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Situation au CNRS : lettre d’Yves Langevin, président de la CPCN

le 11 octobre 2007

Chers collègues

Des événements très récents nous conduisent à vous communiquer l’ensemble des éléments factuels qui sont à notre disposition aujourd’hui. Ils démontrent à notre avis qu’une mutation profonde de la gestion de la recherche en France se prépare dans l’opacité la plus totale, et ce à très court terme.

Les nouvelles orientations gouvernementales indiquent une volonté de mettre les universités au centre du dispositif de recherche, et la question du transfert total des UMR aux universités est posée. Ces orientations apparaissaient dans la lettre de mission envoyée le 5 juillet par le président de la République à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, madame Valérie Pécresse, qui comporte en particulier le passage suivant : "S’agissant de la recherche, vous ferez évoluer nos grands organismes de recherche vers un modèle davantage fondé sur celui d’agences de moyens finançant des projets. Vous placerez les universités au centre de l’effort de recherche, en confortant notamment leur responsabilité dans les laboratoires mixtes de recherche". Cette formulation laissait des marges d’interprétation, en particulier en terme de calendrier, et les insistantes rumeurs du mois de juin sur une désassociation massive et rapide des UMR avaient été qualifiés d’infondées par madame Bréchignac. Cependant, le « démenti » de madame Pécresse était pour le moins ambigu : « les chercheurs du CNRS resteront gérés par leur organisme ». De plus, les deux nouvelles structures présentées par la direction du CNRS au Conseil scientifique de juin (« Laboratoire de Recherche Commun », entièrement géré par le CNRS et « Equipe de Recherche Labellisée ») pouvaient être interprétées l’une comme un prédécoupage de la petite fraction d’unités qui resteraient sous le contrôle du CNRS, l’autre comme le vecteur par lequel un CNRS « agence de moyens » soutiendrait ponctuellement telle ou telle équipe dans des laboratoires universitaires.

Les épisodes récents concernant le plan stratégique du CNRS, qui aurait dû être examiné pour avis au Conseil scientifique des 9 et 10 octobre, apportent des éléments extrêmement inquiétants sur les intentions de nos dirigeants. Le corps de ce document, préparé avec le concours des différents niveaux du Comité national (sections, CSD, CS), présentait une vision complète des grands enjeux scientifiques et des missions de l’organisme CNRS à l’horizon 2020. Il avait été approuvé en juin par le Conseil scientifique. Depuis cette date, la DGRI (Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation) était intervenue sur plusieurs points du texte et avait piloté une refonte complète de l’introduction, rendue disponible fin septembre, qui définissait en quelques pages les grandes orientations stratégiques de l’organisme pour les prochaines années.

Toutes les modifications effectuées allaient dans le sens d’une restriction de l’autonomie du CNRS dans sa capacité à développer des partenariats. Le rôle fondamental de l’ANR était souligné (« L’ANR offre aux acteurs de la recherche des opportunités de soutien sans précédent et le système français de recherche s’appuie de plus en plus sur cette dynamique »). En ce qui concerne l’évaluation, la formulation retenue était la suivante : « À l’échelle des équipes de recherche, le CoNRS utilisera l’évaluation faite par l’AERES pour proposer des modalités de partenariat en accord avec les objectifs stratégiques de l’organisme ».

Il est intéressant de noter que la notion même d’unité de recherche (mixte ou non) disparaissait du vocabulaire utilisé, la structuration nationale de la recherche s’effectuant par la relation directe du porteur de projet et de son équipe avec l’ANR. Cette version largement remaniée du plan stratégique, via une procédure qui révèle le niveau réel d’autonomie du CNRS dans le contexte politique actuel, était déjà extrêmement inquiétante. Lors de l’ouverture de ses débats, lundi 9 octobre, le Conseil scientifique a été informé que son vote sur le texte définitif était reporté sine die, car ce point avait été retiré de l’ordre du jour du Conseil d’Administration suivant. Suite aux questions des membres du CS, certains éléments de la lettre de G. Bloch (directeur de la DGRI) exigeant ce retrait ont été rendus publics. Par cette lettre, G. Bloch considère qu’un délai est nécessaire pour « prendre en compte dans ce texte fondateur les orientations du gouvernement qui seront précisées dans les prochains mois ». Certains points sont extrêmement précis :
- partenariat avec l’enseignement supérieur : « préciser les principes sur le pilotage des unités aujourd’hui mixtes »
- « recrutement et gestion du personnel face à des universités autonomes, principes de gestion des personnels dans les unités rattachées aux universités »
- degré de globalisation des dotations d’un CNRS « agence de moyens » aux universités dans un contrat unique sous la tutelle de l’Etat. La même lettre « incite à la prudence dans la mise en place des nouvelles structures », en clair les LRC et les ERL qui ne doivent plus être à l’ordre du jour.

Il nous semble que la seule interprétation possible de ces points spécifiques est une volonté de transférer aux universités la gestion de l’ensemble des unités de recherche « aujourd’hui mixtes », ce qui impose bien évidemment de « réfléchir au recrutement et à la gestion des personnels CNRS » dans ces unités nouvellement rattachées aux universités.

Ces décisions sont envisagées « dans les prochains mois », ce que confirme le retrait à la dernière minute d’un point capital de l’ordre du jour du Conseil d’administration du CNRS. Plus grave encore, le principe même d’un plan stratégique du CNRS est remis en cause, car il devra « s’intégrer à un plan stratégique national » (défini cela va sans dire exclusivement par le ministère). Les événements récents à l’IRD, qui s’inscrivent pleinement dans cette logique, peuvent présager de ce qui pourrait se passer dans les prochains mois au CNRS ou dans les autres EPST. Toutes les unités mixtes IRD - Université sont aujourd’hui sous la seule tutelle des universités partenaires.

Le nouveau paysage de la recherche tel qu’il se dessine s’oppose de front à l’ensemble des principes défendus par le Comité national :
- disparition de toute notion de collégialité et de représentativité dans l’évaluation avec l’AERES
- remise en cause de la logique « opérateurs de recherche – unités – équipes » au profit d’une relation directe entre les porteurs de projet et agences de moyens (avec une position dominante de l’ANR), alors que le financement sur projet ne devrait avoir qu’un rôle complémentaire. Les premières victimes : la pluridisciplinarité et la prise de risques, principaux vecteurs d’émergence de nouvelles thématiques et plus généralement l’objectif de progression des connaissances dans tous les domaines
- dirigisme en terme de dotations via une ANR sous le contrôle étroit du gouvernement, sans équivalent dans les autres pays développés. Il est important de noter que les deuxième et troisième points concernent tout autant les universités que les EPST, le pilotage de la politique de recherche par le gouvernement sur des bases sociétales ne leur laissant qu’une autonomie de façade (sauf bien entendu pour les charges).

Lorsque des faits graves étayent les intentions, il ne s’agit plus de faire partager des inquiétudes, mais de diffuser un message d’alerte. Nous vous suggérons de le relayer au sein de votre unité et de votre thématique. Il n’est pas admissible que les 26000 agents CNRS puissent être confrontés dans quelques mois à un changement de tutelle sans la moindre concertation préalable. L’écran de fumée sur les intentions gouvernementales doit impérativement être dissipé. Si ces intentions se confirment, le Comité national ne pourra assister en spectateur passif au démantèlement de fait des organismes de recherche publique et prendra toutes les mesures qui relèvent de ses compétences pour s’y opposer.

Au nom du bureau de la Conférence des présidents du Comité national,

Yves Langevin