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L’étrange "démission" de Christian Bréchot

Par Alain Trautmann, le 11 octobre 2007

Le 8 octobre 2007, Christian Bréchot a démissionné du poste de DG de l’INSERM, qu’il occupait depuis près de 7 ans. Le conseil des Ministres a accepté cette démission le 11 octobre. En réalité, le DG a vraisemblablement été brutalement contraint à cette démission pour deux raisons. La première est liée à "l’affaire Metagenex". En 2004, l’équipe dirigée par Patrizia Paterlini-Bréchot publie un article suggérant qu’il devrait être possible de suivre l’évolution d’une pathologie cancéreuse en détectant la présence, dans le sang, de quelques rares cellules tumorales. C. Bréchot, qui est un ardent défenseur de la valorisation industrielle des découvertes scientifiques, s’empresse, avec son épouse, de prendre un brevet et de monter une start-up. Après quelque temps, BNP et Axa décèlent les gains potentiels associés à cette start-up et y investissent ce qu’il faut pour en prendre le contrôle. Ils décident de passer rapidement à la commercialisation du test, non pas pour suivre des malades, mais pour dépister la maladie chez des individus présumés sains. Cette nouvelle application exige des contrôles supplémentaires, réclamés par les Bréchot, car un test de dépistage doit absolument être fiable, afin d’éviter les faux-positifs et faux-négatifs, qui constituaient un moindre problème lorsque le test servait uniquement au suivi de malades déclarés. Mais devenus simples actionnaires, ils n’ont plus aucun contrôle sur leur découverte, et n’ont plus le droit de s’opposer à cette commercialisation prématurée. Cette exigence éthique contrarie les espoirs de gains rapides et importants pour BNP et Axa, qui ont vraisemblablement demandé que l’on fasse taire Bréchot. Le 21 septembre 2007, après un examen de la situation par les deux ministères de tutelle de l’INSERM (recherche et santé), une lettre officielle demande au DG de l’INSERM de faire en sorte que Metagenex puisse exploiter le brevet sur le test de dépistage, "solution la plus conforme à l’intérêt public", ce qui est un mensonge évident. Bréchot n’ayant pas obtempéré, ses jours étaient comptés à la direction de l’INSERM [1]

Il n’est pas question ici de faire un panégyrique de C. Bréchot. Il a été un directeur de l’INSERM dynamique, actif, qui a pris un grand nombre d’initiatives. Il a aussi été un serviteur zélé du pouvoir en place, devançant souvent ce qui pouvait lui être demandé. Un certain nombre de ses décisions ont provoqué des critiques légitimes, qu’il s’agisse de sa tendance autocratique, avec de fréquentes modifications des propositions des comités d’évaluation, ou la mise en place des contrats d’interface, système de primes attribués avec une bonne dose d’opacité et d’arbitraire, encourageant l’individualisme au détriment de la solidarité. Mais dans l’affaire Metagenex, après avoir joué à fond le jeu de la valorisation, il a eu une attitude normale de scientifique rigoureux, avec des exigences éthiques. Le gouvernement ne lui fait aucun reproche concernant sa direction de l’INSERM. Sa faute impardonnable, c’est d’avoir entravé, au nom de la rigueur scientifique, la possibilité de gains financiers rapides pour des amis de N. Sarkozy.

Il y a sans doute une deuxième raison à ce limogeage. Des indices convergents montrent qu’un plan de restructuration complète de la recherche en France se prépare dans le dos de la communauté scientifique. Des rumeurs insistantes mentionnent un démantèlement du CNRS, son département des Sciences de la Vie (SDV) lui serait retiré, pour fusionner avec l’INSERM, le tout disparaissant dans un grand Institut biomédical. Ce qui est certain est que depuis plusieurs mois, le département SDV du CNRS a seulement un directeur intérimaire, et que voilà l’INSERM sans capitaine. Faute d’information, on peut néanmoins craindre une sorte de Yalta entre le pouvoir médical et le pouvoir lié à l’agroalimentaire, qui ne laisserait de place en France que pour les biologistes qui s’inscrivent dans l’une ou l’autre logique. Les grands perdants à venir seraient ceux qui font une recherche fondamentale sans perspective immédiate d’applications médicales ou agronomiques. Peu importe que ce type de recherche soit d’une importance décisive pour la société, y compris pour la médecine et l’agronomie de demain. La volonté de prise de contrôle politique de la recherche par le pouvoir (déjà largement mise en place par l’ANR), le désir d’un lobby médical de contrôle de la recherche en biologie-santé, la demande des décideurs financiers d’une recherche rapidement rentable, tout ceci peut converger vers une restructuration majeure dans les mois qui viennent.

Ainsi, rien de doit s’opposer à la liberté de la mise sur le marché d’un produit qui promet des gains intéressants à ceux auxquels N. Sarkozy ne refuse rien, pas même 15 milliards d’euros de cadeaux fiscaux. Si la rigueur scientifique et l’éthique constituent des entraves à ce type de liberté, elles doivent être écrasées. Et si on peut en même temps accélérer la recomposition d’une recherche nationale de mieux en mieux contrôlée par le pouvoir politique, un certain lobby médical, BNP, Axa et consorts, on aura fait d’une pierre deux coups.

La facilité avec laquelle est menée ce type de politique avec l’approbation d’une majorité de la population est stupéfiante. Tout va très vite, tout le monde essaie de s’en sortir sans trop chercher à comprendre, dans une espèce de sauve-qui-peut, évoquant une étrange débâcle. Beaucoup se disent que le mieux est de chercher à collaborer. Rares sont ceux qui prônent la lucidité, la fermeté sur les principes et la résistance. Tant que, dans une sorte de sidération, l’individualisme gagnera, les solidarités s’effriteront, N. Sarkozy et l’Argent-Roi auront la voie libre.

[1] Pour plus de détails, voir http://recherche-en-danger.apinc.or....