Des airs de désert ….
Une occasion manquée
Par
, le 17 octobre 2007Que l’on soit pour ou contre nos gouvernants actuels, pour ou contre l’augmentation du crédit d’impôt recherche, il est déjà sur les rails. Mais pourquoi ne pas le rendre réellement utile à toute la recherche !?
Il paraît que ce qui nous manque en France c’est le lien recherche publique-entreprises, il paraît que le développement et les applications pêchent. Que « la R&D privée est déconnectée de la recherche fondamentale ». Tout le monde ou presque en est conscient, en ce domaine la France souffre de la comparaison avec d’autres pays. Bref, entre recherche fondamentale publique et recherche privée ce serait le désert … et cela nous dessert. Pour combler ce désert entre privé et public la tendance des dix dernières années est quand même surtout d’arracher les arbres de la recherche fondamentale pour les replanter plus près de l’appliqué, drôle d’agriculture durable ! Et de plus une grave crise de vocation de thésard (et donc de chercheur) est constatée. Alors nos dynamiques gouvernants ont décrété qu’ils allaient remédier à ça : les uns ont multipliés les structures de valorisation ou de transfert attachées aux centres de recherche publique, les autres s’apprêtent à déverser une manne de deniers publics sur la recherche privée sous forme de crédit d’impôt et de bourses Ciffre pour des thèses au service de l’industrie (ces derniers deniers sont plus fictifs : puisque la totalité de l’offre de Ciffre n’est pas déjà employée il ne coûte rien d’augmenter l’offre …). Tout cela s’apparente à vouloir faire reverdir le désert et en déversant des mètres cubes d’eau sur le sable. On oublie juste de semer des graines ! (et peut être en plus de relier l’arrosage au tuyau …). Il me semble en effet que si les symptômes évoqués plus haut font l’objet d’un consensus, le diagnostic, et par conséquent le traitement sont à coté de la plaque. Nos centre de transfert sont déjà multiples, nos entreprises ne sont pas si pauvres … alors quelle différence avec les pays voisins ? Il me semble qu’on est en train de rater une occasion magnifique de créer ce qui existe dans les pays que nous envions sur cet aspect. LA Différence c’est que chez nous le débouché quasiment unique de la thèse c’est chercheur ou enseignant chercheur dans le public. L’entreprise ne recrute quasiment pas au niveau thèse. Ca semble un détail pour quasiment toute la population, qui ignore en général qu’à l’étranger ce ne sont pas les grandes écoles qui alimentent les postes à responsabilité. Et pourtant les conséquences sont multiples et délétères :
Première conséquence : une réduction de la diversité et de l’abondance des débouchés
Si vous ne souhaitez pas devenir enseignant il y a très peu débouchés après une thèse
Si vous ne souhaitez pas devenir fonctionnaire, c’est encore plus réduit (corollaire « si vous ne souhaitez pas être payé des clopinettes et perdre chaque année quelques % de pouvoir d’achat tout en ayant de plus en plus de charges de travail annexes au mieux fastidieuses au pire ubuesques, (là je suis de mauvaise foi, j’oublie les promesses de 7 euros de rallonge))
Vous ne voudrez pas vous lancer dans la voie de la thèse …
Deuxième conséquence : peu de liens public-privé et recherche-managment
Les liens unissant les anciens étudiants, et ceux unissant les étudiants et leurs encadrants forment dans de nombreux pays un maillage serré entre université et entreprises et sont à la base d’une (poursuite de) collaboration qui va de soi. Ce réseau mixte permet que chaque partenaire connaisse le fonctionnement et les spécificités de l’autre, que les entreprises sachent qui fait quoi dans leur domaine, que les universitaires sachent qui valorise quoi etc etc … Sans cette connaissance mutuelle rien ne va de soi, toute collaboration doit de créer ex nihilo … ce qui demande plus d’énergie
De nombreux postes à responsabilité dans le privé (y compris hors recherche et développement) sont tenus par des docteurs : ils ont bien sur moins « peur » de recruter leurs alter ego … J’ai eu l’occasion durant un post doc pour une entreprise anglaise de voir de nombreux collègues docteurs prendre après quelques années au service recherche un poste "business" ou "managment"
Troisième conséquence : moins de vrais chercheurs (les thésards) à la paillasse
Il y a moins de thésard en général car moins de "volontaires pour une thèse" et surtout moins de débouchés après le doctorat, ceratines bourses ne sont pas utilisées. Et par conséquent, aussi moins de recherche fondamentale puisque seuls eux peuvent y consacrer la quasi-totalité de leur temps
Il y a moins de thésard en recherche appliquée et donc aussi moins de recherche appliquée puisque « à quoi bon faire une thèse avec bourse Ciffre puisque les débouchés en industrie sont rares et qu’un sujet appliqué (avec les limitations éventuelles de publications qui vont avec) est a priori moins porteur pour viser les débouchés existants dans le public (qui nécessitent un bon dossier de publications)
bref moins de recherche globalement
Puisque notre gouvernement voulait à tout prix arroser les entreprises, qu’il le fasse mais … chiche ! Qu’il assortisse ce cadeau d’une condition de nature à créer une situation comparable à celle de nos voisins : conditionner cette aide au recrutement de docteurs !!
Gageons qu’en quelques années nous aurions pu engranger des gains concrets en matière de transfert (et une fois amorcée la pompe plus besoin de la subventionner : il y a fort à parier que des gens formés par la recherche en recrutent d’autres spontanément sans carotte fiscale). Gain aussi en matière d’attractivité de la thèse etc … Cela pourrait profiter à la recherche privée et appliquée tout en stimulant aussi la recherche publique (bien sur une telle mesure ne résoudrait pas à elle seule la crise actuelle de la recherche française dont l’attractivité et l’efficacité ont besoin d’autres mesures en matière de carrières, d’allègement bureaucratique etc …). Ce serait au moins un moyen de favoriser la recherche appliquée sans que cela se fasse en essayant de faire travailler directement dans l’appliqué les chercheurs du public (au détriment de la recherche fondamentale) ce qui est la tendance actuelle au travers de l’ANR. Mais pourquoi, pour pas un euro de plus ne pas utiliser ce levier ? Est-ce par méconnaissance de la situation, par effet de la longueur du bras des grandes écoles … je ne sais pas, mais quitte à donner ces fonds autant qu’ils aient un réel effet. On est en train de louper là une belle occasion : des millions d’euros vont aller irriguer un désert sans graines … Le sable va tout boire sans qu’aucune récolte ne suive !
Signé Eric le jardinier. PS : Certain diront même sans doute en citant radio University of Shangaï que les graines doivent être stériles … alors qu’elles ne seront même pas sorties du paquet.