Les universitaires sacrifiés
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, le 4 juillet 2007Le socle de la réforme des universités et ce que l’on peut attendre des cinq piliers qui viendront s’y insérer semble pour l’instant recevoir l’aval tant des syndicats étudiants que de la conférence des présidents d’université. Drôle d’alliance que celle-ci mais passons... Il est plus intéressant de s’attarder sur les non dits et sur les présupposés quasi idéologiques de cette loi.
Les heures élastiques...
Il est bon de commencer par rappeler quelques chiffres : un salarié français qui a la chance de bénéficier d’un travail à temps plein sur la base de 35h fourni près de 1600h de travail annuelles. Qu’en est-il des étudiants ? Dans le cadre du système LMD, un étudiant doit valider 30 ECTS (crédits pédagogiques) par semestre soit 60 par an et ce quelle que soit sa formation ou son niveau de diplôme. L’objectif du LMD est d’avoir une uniformisation à l’échelon européen facilitant les passerelles et la lisibilité. Objectif louable...sauf que ces derrière ces 30 crédits se cachent des réalités très contrastées : ainsi, en moyenne, pour un étudiant en Licence ou Master à l’université ces 30 ECTS représentent 500 heures d’enseignement présentiel, en face à face avec un enseignant. Pour un élève ingénieur d’une grande école c’est 800 à 1000 heures. Tout le monde a entendu ces chiffres] montrant que la dépense par étudiant est plus faible à l’université qu’au lycée, dans les classes préparatoires ou dans les grandes écoles : en voilà une traduction concrète ! Les étudiants de l’université ne bénéficient généralement pas des mêmes facilités que leurs collègues des grandes écoles : ils ont bien souvent essayé de se frayer un chemin vers ces filières élitistes (IUT, IUP, classes prépas, grandes écoles avec prépas intégrées...) mais ont été rejetés. De plus, ce sont eux qui ont le plus besoin de travailler pour financer leurs études. Malgré tout, il leur faudra assurer un temps de travail individuel considérable pour compenser une écrasante différence d’encadrement avec les filières sélectives. Tout le monde, des syndicats étudiants aux personnels enseignant en passant par les industriels connaît cet état de fait. Dans ces conditions, comment s’étonner qu’un patron préfère, à niveau de diplôme équivalent, recruter un ingénieur qui aura reçu une formation deux fois plus importante qu’un universitaire ? Deux fois, cela veut dire qu’il aura vu plus de choses et surtout qu’il aura eu le loisir d’acquérir une meilleure maîtrise de ces connaissances. Pour réformer l’université et donner toutes leurs chances à nos étudiants, pour rapprocher université et grandes écoles il faut donc augmenter significativement les heures d’enseignement à l’université. Or, on constate à chaque nouvelle habilitation d’un diplôme des consignes du type : "Votre offre de formation est trop large, il faut réduire le nombre de masters", "des cours peuvent être mutualisés entre plusieurs formations différentes", ou encore "200 h de cours en janvier et mars c’est trop chargé pour les étudiants, il faut réduire"...
Conséquences sur les personnels et la recherche
Les plus anciens de nos collègues se souviennent certainement qu’en 1984, quand le service horaire est passé de 128 HETD à 192 HETD, c’était pour faire face à l’afflux d’étudiants dans le supérieur provoqué par les "80\% d’une classe d’âge au Baccalauréat". Aujourd’hui qu’en est-il ? Mme Pécresse a clairement laissé entendre que l’enseignement supérieur sera bientôt touché par la baisse des effectifs de fonctionnaire : le reflux des étudiants et (grâce à la réforme) la résolution du problème des redoublements en licence conduiront naturellement à une diminution du nombre d’heures 4 Vérités du vendredi 29 juin 2007. En clair, le service peut augmenter (au détriment de la recherche) en cas d’afflux mais en cas de reflux c’est le nombre de postes qui diminue... Dans ces conditions, et avec cet objectif absurde de diminuer coûte que coûte le nombre de fonctionnaires, les heures d’enseignement qu’il serait indispensable de créer pour rapprocher sérieusement université et grandes écoles ne le seront jamais ! En revanche, on continuera à fusionner les cours qui semblent commun à des formations voisines, on continuera de dire que les semestres sont trop chargés et on justifiera ainsi la disparition des postes d’enseignant-chercheurs. Les étudiants de l’université seront bien entendu les grands perdants, comme toujours, face aux filières élitistes que sont les écoles d’ingénieurs, les écoles de commerce, les écoles normales, etc. Mais la recherche aussi est perdante car rien n’est fait pour alléger la part d’enseignement dans le service des universitaires ce qui grève mécaniquement le temps disponible pour la recherche.
Sortir de l’hypocrisie
Il est donc temps de sortir de l’hypocrisie et de dire les problèmes et les inégalités tels qu’ils sont. Le problème des étudiants universitaires ce n’est pas la taille du Conseil d’Administration, ni les pouvoirs du président, ni l’ouverture des bibliothèques nuits et week-end c’est d’avoir plus de temps avec les enseignants pour apprendre et approfondir les connaissances ! En parallèle, le problème de la recherche c’est d’avoir des enseignants chercheurs disponibles pour cette activité sur un temps minimum suffisamment conséquent pour espérer être efficace. Ces deux exigences demandent la création de postes pour mettre des enseignants face aux étudiants tout en leur laissant un temps de recherche conséquent. Il est clair que l’on ne va pas dans cette direction. Les étudiants de l’université seront donc sacrifiés pour maintenir l’hégémonie des filières sélectives. Quant aux enseignants universitaires, quelques uns, sur des sujets à la mode, pourront continuer des travaux de recherche sérieux, tandis que le gros de la troupe sera cantonné aux activités d’enseignement. La recherche sur projet à visée applicative industrielle rapide (cf discours de la convention UMP sur la connaissance) peut se faire dans les écoles d’ingénieurs, les enseignants-chercheurs universitaires seront donc eux aussi sacrifiés.