Olivier Besancenot
le 2 avril 2007
Considérez-vous la loi sur la recherche comme satisfaisante, ou au contraire doit-elle être profondément corrigée ou remplacée par une autre loi ? Conservez-vous l’objectif d’atteindre 3 % du PIB pour les dépenses de recherche ? A quelle échéance ? Avec quelle programmation pour la recherche publique ?
Non, cette loi n’est absolument pas satisfaisante. Elle s’est appuyée sur des propositions faites lors des Etats Généraux de la Recherche en 2004 pour les détourner sournoisement. Cette loi doit être abrogée et une nouvelle loi doit être élaborée dans le respect du travail de démocratie participative que les personnels de la recherche ont réalisé lors de leurs Etats Généraux. L’objectif des 3% du PIB reste évidemment un objectif. Etant donné le retard pris pour y parvenir d’ici 2010, Il faudrait d’ores et déjà doubler au minimum le budget consacré à l’enseignement supérieur et la recherche et veiller à ce que les organismes soient en mesure de garantir aux laboratoires de retrouver une dotation représentant au moins 75% de leur fonctionnement.
Quelle part de liberté dans la définition des objectifs scientifiques et dans l’élaboration des moyens pour y parvenir reconnaissez-vous aux établissements de recherche et aux chercheurs ? Quels rôles respectifs pour le pouvoir politique, les scientifiques et la société civile (y compris les entreprises) et quel dispositif pour définir les grandes orientations de la politique de recherche ?
La recherche doit être publique pour être indépendante. Il est inadmissible d’observer aujourd’hui le pouvoir de multinationales telles que Monsanto sur les recherches menées sur les OGM, par exemple. Il faut donc que les objectifs scientifiques soient définis de la manière la plus démocratique possible, par une concertation permanente entre les différents acteurs de la recherche, mais aussi de tous les citoyens. Il est temps de faire confiance aux citoyens pour juger du soutien à toute forme de recherche et soutenir que la recherche n’a pas à être rentable, mais qu’elle trouve son sens dans l’accroissement des connaissances On sera surpris de constater qu’ils soutiendront des recherches que les politiques avides de rentabilité sont en train de détruire. Faire piloter ces choix par les entreprises et leur vision égoïste et à court terme, c’est une confiscation de la démocratie.
Aujourd’hui, un crédit impôt-recherche qui va pour l’essentiel à de grandes entreprises absorbe une grande partie de l’effort de l’Etat dans le but d’assurer la valorisation économique de la recherche. Ce dispositif vous paraît-il efficace ? Sinon, quelles sont vos propositions pour mieux assurer cette valorisation ?
Il faudrait faire un audit sur l’utilisation du crédit impôt-recherche car on peut sérieusement douter de l’efficacité de telles mesures. Par principe, la LCR n’est pas pour le financement des entreprises privées avec l’argent public.
Si la recherche privée relève d’abord de la responsabilité des entreprises, l’Etat peut intervenir pour encourager son développement qui implique nécessairement l’embauche de personnels formés par la recherche. Quelles mesures comptez-vous prendre pour favoriser l’embauche de docteurs dans la recherche privée ?
Revaloriser le diplôme des docteurs passe nécessairement par une revalorisation complète de l’université française. Il faut reconsidérer le système parallèle des grandes écoles qui conduit à un dénigrement de l’université. Il faut lutter pour faire passer l’idée dans les mentalités des employeurs que la formation universitaire est une base intellectuelle qui devrait témoigner de capacités d’adaptation et non une formation qui devrait nécessairement étroitement limitée.
Le développement de la recherche, publique comme privée, ne se fera pas sans création importante d’emplois et sans rendre les carrières plus attractives. Quel type d’emplois (CDD ? CDI ?, fonction publique ?) favoriserez-vous et combien ? Par quelles mesures ?
Comme nous l’avons dit précédemment, afin de garder son indépendance, la recherche doit être publique. Nous sommes attachés au principe d’emplois de la fonction publique pour les personnels de la recherche. Les emplois doivent faire l’objet d’une programmation qui doit être respectée et qui devra consister en une augmentation du nombre de postes d’enseignants-chercheurs (+5000/ an), de chercheurs (+1500/an) et personnels techniques (+3000/an). Il s’agit de combattre la précarité, donc nous nous opposons aux CDD. L’effort à prévoir pour le recrutement d’enseignants-chercheurs est important car il permettra de réduire leur charge horaire d’enseignement, et de rester ancrés dans la recherche.
La crise des universités est directement liée aux graves difficultés financières qu’elles rencontrent : le budget des universités françaises est anormalement bas, par comparaison avec celles des autres pays développés. Quelle évolution budgétaire envisagez-vous pour les universités durant la prochaine mandature ?
Les universités souffrent d’un budget qui n’est pas à la hauteur depuis des années. Certaines ont choisi d’augmenter leurs droits d’inscription, ce qui est la voie la plus directe vers une privatisation de fait. Il faut redonner un budget décent aux universités et rendre l’accès à l’université pour tous, donc abolir les droits d’inscription. Il faut insister sur la remise en état des infrastructures, mais ne pas oublier que la crise des universités est aussi liée au nombre d’étudiants qui a augmenté alors que le nombre de postes universitaires n’est pas à la hauteur.
Envisagez-vous une réforme de l’organisation des universités qui inclue leur autonomie ? Si oui, dans quelles conditions et avec quelles instances cette autonomie doit-elle être mise en place ?
L’autonomie des universités, c’est l’autre nom de la privatisation de fait et de la mise en concurrence acharnée, donc la destruction de toute maîtrise démocratique sur les politiques suivies. La porte ouverte à l’université à deux vitesses et la porte ouverte à la main-mise des entreprises dans les formations. Les personnels universitaires revendiquent une évaluation de leurs activités au même titre que les chercheurs, il faut donc un système qui reste national et qui permettra également des recrutements plus objectifs en limitant le clientélisme bien connu et unanimement décrié.
Aujourd’hui, l’accès aux études supérieures et les chances de réussite sont loin d’être les mêmes pour toutes les catégories sociales. Quelles mesures, sociales et/ou structurelles, prendrez-vous pour améliorer la situation ? Comment comptez-vous notamment rapprocher effectivement les Universités et les Grandes Ecoles ?
L’inégalité passe aussi par le manque d’information. Il faut inciter et multiplier les relations entre laboratoires de recherche et collèges et lycées afin que les jeunes puissent découvrir ce que sont les métiers de la recherche, le parcours pour y arriver. Beaucoup de jeunes issus de milieux défavorisés ignorent totalement ce qu’est un M2, une thèse ! L’accès gratuit à l’université devrait favoriser l’accès aux études, mais il devra être accompagné de mesures financières afin de permettre aux jeunes d’étudier sereinement sans avoir à aller bosser au MacDo pour financer leurs études. La LCR propose une allocation de 700 euros pour tous les jeunes. Il faut également un encadrement de meilleure qualité qui sera facilité par :
une réduction du nombre d’étudiants/enseignant grâce aux recrutements effectués (Enseignants-Chercheurs et personnels techniques)
le rapprochement entre universités et grandes écoles : les enseignants des grandes écoles feront une partie de leurs enseignements dans les cursus universitaires classiques
Le renforcement de l’activité de recherche au sein des universités doit-il passer par une réduction significative de la charge d’enseignement des enseignants-chercheurs, selon leur investissement dans la recherche, dans les responsabilités collectives, et dans les autres tâches qui leur incombent ? Comment envisagez-vous l’embauche de personnel supplémentaire (enseignants-chercheurs et ingénieurs/ administratifs) rendue ainsi nécessaire ?
Oui, je l’ai déjà dit précédemment, il faut impérativement diminuer de moitié environ (100 heures) le nombre d’heure d’enseignement effective (en comptant les heures complémentaires) des enseignants-chercheurs et recruter massivement à l’université afin de permettre un enseignement de qualité et un retour des enseignants-chercheurs à la recherche.
Une part croissante et de plus en plus décisive du financement des laboratoires est assurée par l’ANR, agence ministérielle finançant des projets de 3 ans. Quelle doit-être selon vous la répartition entre les crédits attribués au laboratoire suite à son évaluation, et les crédits sur projets de court-terme ? Cette évolution, associée à une extension des sur-salaires contractuels, tend à rendre inutiles les structures collégiales d’évaluation de l’activité des scientifiques et des laboratoires. Cette évolution vous parait-elle souhaitable ?
Non, cette évolution est catastrophique. Nous avons assez peu de recul sur le fonctionnement de l’ANR, mais on sait déjà, à la lecture des titres des projets soutenus, qu’elle a permis de financer essentiellement des projets de recherche finalisée. Cette agence a permis un recrutement massif sur CDD, ce qui traduit les besoins en personnels dans les laboratoires. Le bilan est donc négatif pour ces aspects et il faut revenir à une proportion au minimum de 75% de crédits de fonctionnement aux laboratoires attribués par les grands organismes de recherche. L’ANR si elle est maintenue devra être modifiée dans son fonctionnement (il n’y a aucun membre élu, pas de rapports d’expertise dans de trop nombreux cas, etc…) et l’agence de l’évaluation sera supprimée dans sa forme actuelle. L’évaluation collégiale telle qu’elle est faite par le comité national du CNRS et les commissions de l’INSERM est largement satisfaisante, il faut élargir l’évaluation à tous les personnels de la recherche, mais cette solution n’est pas celle proposée par l’AERES.
Quel rôle l’Union européenne doit-elle, d’après vous, jouer pour ce qui est de la recherche et de l’enseignement supérieur ? Quelles doivent être les relations entre Europe, Etat et Régions ? Comment envisager une progression et une continuité dans le financement européen de la recherche ?
Dans le projet de traité constitutionnel européen, la recherche était assez peu mentionnée et quand elle l’était, c’était pour ses aspects finalisés (militaire, médicaments, etc…). Nous avons rejeté ce projet qui conduisait à la poursuite de la marchandisation généralisée, et notamment des services publics. Il est de première priorité de s’assurer qu’une nouvelle constitution sera proposée par une assemblée constituante, et qu’elle sera épurée de tout diktat économique. Notre conception de l’espace européen de la recherche ne peut que se concevoir dans le cadre d’un service public européen de la recherche.
Si vous êtes élu et que votre gouvernement élabore une nouvelle loi sur la recherche (et/ou une loi sur l’enseignement supérieur), êtes-vous prêts à garantir qu’une concertation sera engagée avec la communauté scientifique avant toute élaboration d’un texte à soumettre au Parlement ?
Puisque j’ai dit que la loi actuelle serait abrogée, il est évident qu’il faudra une nouvelle loi. Celle-ci s’appuiera sur le travail que vous avez conduit dans le cadre de vos Etats Généraux, mais évidemment, elle ne pourra se concevoir sans concertation avec tous les acteurs concernés.