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Quelles réformes pour l’enseignement supérieur et la recherche ?

le 26 juin 2007

L’enseignement supérieur français est en crise. Du côté des étudiants, taux d’échec important en premier cycle universitaire, mécanismes d’orientation aux effets pervers reconnus, conduisant trop d’étudiants, contre leur gré, dans des filières ne correspondant pas à leurs aspirations réelles, baisse massive des effectifs dans de nombreuses disciplines scientifiques mais aussi littéraires, baisse du nombre d’étudiants en master recherche et donc du vivier de personnels formés par la recherche pour les entreprises et la recherche publique... Côté conditions de travail, les enseignants-chercheurs sont accaparés par un volume d’enseignement et d’administration nettement supérieur à celui des autres pays, ce qui les handicape fortement pour la recherche. Sans parler naturellement de l’état des locaux universitaires, du manque de personnel administratif, de la multiplication des emplois précaires au sein des universités. Parmi les diverses origines de cette crise on trouve des problèmes de moyens (la dépense par étudiant à l’université est de 6700 euros par an en France, contre 10 000 au moins dans les autres grands pays), mais aussi des problèmes structurels. Depuis 2004 et le début du mouvement SLR, nous avons à de nombreuses reprises évoqué ces difficultés, et proposé des réformes lors des Etats-Généraux de la Recherche.

Le nouveau gouvernement a décidé d’engager des réformes dans ce secteur. Il a décidé de faire voter cet été, lors d’une séance parlementaire extraordinaire, une loi sur l’Université. En guise de consultation, des groupes de travail ont été constitués pour trois semaines seulement, et le ministère à sorti le projet de loi avant même la fin de ces discussions. Ce simulacre de dialogue sert d’écran de fumée pour faire passer pendant la période estivale une réforme qui avait déjà été écrite, et qui, on va le voir, est très éloignée de ce qui est souhaitable (et que nous développerons plus loin). Comme toujours, plusieurs réformes sont possibles, et le choix entre elles est politique et non pas technique.

Il serait faux d’interpréter cette nouvelle loi comme une simple réponse technique, consensuelle, aux difficultés que rencontrent les universités dans leur fonctionnement quotidien : il s’agirait simplement de « moderniser leur gouvernance » et d’améliorer les conditions de vie des étudiants. Une telle vision est soit naïve, soit trompeuse : cette réforme constitue au contraire une étape cruciale d’un processus politique de longue haleine. Elle ne peut être comprise qu’en l’inscrivant dans la série des lois et décisions réglementaires qui, depuis 3 ans, dessinent un système de recherche et d’enseignement supérieur dont la cohérence est de plus en plus manifeste. L’ensemble concourt à trois objectifs qui peuvent être énoncés ainsi :

1 – Donner au ministère le contrôle direct de toute la politique scientifique en affaiblissant puis en faisant disparaître les organismes publics de recherche et leurs instances représentatives, perçus comme excessivement autonomes. Cette reprise en main doit permettre de réorienter les activités de recherche et les cursus universitaires vers les domaines considérés comme rapidement « rentables » du point de vue économique.

2 – Modifier les règles de recrutement et de rémunération des personnels, pour passer du statut de la fonction publique au contrat à durée déterminée ou non, permettant de négocier le salaire et le service de recherche et d’enseignement de gré à gré. Cette possibilité est inscrite dans la loi sur l’autonomie proposée actuellement par le gouvernement.

3 – Modifier l’équilibre de financement des universités, avec une diminution progressive du poids relatif de l’État dans ce secteur.

Pour comprendre la forme que prend cette refonte du système universitaire et de recherche - qui fait dire à François Fillon que cette réforme pourrait être la « plus importante de la législature » -, il faut analyser sa dimension "idéologique", qui se heurte à ce qui fait exception dans la production du savoir scientifique. L’organisation du monde universitaire, à travers ses différentes formes de représentation démocratique, et la règle de l’évaluation par les pairs, préserve un espace autonome où une pensée critique peut s’élaborer en dehors de toute contrainte économique, et échappe aujourd’hui en partie aux règles de la hiérarchie et de l’autorité qui prévalent dans le reste du monde du travail. Il ne s’agit pas d’un privilège, mais bien d’une nécessité liée à la nature particulière de ce secteur d’activité. Ces modalités sont aujourd’hui remises en cause : dans une économie où la connaissance devient le nerf de la guerre, il s’agit, plutôt que de favoriser la coopération et l’émulation entre les acteurs de la recherche, d’organiser une mise en concurrence généralisée, plus conforme aux lois du marché, sans comprendre que la recherche, avec ses rythmes propres, et sa nécessaire diversité, s’en trouverait affaiblie, et par suite l’économie elle-même deviendrait plus fragile.

La réforme en pointillé

Les annonces du gouvernement, enrobées de déclarations bienveillantes, ne permettent pas de saisir ses intentions réelles. Pour cela, il faut garder en mémoire à la fois les évolutions récentes du système de recherche imposées par le précédent gouvernement, et le programme de Nicolas Sarkozy. Ainsi le gouvernement n’a-t-il jamais affiché explicitement son souhait de faire disparaître le CNRS ou le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS, qui évalue les unités de recherche du CNRS). Mais il les a patiemment affaiblis en créant de nouvelles structures qui rognent sur leurs missions. L’évolution récente du CNRS est à ce titre emblématique. Il s’est vu limité dans la définition de sa politique scientifique par l’Agence Nationale de la Recherche, dont le budget dépasse de beaucoup ses crédits d’intervention. Cela pourrait conduire dans un premier temps à un réflexe de repli sur soi de l’organisme, déjà illustré à l’automne 2006 par l’annonce faite par sa présidente d’une restriction de ses activités en sciences de la vie à quelques thèmes prioritaires, ou bien encore plus récemment par des incitations à diminuer le nombre d’unités mixtes avec les universités. De même, le Comité national se voit retirer une partie de ses missions d’évaluation et de prospective au profit de l’AERES, ce qui conduit d’ailleurs à une disjonction, néfaste à la qualité de l’évaluation elle-même, entre l’évaluation des unités et celle des personnels qui les composent. Enfin, alors que notre système de recherche souffrait déjà d’un nombre trop important d’organismes et de structures empilées, les gouvernements récents n’ont eu cesse de les multiplier, rendant le paysage confus et de moins en moins gouvernable.

La volonté de changer le statut des personnels n’est pas nouvelle non plus. En 2004, la transformation en CDD de la moitié des postes de fonctionnaires libérés par des départs a été l’un des déclencheurs du mouvement des chercheurs, car cela brouillait les perspectives offertes aux jeunes chercheurs, au risque qu’ils se détournent de la recherche au profit d’autres emplois plus stables et mieux rémunérés. Le pouvoir a semblé faire volte-face en rétablissant, en avril 2004, les quelques centaines de postes supprimés. Mais à peine l’annonce faite, l’ANR était créée qui distribue chaque année plusieurs milliers de CDD. Il y a quelques mois, le candidat Sarkozy a annoncé qu’il souhaitait répondre à la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques en leur offrant « de vrais contrats de recherche de cinq ans au moins ». Ce sera bientôt chose faite puisque le projet de loi sur les universités prévoit la possibilité pour les universités de recruter des enseignants-chercheurs et chercheurs en dehors des statuts actuels, tandis que le CNRS se dote cette année de « nouveaux contrats chercheurs et Ingénieurs Techniciens (IT) » de 6 ans. Cela conduira à de grandes difficultés : que deviendront en effet les chercheurs employés sur ces contrats s’ils ne trouvent pas un emploi stable à l’issue de leurs CDD ? Contrairement à d’autres pays, les docteurs trouvent aujourd’hui des débouchés très insuffisants en entreprise, où leur expérience est rarement valorisée. C’est généralement encore pire pour ceux qui ont fait plusieurs années de post-doc. Le problème n’est pas uniquement social : il porte en effet les germes d’une crise profonde, puisque les étudiants, au vu de ces débouchés incertains, ont tendance à se tourner vers d’autres filières. Amplifier cette situation inquiétante conduirait en fait à perdre une génération de chercheurs.

La réforme de l’Université est aujourd’hui la moins avancée, car elle est politiquement la plus explosive. Le gouvernement a décidé de l’engager au travers de la question des « règles de gouvernance ». Cette question est très importante, et nous avions évoqué dans le rapport des Etats-Généraux de la Recherche que les réformes que nous proposions, qui reposaient en particulier sur une forte montée en puissance du rôle des universités dans le système de recherche (sans pour autant affaiblir les organismes de recherche), nécessitaient une évolution de la manière dont beaucoup d’universités sont dirigées. Il s’agissait notamment de permettre la mise en place d’une vraie politique scientifique. L’avant-projet de loi rendu public modifie profondément les règles de gouvernance des organismes, mais sa philosophie ne correspond pas aux besoins de l’université. Il prétend ainsi offrir aux universités une véritable autonomie (pourtant déjà inscrite dans la loi, mais qui n’a pas de consistance réelle) que dans le même temps il conteste aux organismes de recherche (Valérie Pécresse, le 4 Juin 2007 dans Le Parisien : « Pendant longtemps, on a financé des structures de recherche plutôt que des projets. Les politiques ne s’autorisaient plus à définir des priorités, et certains organismes ont pris l’habitude de définir eux-mêmes leur stratégie. J’estime que ce pilotage doit être fait par le ministère, avec le concours de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) »). Mais cette autonomie de gestion n’a rien à voir avec l’autonomie scientifique. Elle s’apparente davantage à un changement de statut permettant à l’État de se désengager progressivement, ou en tout cas de diminuer sa part dans le financement. C’est écrit implicitement dans le rapport de F. Goulard, qui compare le financement provenant de l’Etat (qui est de 90% environ aujourd’hui) dans le budget total d’une université française à la part du budget provenant l’Etat dans une université américaine (moins de 50%). Cette réforme accentuera les distorsions qui existent entre les moyens – humains et financiers - dont chacune dispose. Car les secteurs disciplinaires ne sont pas à égalité lorsqu’il s’agit d’attirer des investissements privés, ce qui n’a rien à voir avec la qualité scientifique mais avec le secteur d’activité.

Éviter le piège de la division

Cette stratégie de réforme pointilliste opère, entre chercheurs et enseignants-chercheurs, entre disciplines, entre universités, des divisions qui rendent difficile la mise en place d’une réponse collective. Comment reprocher aux directions d’organismes, mises au régime sec, de se recentrer sur un nombre restreint de thèmes et de laboratoires ? Comment reprocher aux personnels, privés de perspective d’avancement, de jouer le jeu des primes individualisées ? etc.

Face à cette logique du sauve-qui-peut, il est urgent de réagir collectivement, pour interrompre ce patient processus de déconstruction du dispositif de recherche et d’enseignement supérieur, et exiger que soient débattus clairement le sens qui est donné à l’existence d’une recherche publique et le rôle que la nation souhaite voir jouer à son système d’enseignement supérieur.

Cette exigence est un préalable à toute forme d’évolution du dispositif actuel, et doit permettre des réformes constructives. Le statu quo serait absurde. Nous ne pouvons nous contenter d’une autonomie aujourd’hui formelle des universités, mises de fait sous tutelle du ministère. Nous ne nous satisfaisons pas d’une orientation quasi-inexistante des étudiants qui conduit à des échecs nombreux notamment des étudiants de premier cycle issus des baccalauréats technologiques et professionnels. Nous n’acceptons pas que l’université française, qui accueille la très grande majorité des étudiants – et parmi eux les plus modestes -, devienne un lieu de relégation sociale.

Mais si nous devons porter un regard lucide sur ces dysfonctionnements bien réels, ils ne peuvent justifier que soit imposé un projet qui aggrave les difficultés actuelles et remette en cause les principes essentiels qui doivent guider l’action publique dans ces secteurs. Toutes les réformes n’auront pas les mêmes conséquences pour l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche, et nous soutiendrons celles qui satisferont les principes et les propositions ci-dessous.

Plateforme Sauvons la Recherche

1 - L’État est responsable du développement et de la transmission des connaissances dans l’ensemble des disciplines scientifiques (Le terme « scientifique » doit être entendu au sens large : il s’agit de tout ce qui a trait à la recherche, y compris en Littérature et Sciences Humaines). Les connaissances issues de la recherche publique ont un statut de Bien Commun : les possibilités d’appropriation des découvertes par des intérêts privés et les limites imposées à la diffusion des connaissances doivent être fortement encadrées.

2 - Les grandes orientations en matière de recherche sont définies par le gouvernement après vote du Parlement, au terme d’un débat ouvert à toutes les composantes de la société. Leur mise en œuvre est confiée à des établissements de recherche et d’enseignement supérieur au travers d’un processus de contractualisation.

3 – Dans les mêmes conditions est défini également un cadre national de la politique d’enseignement supérieur : besoins culturels et de qualification du pays, implantations d’établissements, cursus et diplômes universitaires. Les modalités d’accès à l’enseignement supérieur doivent permettre de répondre à ces besoins, en compensant les inégalités sociales. Les universités doivent avoir des moyens équivalents aux autres filières de formation.

Au-delà de ces grandes orientations, le rôle premier de l’État est de garantir l’autonomie des institutions de recherche et d’enseignement supérieur dans la mise en œuvre de celles-ci et de les protéger contre toute dépendance à l’égard des intérêts particuliers. Ceci implique :

- Un fonctionnement démocratique interne de ces institutions, notamment des instances d’évaluation et de direction.

- Le respect du principe d’évaluation par les pairs, selon les seuls critères de qualité de la recherche au regard des normes académiques ou des retombées sociales des découvertes.

- Des statuts garantissant l’indépendance des personnels vis-à-vis des intérêts privés ; des modes de recrutement et de progression de carrière fondés sur une évaluation collégiale et transparente.

- La mise à niveau et la programmation des financements publics permettant aux établissements de s’engager sur le moyen et long terme.

L’État favorise les coopérations et veille à la complémentarité entre les différents établissements publics mais n’organise pas leur mise en concurrence.

La politique de soutien à l’innovation doit être l’un des aspects d’une politique industrielle volontaire, dotée d’objectifs de développement clairement définis : elle ne saurait se substituer à la politique de recherche. Les moyens qui y sont consacrés doivent permettre de développer l’emploi dans les centres de recherche et développement.

La recherche privée ne pourra se développer sans l’existence d’une recherche et d’un enseignement supérieur publics de niveau international, dotés de moyens propres. Les coopérations entre secteurs publics et privés doivent être favorisées dans des conditions qui ne remettent pas en cause les missions et les principes du service public, ni son indépendance. Le soutien à l’innovation doit être clairement séparé du financement de la recherche publique, car les critères d’évaluation associés ne peuvent être confondus.

Ces principes sont aujourd’hui menacés par le « Pacte pour la Recherche » voté en 2006, et par le programme du nouveau président de la République. Des mesures immédiates sont nécessaires :

- Une remise à niveau des moyens consacrés aux universités permettant d’améliorer significativement les conditions de travail des étudiants et des personnels. Le taux d’encadrement, notamment en premier cycle, doit être fortement amélioré.

- La mise en place d’allègements du service d’enseignement pour les enseignants-chercheurs sur la base de l’évaluation de leur activité de recherche

- La mise en place d’un plan pluriannuel pour l’emploi statutaire, un programme de résorption de la précarité, une revalorisation globale des carrières (en particulier des doctorants et des débuts de grille), et l’abandon des politiques de primes salariales individualisées (dont les effets pervers sont bien connus) au profit des promotions basées sur l’évaluation. La reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives et les différentes fonctions publiques.

- Une augmentation substantielle des crédits d’intervention des organismes de recherche et des universités dans le cadre de leur contractualisation. Ces crédits de base doivent représenter au moins 70% de l’ensemble des crédits disponibles pour les équipes. Les établissements doivent ainsi pouvoir disposer de l’ensemble du financement sur 4 ans pour mettre en oeuvre les programmes et projets des formations bien évaluées.

- Une modification profonde de la taille et du mode de fonctionnement de l’Agence Nationale de la Recherche, dont le rôle premier doit être de favoriser des programmes trans-disciplinaires et trans-organismes. Ces programmes négociés entre l’agence et les organismes concernés, permettraient un fonctionnement sur emplois statutaires et non sur CDD.

- Une réforme des modes de fonctionnement des universités qui permette leur autonomie scientifique dans le cadre de leurs engagements contractuels avec l’Etat et les organismes de recherche. Cette réforme doit faire l’objet d’un débat préalable avec l’ensemble de la communauté universitaire.

- Le développement d’une recherche industrielle publique dans les secteurs stratégiques - santé, énergie, environnement - avec des objectifs sociaux définis au terme d’un débat transparent. Cette politique doit être mise en œuvre notamment dans les établissements et les entreprises publiques, mais aussi exigée des entreprises liée à l’État par des contrats de service public (EDF, GDF, France Telecom, etc.)

- Des soutiens publics ciblés au secteur privé, financés par redéploiement vers la recherche d’une partie des multiples aides existantes et subordonnés à des objectifs de recherche et à l’embauche de personnels qualifiés sur emplois pérennes. L’utilisation de ces fonds doit être régulièrement évaluée. Le crédit d’impôt recherche, qui ne répond à aucun de ces critères, doit être drastiquement réorienté.

- L’abandon de la politique visant à concentrer tous les moyens sur un nombre très réduit de pôles, en étouffant les secteurs qui n’auraient pas été sélectionnés au terme d’un processus où les guichets prolifèrent, et l’opacité est telle que seul le lobbying permet de survivre. Nous demandons un fonctionnement simplifié, plus transparent, permettant une mise en réseau des établissements de recherche et d’enseignement sur une base volontaire, et visant à une meilleure coordination régionale (PRES), ce qui n’empêche pas de faciliter le renforcement des pôles les plus actifs.

Il appartient au gouvernement de les mettre en place au plus vite. Nous demandons que toute réforme soit précédée d’une large consultation de tous les intéressés.

Le conseil d’administration de SLR