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Proposition de communiqué SLR pour l’AG du 16 Juin

Par Georges Debrégeas, le 7 juin 2007

Le gouvernement a décidé de faire voter cet été, lors d’une séance parlementaire extraordinaire, une loi sur l’Université. En guise de consultation, des groupes de travail viennent d’être constitués et ne disposent que de trois semaines pour faire connaître leurs conclusions. Ce simulacre de dialogue servira d’écran de fumée pour faire passer pendant la période estivale une réforme déjà écrite.

Certains présentent cette nouvelle loi comme une simple réponse technique aux difficultés que rencontrent les universités dans leur fonctionnement quotidien : il s’agirait de « moderniser leur gouvernance » et d’améliorer les conditions de vie des étudiants. Une telle vision est soit naïve, soit trompeuse : cette réforme constitue au contraire une étape cruciale d’un processus politique de longue haleine. Elle ne peut être comprise qu’en l’inscrivant dans la série des lois et décisions réglementaires qui, depuis 3 ans, dessinent un système de recherche et d’enseignement supérieur dont la cohérence est de plus en plus manifeste. L’ensemble concourt à trois objectifs qui peuvent être énoncés ainsi :

1 – Donner au ministère le contrôle direct de toute la politique scientifique en affaiblissant puis en faisant disparaître les organismes publics de recherche et leurs instances représentatives, perçus comme excessivement autonomes. Cette reprise en main doit permettre de réorienter les activités de recherche et les cursus universitaires vers les domaines considérés comme rapidement « rentables » du point de vue économique.

2 – Modifier les règles de recrutement et de rémunération des personnels, pour passer du statut de la fonction publique au contrat à durée déterminée et au salaire négocié de gré à gré.

3 – Libéraliser l’Enseignement supérieur et désengager progressivement l’État de ce secteur : les universités sont appelées à devenir des PME mises en concurrence les unes avec les autres – et avec l’enseignement privé - pour l’accès aux financements (publics et privés), le recrutement des personnels et l’accueil des étudiants.

On ne peut comprendre cette volonté de refonte du système universitaire et de recherche - qui fait dire à François Fillon que cette réforme pourrait être la « plus importante de la législature » - sans prendre en compte ce qui fait exception dans la production du savoir scientifique. L’organisation du monde universitaire échappe aujourd’hui aux règles de la hiérarchie et de l’autorité qui prévalent dans le monde du travail. La démocratie des instances universitaires, héritées de mai 68, la règle de l’évaluation par les pairs, mais plus simplement la préservation d’un espace autonome où une pensée critique peut s’élaborer en dehors de toute contrainte économique, sont devenues proprement insupportables. Cette revanche idéologique rencontre aujourd’hui l’appétit insatiable du marché qui voit dans l’enseignement supérieur un nouveau terrain de conquête. Dans une économie où la connaissance devient le nerf de la guerre, il s’agit d’offrir aux entreprises la richesse de créativité et de savoirs que recèlent les institutions publiques.

La réforme en pointillé

Cette présentation peut paraître outrancière aux yeux de certains car les annonces du gouvernement, enrobées de déclarations bienveillantes, sont rarement explicites sur ses intentions réelles. Ainsi le gouvernement n’a-t-il jamais affiché son souhait de faire disparaître le CNRS, le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS), ou d’affaiblir les conseils scientifiques ou de laboratoire. Mais il les a patiemment rendus inopérants en créant une myriade de nouvelles structures s’y substituant de fait : ANR, AII, AERES, RTRA, fondations, PRES, pôles de compétitivité, etc. Cette première étape étant atteinte, il devient à présent possible de remettre en cause plus directement l’existence des structures elles-mêmes.

L’évolution récente du CNRS, qui rejoint celles plus anciennes de la CIRAD et de l’IRD, est à ce titre emblématique. Après s’être vu privé de la définition de sa politique scientifique par l’Agence Nationale de la Recherche, dont le budget dépasse de beaucoup ses crédits d’intervention, après s’être vu retirer l’essentiel de ses missions d’évaluation et de prospective au profit de l’AERES, le CNRS est en passe de devenir une simple agence de moyens, comme l’avait annoncé le candidat Sarkozy [1]. Il y a quelques mois, Catherine Bréchignac, sa présidente, annonçait que le CNRS allait restreindre ses activités en sciences de la vie à quelques thèmes prioritaires. Désormais, c’est l’ensemble des départements qui sont appelés à dresser la liste des unités de recherche dont la tutelle pourrait être confiée intégralement aux universités [2].

Le changement de statut des personnels a lui-même été préparé de longue date. Échaudé par le mouvement des chercheurs en 2004, qui refusaient les 550 CDD promis aux jeunes par Mme Haigneré en substitution de recrutements statutaires, le pouvoir a semblé faire volte-face en rétablissant, en avril 2004, les quelques milliers de postes supprimés. Mais à peine l’annonce faite, l’ANR était créée qui distribue chaque année plusieurs milliers de CDD. Il y a quelques mois, le candidat Sarkozy a annoncé qu’il souhaitait répondre à la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques en leur offrant « de vrais contrats de recherche de cinq ans au moins ». Ce sera bientôt chose faite puisque de nouvelles filières de recrutement de type « tenure-track » (CDD long terme) sont à l’étude pour l’université, tandis que le CNRS se dote cette année de « nouveaux contrats chercheurs et Ingénieurs Techniciens (IT) » de 6 ans. Dans le même temps, la mise en place de « primes au mérite », qui compensent (très mal) l’absence de possibilité d’avancement offerte aux personnels, se généralise à tous les établissements [3] (INSERM, CNRS, Universités, etc.). Enfin, la récente nomination de Bernard Belloc en tant que conseiller au cabinet de M. Sarkozy pour l’enseignement supérieur et la recherche augure d’une mise en place de la modulation des missions des EC [4].

La réforme de l’Université est aujourd’hui la moins aboutie, car elle est politiquement la plus explosive. Le gouvernement a décidé de l’engager au travers de la question apparemment anodine des « règles de gouvernance ». Alors que les difficultés de l’Université viennent pour l’essentiel d’un manque dramatique de moyens publics (rappelons qu’un étudiant « coûte » en France moins qu’un lycéen), l’urgence absolue serait de libérer les universités d’une tutelle trop pesante de l’État. Il prétend ainsi offrir aux universités une véritable autonomie, pourtant déjà inscrite dans la loi, que dans le même temps il conteste aux organismes de recherche [5]. Mais cette autonomie de gestion n’a rien à voir avec l’autonomie scientifique. Elle s’apparente davantage à un changement de statut préalable à la privatisation. En permettant à l’État de se désengager progressivement, cette réforme laissera les universités seules face à leurs bailleurs de fond, public et privé, et accentuera les distorsions qui existent entre les moyens – humains et financiers - dont chacune dispose. Les universités les plus « performantes », c’est-à-dire celles capables d’obtenir des moyens privés importants, vont rapidement être autorisées à sélectionner les meilleurs étudiants, et à imposer à ceux-ci le paiement de frais d’inscription plus élevés. Habilement, le gouvernement confie donc le soin à chaque direction d’université d’affronter cette question épineuse de la sélection et des frais d’inscription de façon… autonome.

Éviter le piège de la division

Les évolutions imposées au secteur de la recherche et de l’ES sont parcellaires et leur cohérence n’apparaît qu’en filigrane dans les multiples mesures, lois, dispositions, ou plus finement encore dans des décisions anodines prises par les directions d’établissements. Chacune d’entre elles prétend répondre à un problème particulier, n’être qu’une « simple adaptation aux évolutions inéluctables de la société », sans que leurs objectifs réels ne puissent être débattus.

Il ne faut pas se cacher que les calculs individuels et les rêves de pouvoir caressés par certains facilitent la mise en place de ces réformes. Mais c’est avant tout la division que cette stratégie de réforme pointilliste opère, entre chercheurs et enseignants-chercheurs, entre disciplines, entre universités, qui rend toute résistance difficile. Comment reprocher aux directions d’organismes, mises au régime sec, de se recentrer sur un nombre restreint de thèmes et de laboratoires ? Comment, à l’inverse, mettre en cause une direction d’université, qui, privée de partenaires publics, décide de renforcer ses liens avec les entreprises ? Lorsque la sélection sera à l’œuvre dans quelques universités, qui pourra contester aux autres de suivre le mouvement ? Comment reprocher aux personnels, privés de toute perspective d’avancement, de jouer le jeu des primes individualisées ? etc.

Face à cette logique du sauve-qui-peut, il est urgent de réagir collectivement, pour interrompre ce patient processus de déconstruction du dispositif de recherche et d’enseignement supérieur, et exiger que soient débattus clairement le sens qui est donné à l’existence d’une recherche publique et le rôle que la nation souhaite voir jouer à son système d’enseignement supérieur.

Cette exigence ne signifie pas l’opposition à toute forme d’évolution du dispositif actuel et la défense du statu quo ante. Nous ne nous pouvons nous contenter d’une autonomie aujourd’hui formelle des universités, mises de fait sous tutelle du ministère. Nous ne nous satisfaisons pas d’une orientation quasi-inexistante des étudiants qui conduit à des échecs nombreux notamment des étudiants de premier cycle issus des baccalauréats technologiques et professionnels. Nous n’acceptons pas que l’université française, qui accueille la très grande majorité des étudiants – et parmi eux les plus modestes -, devienne un lieu de relégation sociale.

Mais si nous devons porter un regard lucide sur ces dysfonctionnements bien réels, ils ne peuvent justifier que soit imposé un projet qui aggrave les difficultés actuelles et remette en cause les principes essentiels qui doivent guider l’action publique dans ces secteurs. C’est autour de ces principes, et de quelques propositions immédiates, que SLR appelle l’ensemble des personnels, dans les laboratoires, les UFR, les conseils scientifiques, mais également les étudiants des universités, à se mobiliser.

Plateforme Sauvons la Recherche

L’État est responsable du développement et de la transmission des connaissances dans l’ensemble des disciplines scientifiques [6]. Les connaissances issues de la recherche publique ont un statut de Bien Commun : les possibilités d’appropriation des découvertes par des intérêts privés et les limites imposées à la diffusion des connaissances doivent être fortement encadrées.

Les grandes orientations en matière de recherche sont définies par le gouvernement après vote du Parlement, au terme d’un débat ouvert à toutes les composantes de la société. Leur mise en œuvre est confiée à des établissements de recherche et d’enseignement supérieur au travers d’un processus de contractualisation.

Dans les mêmes conditions est défini également un cadre national de la politique d’enseignement supérieur : besoins culturels et de qualification du pays, implantations d’établissements, cursus et diplômes universitaires. Les modalités d’accès à l’enseignement supérieur doivent permettre de répondre à ces besoins, en compensant les inégalités sociales. [La gratuité des études et des aides sociales ciblées sont une condition de la démocratisation l’enseignement supérieur.] Les universités doivent avoir des moyens équivalents aux autres filières de formation.

Au-delà de ces grandes orientations, le rôle premier de l’État est de garantir l’autonomie des institutions de recherche et d’enseignement supérieur dans la mise en œuvre de celles-ci et de les protéger contre toute prise de contrôle par des intérêts privés. Ceci implique :
-  Un fonctionnement démocratique interne de ces institutions, notamment des instances d’évaluation et de direction.
-  Le respect du principe d’évaluation par les pairs, selon les seuls critères de qualité de la recherche au regard des normes académiques ou des retombées sociales des découvertes.
-  Des statuts pérennes pour les personnels, et des modes de recrutement et de progression de carrière fondée sur une évaluation collégiale et transparente.
-  La continuité des financements publics.

L’État favorise les coopérations et veille à la complémentarité entre les différents établissements publics mais n’organise pas leur mise en concurrence.

La politique de soutien à l’innovation doit être l’un des aspects d’une politique industrielle volontaire, dotée d’objectifs de développement clairement définis : elle ne saurait s’y substituer. Les moyens qui y sont consacrés doivent permettre de développer l’emploi dans les centres de recherche et développement.

La recherche privée ne pourra se développer sans l’existence d’une recherche et d’un enseignement supérieur publics de niveau international, dotés de moyens propres. Les coopérations entre secteurs publics et privés doivent être favorisés dans des conditions qui ne remettent pas en cause les missions et les principes du service public. Le soutien à l’innovation doit être clairement séparé du financement de la recherche publique, car les critères d’évaluation associés ne peuvent être confondus.

Ces principes sont aujourd’hui menacés par le « Pacte pour la Recherche » voté en 2006, par les réformes universitaires en préparation et par les évolutions constatées dans les organismes. Nous demandons donc un moratoire sur l’ensemble de ces réformes, afin de permettre une large consultation de tous les intéressés, mais aussi, dans l’immédiat :

-  Une remise à niveau des moyens consacrés aux universités permettant d’améliorer significativement les conditions de travail des étudiants et des personnels. Le taux d’encadrement, notamment en premier cycle, doit être fortement amélioré.

-  La mise en place d’allègements du service d’enseignement pour les enseignants-chercheurs sur la base de l’évaluation de leur activité de recherche

- La mise en place d’un plan pluriannuel pour l’emploi statutaire, un programme de résorption de la précarité, une revalorisation globale des carrières (en particulier des doctorants et des débuts de grille), et l’abandon des politiques de primes salariales individualisées. La reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives et les différentes fonctions publiques.

-  Une augmentation substantielle des crédits d’intervention des organismes de recherche et des universités dans le cadre de leur contractualisation. Ces crédits de base doivent représenter au moins 70% de l’ensemble des crédits disponibles pour les équipes. Les établissements doivent ainsi pouvoir disposer de l’ensemble du financement sur 4 ans pour mettre en oeuvre les programmes et projets des formations bien évalués.

-  Une modification profonde de la taille et du mode de fonctionnement de l’Agence Nationale de la Recherche, dont le rôle premier doit être de favoriser des programmes trans-disciplinaires et trans-organismes. Ces programmes négociés entre l’agence et les organismes concernés, permettrait un fonctionnement sur emplois statutaires et non sur CDD.

-  Une réforme des modes de fonctionnement des universités qui favorisent leur autonomie scientifique. Cette réforme doit faire l’objet d’un débat préalable avec l’ensemble de la communauté universitaire.

- Le développement d’une recherche industrielle publique dans les secteurs stratégiques - santé, énergie, environnement - avec des objectifs sociaux définis au terme d’un débat transparent. Cette politique doit être mise en œuvre notamment dans les établissements et les entreprises publiques, mais aussi exigée des entreprises liée à l’État par des contrats de service public (EDF, GDF, France Telecom, etc.)

-  Des soutiens publics ciblés au secteur privé, financés par un impôt sur les bénéfices et subordonnés à des objectifs de recherche et à l’embauche de personnels qualifiés sur emplois pérennes. L’utilisation de ces fonds doit être régulièrement évaluée. Le crédit d’impôt recherche, qui ne répond à aucun de ces critères, doit être drastiquement réorienté.

- L’abandon de la politique de pôles actuelle, visant à concentrer tous les moyens sur quelques pôles, en étouffant les secteurs qui n’auraient pas été sélectionnés au terme d’un processus où les guichets prolifèrent, et l’opacité est telle que seul le lobbying permet de survivre. Nous demandons un fonctionnement simplifié, plus transparent, permettant une mise en réseau des établissements de recherche et d’enseignement sur une base volontaire, et visant à une meilleure coordination régionale (PRES), ce qui n’empêche pas de faciliter le renforcement des pôles les plus actifs.

[1] Lire réponse de M. Sarkozy au questionnaire de SLR : http://www.recherche-en-danger.apin...

[2] Cette évolution est explicitée dans un document d’orientation intitulé « horizon 2020 » soumis au CA du CNRS récemment.

[3] Un décret vient de créer une « indemnité d’excellence scientifique » qui sera versée par l’ANR. Les lauréats seront sélectionnés par un jury dont les membres sont nommés par le ministère de la recherche. Voir : http://www.legifrance.gouv.fr/WAspa...

[4] Bernard Belloc est l’auteur d’un rapport en 2003 qui prônait un changement de statut des enseignants-chercheurs permettant cette modulation.

[5] Valérie Pécresse, le 4 Juin 2007 dans Le Parisien : « Pendant longtemps, on a financé des structures de recherche plutôt que des projets. Les politiques ne s’autorisaient plus à définir des priorités, et certains organismes ont pris l’habitude de définir eux-mêmes leur stratégie. J’estime que ce pilotage doit être fait par le ministère, avec le concours de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) »

[6] Le terme « scientifique » doit être entendu au sens large : il s’agit de tout ce qui a trait à la recherche, fût-elle en Littérature et Sciences Humaines.