à la préparation de cette action, SLR considère qu’il est urgent de rompre le silence actuel de la communauté scientifique qui facilite la mise en place de cette politique. SLR sera présent à cette journée pour en faire le point de départ d’une nouvelle mobilisation pour les mois à venir.

L’association "Sauvons La Recherche"

Une déclaration récente de Catherine Bréchignac, présidente du CNRS, (interview aux Echos, 30 octobre 2006), a provoqué la stupéfaction des scientifiques, et pas seulement des biologistes directement visés par ses propos : "Dans les sciences de la vie, je suis bien décidée à faire des choix. (…) Si on continue à faire croître le budget des sciences de la vie (…) tout le budget du CNRS ira a cette discipline (...) et ce serait une grave erreur. Avec tout l’argent que nous avons injecté dans les sciences de la vie, je trouve que le rapport qualité/prix n’est pas terrible. (…) Nous avons retenu deux priorités : les neurosciences et la biologie intégrative." Les universités sont également traitées avec mépris : "Les établissements publics comme le CNRS sont tout à fait prêts à travailler avec des pôles universitaires solides. (...) Mais il faut aussi faire un classement entre les bons et les mauvais. Moi, je suis élitiste et j’aime les classements." Enfin, elle évoque la question salariale en ces termes : "Je ne sais pas si cela doit être sous forme de prime, de complément de salaire ou de contrat, mais nous devons donner de bons salaires aux bons chercheurs. Les critères de sélection sont reconnus sur le plan international : le nombre de publications, l’indice de citations, le nombre de thésards et les invitations dans des congrès internationaux."

La dénonciation publique d’une discipline scientifique –la biologie- par un responsable d’organisme qui a pour charge de la développer, est peu acceptable. Elle l’est d’autant moins qu’elle se fonderait sur une évaluation des valeurs relatives des différents champs disciplinaires, qui ne répond pas aux critères normaux d’une évaluation (transparente, collégiale, contradictoire). De façon plus grave, elle annoncerait une évolution majeure du CNRS, en limitant le champ d’intervention du CNRS à quelques axes.

Rappelons que le CNRS a été historiquement un élément essentiel de structuration de la recherche française par son caractère national et pluridisciplinaire. Il reste à ce jour le seul organisme à visée purement fondamentale, indépendamment des retombées potentielles. Le CNRS a permis de favoriser l’émergence de thématiques nouvelles, qui de plus en plus supposent des interactions fortes entre disciplines. Enfin, le statut des personnels du CNRS offre des possibilités d’investissement dans des travaux de long terme, qui en font l’un des rares pôles d’attraction du système français comme en témoigne les grand nombre d’étrangers candidats au recrutement, malgré des conditions salariales peu favorables.

La déclaration de Catherine Bréchignac s’inscrit dans une logique, celle d’une évolution plus globale de la recherche française, dont le pacte pour la recherche a défini la nouvelle architecture, et dont le CNRS serait la première victime. Ce nouveau dispositif a pour cœur l’ANR (Agence Nationale de la recherche), qui a désormais le quasi-monopole du financement de toute nouvelle recherche en France. Les autres institutions de recherche, - organismes et universités - manquant de plus en plus de moyens d’action propres, sont contraintes pour survivre à se disputer la manne de l’ANR, en compétition avec une pléiade de nouvelles entités administratives (pôles de compétitivité, RTRA, Instituts Carnot, nouveaux Instituts spécialisés). Le gouvernement peut ainsi sans difficulté développer certains secteurs de recherche finalisée où il est aisé d’obtenir un financement sans forte sélection, et étouffer d’autres secteurs plus fondamentaux où le taux de succès des demandes est dérisoire, quelle que soit la valeur des projets. Ce pilotage est le fait du prince, et comme tel, le cap changera avec l’humeur du prince. Nous l’avions annoncé, et ces aberrations ont débuté.

Une ANR ministérielle toute-puissante, des organismes de recherche étranglés : tout est en place pour justifier des choix irrationnels, comme celui de C. Bréchignac décidant brutalement de ce qui, en biologie, doit être sauvé (les neurosciences et la biologie intégrative) ou sacrifié (la génétique par exemple) pour pouvoir gérer la pénurie. Les organismes de recherche et les universités, dans une logique de sauve-qui-peut, vont se replier sur eux-mêmes au lieu de chercher à accroître leur coopération. Et tout cela en prétendant améliorer le système, en prétendant réussir l’impossible quadrature du cercle, qui consisterait à faire coïncider le temps court de l’action politique décidée par l’ANR ministérielle avec le temps long de la recherche conduite dans les organismes et les universités.

Depuis des années une partie de la droite réclame le démantèlement du CNRS, jugé trop gros et trop indépendant, donc ingouvernable, non pas par ses dirigeants, mais par le gouvernement. Confrontée à l’impossibilité de conduire une politique scientifique dans l’ensemble des secteurs de la recherche en raison de l’étranglement budgétaire que connaît le CNRS, C. Bréchignac fait des choix qui pourraient hâter ce démantèlement, qu’elle le veuille ou non. La droite est aussi encombrée par les universités, dont elle se méfie, et elle fait tout pour les laisser dans leur état de dénuement. Il est alors facile de dire qu’il y a "les bons et les mauvais"  : l’honnêteté commande de se souvenir des conditions qui ont marqué l’histoire de ces "mauvaises" universités, du rôle d’aménagement du territoire qu’on leur a conféré, à tort ou à raison, et de la pression pour délocaliser des laboratoires et des personnels dans les nouvelles universités. L’idée de concentration des moyens sur un faible nombre d’établissements, que le gouvernement décline par le biais des RTRA, a pour conséquence l’abandon de pans de la recherche sur notre territoire, et un gâchis humain considérable. A l’inverse, nous souhaitons que les rapports entre le monde universitaire et le CNRS soient décrispés, que l’on définisse des objectifs communs auxquels chaque partie puisse contribuer en tenant compte de ses spécificités, de ses charges et de ses moyens. Les laboratoires de recherche ont besoin des étudiants formés par le système universitaire, quelle que soit la taille des Établissements d’enseignement supérieur et ceux-ci ne sauraient accomplir leur mission de formation s’ils sont coupés de la recherche.

Dans la même logique, le discours de Mme Bréchignac sur les salaires est caricatural. L’objectif d’un organisme ne peut se résumer à attirer quelques vedettes qu’on paiera bien, pendant que les autres continuent à avoir des salaires notoirement insuffisants. Alors que nous avons aujourd’hui un vivier de candidats de haut niveau, nous risquons demain de voir celui-ci s’assécher ; c’est en tout cas ce que l’évolution des effectifs en master recherche nous fait craindre. Il faut redonner envie aux meilleurs étudiants de faire de la recherche et ce n’est pas en agitant un ticket de loto qu’on les attirera. Enfin, les critères de sélection évoqués, soi-disant " reconnus sur le plan international" sont en réalité de plus en plus contestés et ne garantissent en rien une légitimité des décisions. L’évaluation est un processus beaucoup plus complexe, qu’on ne peut réduire à un alignement de chiffres.

Le nouveau dispositif de recherche qui se met en place, masqué par un discours managérial prétendument moderne fondé sur une obsession du court terme, de possibilités d’applications prévisibles et de rentabilité économique, ne parvient pas à cacher ce qu’il signifie : une absence dramatique de vision et d’ambition pour notre pays, et la destruction d’un système qui malgré ses défauts, a été à l’origine de succès incontestables. Si, avant d’être dans le mur, on veut prendre une autre direction, il faut faire très vite. Nous appelons nos collègues scientifiques à ne pas tomber dans le piège de la division en cédant à la défense corporatiste de chaque discipline, mais à faire front ensemble contre ces orientations. A l’occasion de la campagne électorale qui s’ouvre, nous appelons les candidats aux élections présidentielle puis législatives à entendre cet appel angoissé. Nous les appelons à écouter ce que disent des scientifiques concernés non par la défense de leur petit domaine, mais par l’ensemble de la recherche et de l’enseignement supérieur qui sont déterminants pour une société souhaitant agir sur son avenir. Nous les appelons à prendre dès maintenant des engagements précis sur ces questions cruciales.