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Ségolène Royal

le 2 avril 2007

Réponse de Ségolène Royal au questionnaire de Sauvons La Recherche

Considérez-vous la loi sur la recherche comme satisfaisante, ou au contraire doit-elle être profondément corrigée ou remplacée par une autre loi ? Conservez-vous l’objectif d’atteindre 3 % du PIB pour les dépenses de recherche ? A quelle échéance ? Avec quelle programmation pour la recherche publique ?

La loi sur la recherche ne répond pas aux besoins de l’enseignement supérieur et de la recherche. En créant de nouvelles structures sans simplifier le système, il affaiblit ce dernier. Au mieux, cela permettra d’atteindre à terme des dépenses à hauteur de 2,3% du PIB pour l’ensemble de la recherche, bien en deçà des 3% prévus en 2010 par l’Union européenne. Cette loi a totalement ignoré les universités. En multipliant les structures, en désorganisant laboratoires, organismes et universités, cette loi a affaibli la recherche française. Si je suis élue, une négociation sera engagée avec les partenaires concernés pour remplacer le pacte pour la recherche par une loi d’orientation et de programmation de l’enseignement supérieur et la recherche portant sur les moyens financiers et les emplois. Cette loi énoncera les grands axes d’une nouvelle politique qui tiendra compte des propositions formulées par la communauté scientifique lors des Etats généraux de la recherche, et prévoira une augmentation de 10% par an du budget de la recherche.

Quelle part de liberté dans la définition des objectifs scientifiques et dans l’élaboration des moyens pour y parvenir reconnaissez-vous aux établissements de recherche et aux chercheurs ? Quels rôles respectifs pour le pouvoir politique, les scientifiques et la société civile (y compris les entreprises) et quel dispositif pour définir les grandes orientations de la politique de recherche ?

De nombreux choix politiques, économiques et sociaux sont effectués au regard de valeurs d’éthique, environnementales, de santé publique… Le rôle des chercheurs et des décideurs politiques ne peut donc se concevoir sans débat citoyen. C’est pour cette raison que je souhaite renforcer l’implication des citoyens dans le processus de décision concernant les grands choix stratégiques. La recherche scientifique comme toute activité créatrice, doit disposer d’une grande liberté conceptuelle, à condition qu’elle respecte dans ses développements, nos valeurs, et en premier lieu les valeurs d’ordre éthique, qui sont le fondement d’une société démocratique. Il revient à l’Etat de définir les grandes orientations de la recherche, sur la base d’un débat parlementaire et de l’avis d’un Haut Conseil dont je souhaite changer les modalités de nomination afin qu’il soit plus indépendant. Des conférences citoyennes de consensus peuvent précéder ces travaux pour les orientations sensibles.

Mais je veux aussi que nous sortions de la logique qui voit le pouvoir politique décider non seulement quelles sont les grandes orientations, mais aussi les programmes de recherche alors que c’est la responsabilité des établissements de recherche, associant naturellement la communauté scientifique.

Aujourd’hui, un crédit impôt-recherche qui va pour l’essentiel à de grandes entreprises absorbe une grande partie de l’effort de l’Etat dans le but d’assurer la valorisation économique de la recherche. Ce dispositif vous paraît-il efficace ? Sinon, quelles sont vos propositions pour mieux assurer cette valorisation ?

Je ferai tout pour que nos PME-PMI puissent répondre aux défis de l’innovation, car pour moi, notre retard n’est pas une fatalité. Cet effort devra être relayé par les régions à qui je proposerai de signer un pacte de l’innovation. Nous donnerons la possibilité à celles-ci de soutenir directement des fonds d’amorçage. Je serai attentive à ce que la chaîne allant de la création à l’incubation et au développement de l’entreprise soit efficace.

L’efficacité du dispositif de crédit d’impôt recherche, comme vous l’indiquez, suscite beaucoup d’interrogations, or la fiscalité est aussi un outil pour soutenir l’innovation. Il bénéficie essentiellement aux grands groupes, et a peu d’effet sur l’emploi des docteurs. Pour les grandes entreprises, l’Etat devrait privilégier les aides ciblées aux aides indifférenciées du type crédit d’impôt qui sont souvent un effet d’aubaine, exiger une contribution de ceux qui profitent des retombées de la recherche sans la financer, accorder des avantages fiscaux aux entreprises qui développent des activités R & D et recrutent des chercheurs. Le crédit impôt recherche pourrait être pour partie réorienté vers les PME ou être conditionné, par exemple, à l’embauche de docteurs.

Si la recherche privée relève d’abord de la responsabilité des entreprises, l’Etat peut intervenir pour encourager son développement qui implique nécessairement l’embauche de personnels formés par la recherche. Quelles mesures comptez-vous prendre pour favoriser l’embauche de docteurs dans la recherche privée ?

La qualification du doctorat, qui deviendra la référence européenne et internationale doit être considérée comme une première expérience professionnelle, conformément à la charte européenne du chercheur. L’expérience professionnelle qu’est le doctorat devra donc être prise en compte dans les reconstitutions de carrière, pour les trois fonctions publiques (Etat Territorial, Hospitalière) et devra devenir un objectif prioritaire des discussions entre partenaires sociaux du secteur privé.

Les débouchés dans le secteur privé sont insuffisants, il faut les encourager, par exemple en conditionnant le crédit d’impôt-recherche sur l’embauche de docteurs. Mais je souhaite également que d’autres secteurs profitent du potentiel que représentent les docteurs. Je veux ainsi organiser une réflexion au sein de la fonction publique afin que les docteurs puissent apporter leurs compétences dans ce secteur dont ils sont aujourd’hui trop absents.

Le développement de la recherche, publique comme privée, ne se fera pas sans création importante d’emplois et sans rendre les carrières plus attractives. Quel type d’emplois (CDD ? CDI ?, fonction publique ?) favoriserez-vous et combien ? Par quelles mesures ?

En premier lieu, je souhaite que l’emploi stable intervienne rapidement après la thèse. Je ne vous cache pas mon étonnement quand j’entends la droite proposer à des jeunes chercheurs, titulaires du plus haut diplôme de l’enseignement supérieur, des contrats temporaires. Je sais aussi que dans les pays où l’instabilité professionnelle est grande, les femmes s’éloignent des carrières de la recherche. Je veux que plus de femmes s’engagent dans la recherche, je veux attirer les jeunes et les meilleurs étudiants vers elle, pour cela il faut rendre attractives les carrières offertes aux jeunes chercheurs.

Dans le cadre de la future loi d’orientation et de programmation, un plan pluriannuel de l’emploi scientifique permettra de s’assurer que les besoins seront effectivement couverts. Pour que les meilleurs étudiants s’orientent vers les carrières d’enseignement et de recherche, ces dernières doivent être rendues plus attractives. L’évolution de ces carrières devra prendre en compte le travail et les résultats de chacun sur la base d’une évaluation sérieuse de toutes les activités. Et je n’oublie pas non plus les personnels des corps techniques et administratifs qui seront eux aussi concernés par le plan de recrutement annuel.

La crise des universités est directement liée aux graves difficultés financières qu’elles rencontrent : le budget des universités françaises est anormalement bas, par comparaison avec celles des autres pays développés. Quelle évolution budgétaire envisagez-vous pour les universités durant la prochaine mandature ?

Je porterai la dépense par étudiant au niveau de l’OCDE. Cela nous permettra de hisser les universités à hauteur des standards internationaux.

Envisagez-vous une réforme de l’organisation des universités qui inclue leur autonomie ? Si oui, dans quelles conditions et avec quelles instances cette autonomie doit-elle être mise en place ?

L’autonomie des universités doit être renforcée dans le cadre national et leur gouvernance rendue plus efficace. Plus d’autonomie pour les universités, c’est responsabiliser l’ensemble des acteurs qui négocient, dans le cadre de contrats, les moyens alloués par l’autorité de tutelle en fonction de leur capacité à faire évoluer l’offre de formation et leur organisation pédagogique. Par ailleurs, je renforcerai le rôle des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, (PRES) qui sont le lien naturel pour accompagner ces évolutions. Il s’agit d’une des seules mesures demandées par les états généraux qui ait été reprise dans la loi sur la recherche. Il faudra pourtant donner une ambition supplémentaire aux PRES, qui, pour le moment, sont loin de répondre aux attentes de la communauté scientifique, et posent de gros problèmes de gouvernance. Les PRES ne pourront fonctionner que si l’ensemble de la communauté universitaire se les approprient : étudiants, personnels de tous statuts. Par ailleurs, un PRES a pour vocation de faire coopérer les différents établissements d’enseignement supérieur et de recherche sur une base territoriale et de rendre l’ensemble plus visible au niveau européen et international. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, puisque certaines universités en sont exclues. Ils doivent être, par nature, pluridisciplinaires, facilitant d’abord les coopérations « à la base ».

Aujourd’hui, l’accès aux études supérieures et les chances de réussite sont loin d’être les mêmes pour toutes les catégories sociales. Quelles mesures, sociales et/ou structurelles, prendrez-vous pour améliorer la situation ? Comment comptez-vous notamment rapprocher effectivement les Universités et les Grandes Ecoles ?

Avoir plus de diplômés de l’enseignement supérieur en France est un enjeu de première importance, un enjeu social mais aussi économique. Je crois qu’il y a beaucoup à faire pour améliorer l’égalité des chances. Un enfant d’ouvrier a 7 fois moins de chances d’accéder à l’université qu’un enfant de cadre supérieur ou d’enseignant. Dans les classes préparatoires, il y a 42 % d’enfants de cadres supérieurs et professions intellectuelles contre 6 % d’enfants d’ouvriers. C’est inadmissible. Je suis donc favorable à une réforme en profondeur du financement de l’université, avec notamment une réflexion sur les aides, les prêts, et les bourses. J’ai annoncé la création d’une allocation-autonomie pour les jeunes sous condition de ressources avec un contrat pour faciliter les études et l’entrée dans la vie active. Un effort considérable sera fait en faveur du logement étudiant, qui sera placé sous la responsabilité des régions. La réforme de l’université doit avoir comme principe l’exigence d’une véritable égalité pour tous. Je maintiendrai donc ce qui fonctionne bien, en essayant de tirer vers le haut le niveau de l’enseignement supérieur. Je favoriserai ainsi les passerelles entre les différentes filières universitaires pour que les inégalités d’accès à certaines formations soient réduites.

Je pense qu’il faut également agir sur l’orientation et la lutte contre l’échec en premier cycle, afin que chaque étudiant trouve une place dans une filière qui le conduise au diplôme, alors qu’aujourd’hui nombre d’entre eux se trouvent en grande difficulté. Je veux aussi créer, dès le début du premier cycle, un suivi et une aide personnalisée des étudiants, en rapprochant le taux d’encadrement des premiers cycles de celui des classes préparatoires. La mise en place d’un service public de l’orientation vraiment efficace et l’organisation d’un système de tutorat pour les étudiants de première et deuxième années pourront contribuer à atteindre ces objectifs. Je veux également que les universités permettent, plus qu’aujourd’hui, la reprise d’études après une expérience professionnelle.

En ce qui concerne le rapprochement des universités et des Grandes Ecoles, je crois que le PRES est un cadre qui permet d’en poser les premiers jalons. Il faut aller plus loin, en particulier que les PRES s’intéressent au niveau Licence alors que le gouvernement les a conçus pour se concentrer sur les niveaux Master et Doctorat. Les PRES doivent devenir un lieu d’élaboration de l’ensemble de la carte de formation à l’échelle d’un territoire, concernant tous les établissements.

Le renforcement de l’activité de recherche au sein des universités doit-il passer par une réduction significative de la charge d’enseignement des enseignants-chercheurs, selon leur investissement dans la recherche, dans les responsabilités collectives, et dans les autres tâches qui leur incombent ? Comment envisagez-vous l’embauche de personnel supplémentaire (enseignants-chercheurs et ingénieurs/ administratifs) rendue ainsi nécessaire ?

Je souhaite que nous utilisions au mieux le potentiel de recherche de nos enseignants-chercheurs, qui supportent en France de nombreuses charges que leurs collègues étrangers n’ont pas, par manque de personnel d’accompagnement. Le plan pluriannuel que j’ai déjà évoqué permettra de créer des emplois d’IATOS, indispensables pour libérer du temps de recherche pour les universitaires. En ce qui concerne le service d’enseignement des enseignants chercheurs, il faudra en débattre, en fonction de la diversité de leurs activités. Je veillerai également à ce que la participation des chercheurs aux enseignements soit incitée et reconnue.

Une part croissante et de plus en plus décisive du financement des laboratoires est assurée par l’ANR, agence ministérielle finançant des projets de 3 ans. Quelle doit-être selon vous la répartition entre les crédits attribués au laboratoire suite à son évaluation, et les crédits sur projets de court-terme ? Cette évolution, associée à une extension des sur-salaires contractuels, tend à rendre inutiles les structures collégiales d’évaluation de l’activité des scientifiques et des laboratoires. Cette évolution vous parait-elle souhaitable ?

On ne peut pas organiser la recherche sur la base du court-terme. L’équilibre doit être trouvé entre des financements sur programmes, qui assurent la charpente du système et des financements sur projets. Nous redonnerons aux laboratoires, universités et organismes de rechercher les moyens de fonctionner correctement et d’avoir une politique scientifique. Les missions de l’Agence Nationale de la Recherche seront donc redéfinies pour développer une recherche plus ciblée, pour inciter les collaborations entre secteurs public et privé et pour encourager les coopérations thématiques entre organismes de recherche. L’Agence Nationale de la Recherche aura aussi pour vocation de préparer les équipes de recherche à mieux s’insérer dans la logique de l’espace européen, de favoriser les coopérations internationales de la recherche et viendra compléter le dispositif de financement de la recherche en Europe. Elle devra aussi se doter d’un fonctionnement conforme à la déontologie professionnelle, afin d’éviter les conflits d’intérêt entre les experts et les équipes qui déposent des projets. Une Agence de l’évaluation évaluera les structures (organismes, universités, programmes), dégagera des principes communs aux diverses instances d’évaluation et habilitera ces dernières.

Quel rôle l’Union européenne doit-elle, d’après vous, jouer pour ce qui est de la recherche et de l’enseignement supérieur ? Quelles doivent être les relations entre Europe, Etat et Régions ? Comment envisager une progression et une continuité dans le financement européen de la recherche  ?

Nos propositions s’inscrivent dans une perspective européenne. Nous affirmerons donc l’engagement de la France dans la construction de l’espace européen de la recherche et de l’innovation. En ne consacrant que 1,85% du PIB à la recherche, l’effort européen est 50% moindre que celui des Etats-Unis et du Japon. Nous agirons pour que cette priorité à la recherche soit marquée dès la révision du cadre budgétaire de l’Union européenne de 2008/2009, en plaidant pour un rééquilibrage en faveur des dépenses d’avenir. Je demanderai ainsi au niveau de l’Union Européenne que les dépenses publiques de Recherche & Développement ne soient plus inclues dans les critères du pacte de stabilité et de croissance. L’Europe doit aussi soutenir la recherche fondamentale qui constitue le socle indispensable des futures technologies de pointes innovantes pour notre économie. Les structures de recherche et d’innovation en France doivent se développer avec nos partenaires européens, en appliquant la charte européenne du chercheur, et en soutenant l’Agence européenne de financement de la recherche, l’ERC. Je souhaite favoriser l’Europe de la science par la « base » en renforçant les coopérations, en construisant des réseaux entre les laboratoires et les établissements et en développant des collaborations transfrontalières.

Si vous êtes élue et que votre gouvernement élabore une nouvelle loi sur la recherche (et/ou une loi sur l’enseignement supérieur), êtes-vous prêts à garantir qu’une concertation sera engagée avec la communauté scientifique avant toute élaboration d’un texte à soumettre au Parlement ?

J’ai dit à Strasbourg qu’une loi de programmation et d’orientation portant sur les moyens financiers et les emplois serait discutée en début de législature, après concertation avec tous les acteurs de l’université et de la recherche. Je l’ai déjà dit, je compte sur l’expertise citoyenne. Les personnels de la recherche, avec d’autres citoyens, ont fait preuve d’une grande responsabilité en organisant les Etats-Généraux de la Recherche, qui vous permirent d’aboutir à des propositions qui font aujourd’hui référence. Il faut maintenant donner une ambition nouvelle à la recherche pour attirer les étudiants les plus brillants, permettre aux post-docs de revenir nous faire profiter de leurs talents, donner enfin des moyens convenables aux universités et aux laboratoires de recherche. Cela se fera par un dialogue continu avec la communauté scientifique, qui a tant manqué ces dernières années.

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