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Loi LRU. Loi Pécresse

Par olivier ertzscheid, le 17 novembre 2007

Contribution d’Olivier Ertzscheid, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication (Université de Nantes, IUT La Roche sur Yon)

Le texte qui suit est une caricature. Ladite caricature se veut pourtant basée sur les orientations réelles de la loi Pécresse. Toute ressemblance avec des éléments présents dans la loi LRU n’est donc pas purement fortuite. Pour vous permettre de mieux séparer l’anticipation de la réalité, les mentions des dispositions de l’actuelle loi Pécresse sont repris en gras dans le texte qui suit. Tout le reste est, pour l’instant, un exercice d’anticipation.

===================== C’était il y a de cela une semaine. Mon téléphone sonne. C’est John Faber, le président de l’université Lagardère (anciennement Paris 5, rebaptisée depuis que la fondation Lagardère est devenue le principal donateur de cette université). Le président en question a lui-même été un grand industriel. Il a longtemps dirigé l’un des tout premiers groupes pharmaceutiques anglais, ce qui lui a permis d’être invité à donner quelques cours en tant que professionnel, ce statut de "personnel assimilé" lui offrant un droit d’accès à la présidence. Il a 67 ans, de nationalité anglaise, et on dit de lui qu’il est redoutable en négociation et en affaires. Mais c’est aussi grâce à lui et grâce à son prédécesseur, Pierre Bouygues (le petit-fils du célèbre entrepreneur Martin Bouygues), que l’université Lagardère est l’une des plus côtées. Elle se classe dans les dix premières places de tous les classements internationaux. Autant dire que j’ai sauté de joie quand j’ai su "qui" m’appelait ! Les universitaires l’appellent "le boss". On raconte que bien qu’il ait la possibilité de déléguer sa signature, il ne l’a jamais fait. Tout particulièrement pour les recrutements. Tout passe par lui et seulement par lui. Oh bien sûr, il y a bien encore un CA, mais avec le droit de véto du président, et vu la composition du CA (8 enseignants chercheurs et 8 personnalités extérieures nommées par le président ... ) ...Au téléphone, John Faber, avec sa pointe d’accent anglais, m’a dit qu’il m’avait "repéré" grâce à son secrétaire général, un ancien chasseur de tête, spécialiste en recrutement de top-managers.
- "J’ai besoin de chercheurs. J’ai regardé le Pagerank de votre blog. Et on m’a dit que vous aviez écrit quelques articles intéressants. Vous n’avez pas l’air de compter vos heures, et j’aime ça. Vous avez déjà une toute petite notoriété, péniblement acquise. Vous méritez mieux. Je vous offre ce mieux." Sans que j’ai le temps d’en placer une, il renchérit : "Alors nous sommes d’accord, je vous envoie vos billets d’avion classe affaire pour votre entretien d’embauche. On prend en charge votre déménagement. Et j’ai appris que votre épouse était orthophoniste, pas de problème, on se débrouillera pour lui trouver une place dans la crèche de l’université. Naturellement, votre salaire est triplé, et vous bénéficierez comme tous nos employés d’une prime d’intéressement aux résultats de la recherche. Ces primes, c’est moi qui les attribue. Et moi seul, tâchez de vous en souvenir. (il rit) Ainsi, si vous bossez bien, si vous comptez pas vos heures, et si vos résultats correspondent à ceux escomptés par nos partenaires, vous pourrez vous payer tous les voyages au bout du monde que doit vous réclamer bobonne, vu que les femmes sont bien toutes les mêmes hein ?" (il rit) "Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude de soigner mon personnel. Mais je ne recrute que des champions. On se voit donc dans 8 jours sur le centre d’affaire de l’université. Et n’oubliez pas, vous n’êtes plus fonctionnaire, vous êtes juste un winner." (il rit encore, puis raccroche) Ah euh, oui, bon, bien, merci. Voilà les seuls monosyllabes que j’ai réussi à placer durant tout l’entretien téléphonique ...

... 5 ans plus tard ...

Voilà maintenant 5 ans que j’ai accepté la proposition d’embauche de l’université Lagardère. Je me souviens avec amusement de mon entretien avec "le boss". 15 minutes en tout. J’avais amené mon dossier scientifique, mes publications, et quelques exemplaires de ma thèse pour le jury. Il n’en a jamais été question. "Le Boss" avait déjà été briefé sur mon profil par le DRH de l’université. Il avait besoin de quelqu’un qui s’intéresse aux interfaces homme-machine. L’objectif du pôle de compétitivité dans lequel est inscrite l’université est de créer une nouvelle gamme de téléphones portable à destination spécifique de l’industrie pharmaceutique. Le Boss m’a dit que c’était un marché juteux mais que l’université Serge Dassault (anciennement aix-marseille) était en train de lui damer le pion sur ce terrain. Bref, j’ai été embauché. Dans ma spin-off (les anciens "laboratoires" ont été remplacés par des spin-off qui développent librement des produits valorisables dans le programme de compétitivité dont ils sont partenaires), j’ai tout le temps nécessaire pour me consacrer à ma recherche et je bénéficie d’équipements à la pointe de la technologie. Les plus grosses entreprises du bassin d’emploi dans lequel est implantée l’université étant nos partenaires ou nos commanditaires pour l’ensemble de nos programmes de recherche-terrain et de recherche-innovation (désormais les seules à être habilitées par le programme de compétitivité). Depuis 5 ans, je n’ai plus croisé que des étudiants en "thèsemploi". C’est le nom des nouvelles thèses qui ont remplacé nos poussiéreuses thèses de doctorat.Le directeur de thèse est le PDG de l’entreprise qui la fnance, et je suis le référent scientifique, chargé de former l’étudiant en thèsemploi aux méthodologies de la recherche et de l’orienter si les résultats trouvés ne sont pas conformes à ceux espérés ou risquent de porter atteinte à l’un de nos partenaires industriels, lesquels sont les plus représentés dans toutes les nouvelles instances décisionnaires de l’université. Ne plus croiser du tout d’étudiants à Bac + 3 ou + 5 ne me manque pas. Ils ne m’apportaient finalement rien et mes charges d’enseignement étaient une pure perte de temps. Comme le dit notre top-manager dans nos réunions de spin-off :
- "putain les gars, vous vous êtes pas cognés 9 ans d’étude pour aller apprendre à compter à des crétins boutonneux de 19 ans qui ne savent même pas quel poste ils occuperont plus tard. Sérieusement, laissez ça aux autres bouseux". Les "bouseux", c’est comme ça qu’il les appelle les profs de collège et de lycée ou même les agrégés : ils n’étaient déjà pas bien haut, ils sont maintenant tout en bas de l’échelle sociale. Au départ, les agrégés des concours de l’enseignement supérieur, étaient les seuls pour lesquels le président n’avait pas de droit de véto lors de leur première affectation. Du coup, à force de se refiler la patate chaude, et vu les salaires de misère qu’ils touchaient au regard de ce que je palpe aujourd’hui, ils ont rapidement déserté les concours. Ce qui a permis de les supprimer en quelques années, et sans que personne n’y trouve à redire. Bref, comme je vous le disais, c’est le boss qui définit les tâches à effectuer. Pour moi ça a été clair dès mon recrutement :
- "Vous, vous ne ferez que de la recherche. On a déjà plein de tâcherons pour les basses oeuvres administratives, et ces cons d’agrégés sont trop contents de faire de l’enseignement, mais ne vous inquiétez pas, on leur colle aux basques des vrais professionnels pour éviter qu’ils ne bourrent trop le mou à nos chères têtes blondes." (rires). Et encore heureusement que le niveau est un peu remonté grâce à nos "talents-seekers", nos "découvreurs de talents". C’est comme cela qu’on appelle les anciens "conseillers d’orientation". Avec l’obligation de demander une préinscription avant d’entrer à l’université, on arrive facilement à repérer les bons éléments, et les fumistes ou les rêveurs. Nos talents-seekers établissent donc des profils types en fonction des grandes orientations de l’université, et on va directement chercher, via des "stages de découverte", les bons éléments des lycées de notre pôle de compétitivité pour leur donner quelques clés d’entrée. Comme dit le boss "quand on connaît bien les gens, on les recrute mieux". Bref, aujourd’hui à l’université Lagardère, comme dans les 15 autres centres d’excellence qui subsistent en France, ce sont des enseignants du second degré, des DRH et des industriels qui assurent désormais l’essentiel des cours en parcours Licence et Master auprès d’étudiants choisis, sans que jamais le terme qui fâche de "sélection" n’ait été prononcé. De toute façon, comme dit le boss, "la sélection, ils ont tout le temps de la découvrir à la fin de leur première année." et d’éclater de son rire tonitruant. C’est d’ailleurs pour cela et uniquement pour cela que l’on maintient encore sous tente à oxygène les vieilles filières genre "Lettres", "Géographie" ou "Langues anciennes". Faut bien recaser quelque part ceux qui n’ont pas le niveau de l’élite. Et comme ça tout le monde est content. Bref ça me va. Je bosse beaucoup, je ne voie plus trop ma femme et mes gosses mais on se paye un beau voyage chaque année, et je ne vous parle même pas de ma bagnole :-). Même qu’avant, il m’aurait fallu économiser 10 ans pour me le payer. Mais comme le boss m’a à la bonne, et que j’ai tenu mes promesses (je compte pas mes heures et je fâche pas ses potes), j’ai droit à ma double prime d’intéressement. Et puis sérieusement, quand je me rappelle des conditions dans lesquelles je bossais avant d’entrer chez Lagardère Université, c’était vraiment la mine. Tiens pas plus tard qu’hier, j’étais avec d’autres managers-recherche et quelques gros industriels locaux en réunion-contrat, à la BU. On en est sorti à Minuit. Grâce aux étudiants qu’on peut embaucher pour une misère à la place de ces faignasses de bibliothécaires qui voulaient pas bosser le soir ou le WE, la BU reste ouverte tout le temps. Et pareil pour la crèche universitaire, la cafétéria et le reste. On forme même des étudiants à des stages de Vigiles pour venir filer un coup de main la nuit aux équipes de sécurité qui patrouillent sur le campus pour protéger nos équipements.

Non vraiment, quand je pense à tout ce qu’à permis Valérie Pécresse et surtout Nicolas Sarkozy pour la recherche française, je me dis qu’elle est vraiment à sa place, et j’espère qu’elle restera encore longtemps ministre de la recherche industrielle (le ministère de la "recherche industrielle" a remplacé l’ancien ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la partie "enseignement" étant maintenant dévolue au "Ministère de l’identité nationale et de l’enseignement des valeurs républicaines"). Allez faut que je vous laisse maintenant. J’ai du taf, et j’ai promis au boss de pas compter mes heures :-)

======================================= Rappel : L’essentiel des réformes et changement présentés dans ce court texte, sont directement repris des extraits des textes de lois cités dans le document de synthèse et d’explication (.pdf) sur la loi Pécresse publié par l’ORS. Le reste bien sûr, nous appartient collectivement.