Vers une science patriote ?
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, le 31 mars 2003Dans sa récente interview au journal Le Monde du 27/03, la Ministre déléguée à la recherche affirme sa volonté et celle de son gouvernement de mener à bien "les projets présentant un caractère d’excellence et correspondant à des enjeux économiques et stratégiques". D’une manière plus générale, cette volonté se veut la réponse aux "attentes de la société, qui demande aujourd’hui aussi bien des assurances dans le domaine de la santé ou de l’environnement que des retombées en matière d’emplois hautement qualifiés".
Ainsi, voici invoqué dans ce domaine comme dans bien d’autres (sécurité, immigration, fonctionnariat ...) les attentes pressantes du citoyen qui sommerait le politique de mettre fin aux vieilles rigidités et aux corporatismes, libérant ainsi de nouvelles "énergies" au service de la nation tout entière. Aux premières loges de ces salutaires réformes se trouve le fonctionnaire et, dans le cas qui nous occupe, le fonctionnaire-chercheur dont le citoyen devine - autant qu’on l’aide à deviner par de récentes déclarations sur les mauvaises performances de la recherche française - que son état de fonctionnaire ne peut que nuire au dynamisme de sa recherche.
On s’étonne, à côté d’un vocabulaire de chef d’entreprise ou de stratège ("enjeux économiques et stratégiques ...") que ne soit pas encore apparue l’expression de "science citoyenne". Après tout, après l’apparition de "l’entreprise citoyenne" et la plus récente promotion d’autres valeurs du même nom, imaginer que la science puisse présenter un caractère citoyen consistant à développer les connaissances, à former des jeunes eux-mêmes destinés pour une part à developper ces entreprises, à créer et entretenir des relations internationales avec de jeunes ou confirmés scientifiques étrangers, ne serait que le constat d’une réalité vécue, ou tout au moins souhaitée.
Cependant, telle n’est pas la tonalité du discours actuel. Plutôt que citoyenne, tout porte à croire que c’est d’une science patriote qu’on veut nous détailler les vertus. Par patriotisme, on entendra ici non pas la qualité de ce qui est débattu entre les citoyens et pour les citoyens, mais ce qui contribue à l’Etat et à sa doctrine. En focalisant ses recherches sur les seuls grands axes désignés par les politiques - sur la base de futurs développements technologiques aisément discernables dans les sphères les plus élevées du pouvoir (pour ne pas dire de l’espace) - ce n’est pas vers quelque immatérielle "internationale de la science" que convergerait la production scientifique, mais bien vers la nation et ses supposées urgences. Ainsi, là où le politique aura plusieurs fois failli (scandales alimentaires, inégalités d’accès aux soins médicaux, creusement des inégalités tant nationales qu’internationales, environnement victime de choix économiques, etc ...) la science bien raisonnée et dûment diligentée de Paris ou de Bruxelles - tous deux expression, sans doute, de la "société" même dont se fait l’écho notre Ministre - la science, donc, apportera ses solutions miraculeuses.
A l’heure où même l’information contenue dans le génome se monnaie, entretenir quelques scientifiques à élaborer théories et résultats expérimentaux pour les publier et les rendre gratuitement accessibles à tous, pourrait bien être désigné comme un anachronisme. De fait, si personne ne conteste que, dans le cadre d’une mission définie, il faille viser à l’excellence, au meilleur rendement et à l’innovation (ce qui suppose des budgets de fonctionnement et d’investissement adaptés, ainsi qu’une bonne gestion des personnes et des projets), désigner la contribution économique à court terme comme seul objet de la recherche scientifique ne peut être vécu que comme une expression supplémentaire de l’incapacité de nos sociétés à développer et à soutenir autre chose qu’un bilan comptable.
Il n’est pas de bon ton pour un scientifique d’avouer son impuissance à résoudre un problème. Il est sans doute plus grave pour lui encore de désigner de mauvaises réponses. Pour cette raison, osons dire que notre société - que se plaisent à invoquer nos Ministres - n’est nullement en panne d’innovations ou de ressources technologiques, mais bien d’un nouveau contrat social. Désigner ici ou là - même si, de toute évidence, des évolutions sont souhaitables - tel ou tel bouc émissaire comme la source des maux dont souffrent nos sociétés, ne serait qu’une pauvre économie de raisonnement. L’exemple actuel d’une nation maîtrisant les ressources technologiques les plus avancées de la planète, tout en développant les plus pauvres réponses politiques aux problèmes du monde, devrait nous inspirer.