Pas d’accord(s) !
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, le 9 juillet 2007Parce que nous sommes des enseignants-chercheurs, doctorants, docteurs, chercheurs engagés dans nos travaux, mais aussi des citoyens, nous ne pouvons pas ne pas exercer notre devoir d’alerte. Devoir d’alerte vis-à-vis de la « communauté universitaire », des citoyens de ce pays, des parlementaires et des « forces vives de la nation ».
Il faudrait tout d’abord s’accorder sur les mots : dans le projet de loi actuel, de quelle autonomie est-il question ? Les universités ne seraient-elles pas aujourd’hui autonomes ? Dans leur projet d’établissement, dans leur offre pédagogique, dans leur politique de recherche ? En fait, ce terme comme celui de « TVA sociale » ou d’autres « Plan social », « Pacte pour la Recherche » fait partie de ces impostures langagières dont le pouvoir politique se repaît. Et l’on doit admettre que l’actuel Président de la République et son cortège de grands communicants y excellent. Ici donc, au prétexte que les universités seraient « ingérables » par des présidents d’université qui oublient très vite qu’ils ont été élus par les personnels et non nommés par le prince, le projet de loi nous est présenté comme une réponse technique à des préoccupations essentiellement gestionnaires. Il s’agirait donc tout simplement de rendre plus fluide une gestion alourdie par les débats dans les différents conseils, par les recrutements par des commissions de spécialistes élues par leurs pairs, etc. Mais qu’est-ce que la question de l’autonomie – vis-à-vis de quelle instance au fait ? – a à voir avec des difficultés légitimement exprimées par ces collègues qui n’ont pas été contraints de prendre ces mandats mais s’y sont présentés par choix ? Exit donc l’autonomie, bienvenue en revanche à la Présidentialisation des affaires universitaires, à la captation du Pouvoir par quelques uns qui se rêvent seuls maîtres à bord, tels des capitaines d’industrie universitaire.
Le flou dans lequel l’information est relayée par la presse est savamment entretenu par le gouvernement, qui au prétexte de sauver les universités de leur déshérence (« le texte le plus important de la mandature ») organise de manière très ordonnée (mais franchement précipitée) le démantèlement de l’enseignement supérieur et de la recherche français. À terme, cette soi-disant autonomie ne conduira qu’à renforcer les clivages au sein des premiers cycles entre des collèges universitaires de province ou de banlieue et une dizaine de grands pôles universitaires qui tenteront de se partager les quelques subsides d’une recherche politiquement administrée, politiquement orientée, politiquement instrumentalisée. Que l’on songe aux propos du candidat Sarkozy indiquant la fin du financement par la collectivité des études de lettres classiques ou de l’anthropologie. À quoi sert de savoir d’où l’on vient et ce qui nous fait humain parmi les humains ? À rien, en effet dans le monde assez simple de la concurrence généralisée du tous contre tous, où la délinquance est inscrite dans les gènes.
Qu’ils se leurrent ceux qui croient avoir provisoirement gagné quelques garanties d’abandon de sélection, ou de maintien des droits de scolarité ! Quand bien même la sélection n’est pas – encore – inscrite dans le texte, elle existe dans les faits : les capacités d’accueil des établissements fixent déjà de fait les conditions de la sélection, ce n’en sera que plus facile et légitime pour les établissements autonomes de demain. Ne pas vouloir le voir, c’est jouer le jeu de dupes et d’illusionnistes auquel nous convient les grands communicants, et s’accorder sur la nécessité de faire quelque chose, quitte à ce que le remède soit pire que le mal.
Parce qu’ils veulent une autre évolution, le 2 juillet étaient réunis des personnels universitaires, des chercheurs et des étudiants, à l’appel de plusieurs organisations syndicales et en présence de membres de la CPU, pour lancer ensemble un projet alternatif à celui proposé par le gouvernement. Les 4 ateliers comme les 2 séances plénières ont fait le constat alarmant que l’université française va très mal, quel que soit l’angle sous lequel on l’aborde. Et dans le même temps, les débats ont été unanimes quant au fait que la loi dite « d’autonomie » ne répondait à aucun des symptômes de la maladie. Au contraire, plusieurs voix se sont élevées dans chacun des ateliers pour alerter l’opinion contre un projet de démantèlement du service public de l’éducation, contre un bouleversement idéologique sans précédent des principes de la formation.
Deux exemples parmi d’autres. Le projet de loi ajoute (art.1er) « l’orientation et l’insertion professionnelle » aux missions de l’université. Si chacun est conscient de la nécessité d’aider les étudiants à s’orienter, chacun a aussi pu constater les effets pervers des initiatives dite « d’orientation active » mises en place de manière autonome par les universités, initiatives qui sont en fait des dispositifs automatiques de dissuasion passive, et constituent donc autant d’outils sournois de sélection. Quant à l’insertion professionnelle, le libellé laisse entendre au mieux que l’université devrait se transformer en une ANPE de ses diplômés, faute de quoi elle constituerait une fabrique à chômeurs. Ce tour de passe-passe renverse ainsi les responsabilités politiques : s’ils trouvent certes beaucoup de stages, non rémunérés et conventionnés par l’université, les jeunes diplômés ne trouveraient pas d’emploi non pas à cause de l’état du marché du travail mais à cause de l’université ?
Concernant le mode de recrutement des enseignants-chercheurs (art. 23), la nouvelle disposition de la loi consiste à mettre le président et son équipe en première ligne, en supprimant le rôle de la collégialité universitaire, celui des spécialistes de la discipline, celui enfin de la désignation de ceux-ci par leurs pairs. Les effets à en attendre sont évidemment une aggravation du localisme dans les recrutements et du clientélisme local. Le recrutement par les pairs est la norme dans la plupart des pays, y compris aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, comme gage de qualité scientifique : pas bon pour le classement de Shangaï tout ça !
Le dernier effet pervers attendu, souligné par les juristes présents, est paradoxal : alors que le projet de loi est légitimé par une « nécessaire autonomie », les pouvoirs colossaux attribués par ces dispositions au Président, le poseront en état de dépendance vis-à-vis de ses bailleurs de fonds que sont (pour les principaux) le Ministère de l’éducation Nationale et les collectivités territoriales. Ne pouvant se réfugier derrière la décision collégiale du recrutement, ils auront des difficultés pour résister aux pressions subordonnant les moyens alloués au recrutement de tel ou tel.
Ce projet de loi est un leurre et ne répondra à aucune des questions posées par les maladies actuelles de l’enseignement supérieur : les différences indécentes de traitement des étudiants inscrits dans les grandes écoles et à l’université, les relations compliquées avec les grands organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA…), l’insalubrité des locaux, l’indigence des effectifs des personnels administratifs. L’indigence aussi et surtout des recrutements qui détourne et pour longtemps les jeunes talents des métiers de la recherche. Quelles réponses apporte le projet de loi à toutes ces questions ?
C’est tout cela qu’il convient de rappeler au peuple français et non de faire croire qu’il s’agit de combats corporatistes d’arrière-garde. La plupart des universitaires ne se battent plus pour leurs salaires ou la défense de leur pré carré, mais bien pour que les jeunes chercheurs avec qui ils travaillent aient un emploi décent, sortent de la précarité dans laquelle la gestion politique actuelle des vocations scientifiques les enferme ; mais aussi pour qu’ils puissent, avec eux, disposer de moyens de faire de la recherche : un bureau, un téléphone, du papier, un ordinateur, des missions pour communiquer à l’étranger ou en France ; ou encore pour que la jeunesse dont ils ont la responsabilité puisse sortir, non avec un emploi local, mais avec un bagage reconnu et recherché dans le monde du travail, qui leur assure la mobilité et la distance critique dans leur vie d’adulte. Pour que les syndicats de salariés puissent défendre la qualification des emplois, encore faut-il que ces bagages restent des diplômes nationaux, avec des contenus délimités et transférables sur le marché du travail, en France comme à l’étranger. Là encore, le projet de loi est singulièrement muet. Pour toutes ces raisons, et pour la casse de la fonction publique qu’il contient en germe, il n’est pas recevable et doit être retiré.
Des participants aux Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche du 2 juillet 2007.