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De quelques contre-vérités concernant notre enseignement supérieur

Par Emmanuel Saint-James, le 19 novembre 2007

Depuis plus d’un an, nombre de discours sur la nécessaire réforme de notre enseignement supérieur, et parmi eux une loi, ont accumulé approximations et demi-vérités, mensonges par omission et alternatives biaisées. Ces propagandes idéologiques déguisées en analyses ont un coût : celui d’un nouveau mouvement étudiant, imprévisible car aux revendications confuses. Il est largement temps de poser le problème en termes clairs.

Celui d’autonomie des universités ne l’est pas. Car il faut cesser de se payer de mots : toute institution est dépendante de ses bailleurs de fonds, qui ont toute légitimité à vérifier l’usage qu’elle en fait. Cette prétendue autonomie se ramène donc à un changement de dépendances, à la fois dans la liste des bailleurs et dans leur méthode de vérifications, et la seule question qui vaille est de savoir si celui-ci est légitime.

Sur le plan des bailleurs de fonds, l’intention de la loi est d’inciter les entreprises à subventionner directement les universités en leur accordant alors une réduction d’impôts, financement privé qui se substiturait, en tout ou en partie, aux dotations publiques payées par les impôts collectés auprès de ces mêmes entreprises. Cette réforme est donc une démission des pouvoirs publics en ce qui concerne la diffusion du savoir indépendamment de sa valeur marchande. Cette démission est lourde de conséquences : si les seuls établissements capables d’expliquer les dangers potentiels d’une nouvelle technologie dépendent financièrement des entreprises les mettant en œuvre (que ce soit l’agro-alimentaire, la pharmacie, l’énergie, les bâtiments & travaux publics, les télé-communications et on en passe), qui ne voit l’absence de débat contradictoire éclairé que cela entrainera quant à l’autorisation de mise sur le marché des produits concernés ? On comprend pourquoi cette mesure est approuvée par le monde de l’entreprise, et pourquoi elle choque les personnels de l’université, dont la liberté de parole est une condition indispensable à la qualité de leur travail. L’indépendance du savoir scientifique face à l’économique semblait une évidence ; la nouvelle loi sur les universités est une véritable régression vers le XIXe siècle, et il n’est dès lors pas surprenant que la demande d’abrogation de cette loi en vienne à se mélanger à une attaque générale contre le capitalisme, dont les étudiants sentent confusément qu’il regagne du terrain dans une sphère qui avait réussi à acquérir vis-à-vis de lui une part ... d’ autonomie, précisément.

Sur le plan de la vérification, cette loi transfère aux présidents d’université des budgets et des recrutements auparavant gérés par différentes commissions. Ce qui est donc instauré en fait, c’est l’autonomie des présidents d’université, chose bien différente de ce qui était annoncé car remplaçant un fonctionnement collégial par un fonctionnement managérial. Pour les personnels des universités, c’est un recul dans son fonctionnement démocratique. Pour les contribuables (à supposer que les pouvoirs publics ne se dégagent pas entièrement du secteur, ce qui serait pire) c’est une nouvelle source potentielle de dilapidation des fonds publics par clientélisme, népotisme voire emplois fictifs. Pour les étudiants, ça ne répond en rien à leurs problèmes.

Un transfert particulier aux présidents d’université est celui du patrimoine immobilier, et la loi précise qu’il leur sera possible d’opérer toute transactions immobilières. Le prix du mètre carré dans les centres historiques des grandes villes et celui dans les banlieues déshéritées étant ce qu’ils sont, comment peut-on oser affirmer qu’on ne crée pas ainsi plusieurs vitesses dans le monde de l’université ? Le seul fait qu’un texte récent défendant cette loi n’ait été signé que par des présidents d’université parisiennes intra muros suffit à prouver le contraire : à ceux-là, il suffira de construire quelques appartements luxueux à la périphérie de leurs campus actuels pour alimenter confortablement leur budget. Mais les autres ? Si le problème est que l’Etat n’est plus en mesure de gérer un parc immobilier pléthorique, pourquoi n’a-t-on même pas évoqué l’alternative de le confier à des collectivités territorriales, comme on l’a déjà fait pour les enseignements secondaires et primaires, et avec succès ?

Comment une loi aussi mauvaise a-t-elle pu être adoptée ? Le gouvernement promettait une rupture face à la routine universitaire. Mais la réalité est inverse. Edicter une loi sans d’abord rencontrer tous les acteurs qu’elle concerne, c’est la routine ministérielle depuis la tentative de réforme de 1986, il n’y a ici aucune rupture dans la méthode, malgré ses échecs répétés. De son côté, l’université, loin d’être immobile, vient de mettre en place une autre réforme, imposée aussi sur critères idéologiques mais cette fois par la bureaucratie européenne : le LMD. Son échec, faute de moyens, est tellement évident, qu’on peut lui imputer la raison profonde du mouvement, strictement estudiantin (on ne l’a pas assez remarqué), contre le Contrat de Première Embauche. Si le gouvernement avait d’abord fait le bilan de cette dernière réforme, il aurait évité cette nouvelle agitation, en renonçant à des slogans lénifiants qui ne trompent plus personne : le LMD a pulvérisé la notion même de diplôme national, les problèmes du jour sont moins dans le diplôme que dans l’explicitation des pré-requis exigés pour son obtention ultérieure.

Le gouvernement avait certes consulté la Conférence des Présidents d’Universités ainsi que le principal syndicat des étudiants. Que ces organisations soient influentes, cela est indéniable, mais voilà la conséquence d’un vocabulaire approximatif : influente ne veut pas dire représentative. La plupart des présidents d’université n’enseignent plus, notamment en premier cycle, depuis des années. Les syndicalistes étudiants savent bien que leur expérience politique sera plus importante sur leur CV qu’un diplome entâché par le fait même d’avoir mené en parallèle cette expérience. Ces deux organisations sont donc condamnées à ne percevoir que les intérêts de leur membres et non de leurs électeurs, d’où leur focalisation sur des questions de pouvoir, qui les concernent seuls.

La classe politique se contente souvent pour toute analyse de dénoncer le corporatisme. Mais la défense de ses intérêts est une activité consubstantielle à un groupe social, d’ailleurs nos députés ne se sont pas privés récemment d’accroître considérablement les leurs. La seule question qui vaille est de savoir si les intérêts des uns ne portent pas excessivement préjudice à ceux des autres. En choisissant seulement deux interlocuteurs parmi beaucoup d’autres, le gouvernement a privilégié deux corporatismes, et récolte le mécontentement des autres : il est peu crédible en se prétendant surpris.

On peut à présent se demander pourquoi avoir choisi ces deux-là. Pour l’un, on l’explique facilement par le fantôme de Mai 68 qui continue visiblement à faire peur à ceux qui ne l’ont toujours pas compris, peut-être faute de l’avoir étudié dans nos universités de sociologie. Pour l’autre, il est intéressant de rapprocher les politiques universitaire et industrielle qui sont pronées actuellement. Ce qu’on privilégie dans les deux cas, c’est le modèle de l’oligopole de grosses entreprises inattaquables dirigées par un chef autocrate, plutot qu’un réseau de petites entreprises plus fragiles mais plus réactives. Puisqu’il ne saurait y avoir de question tabou, posons celle que ni les présidents d’université, ni celui de la république n’ont osé poser : l’existence même de l’université est-elle compatible avec notre époque ?

La question mérite d’autant plus d’être posée que le classement de Shangaï est venu perturber la réflexion sur ces questions. Améliorer le score de la France dans ce classement est devenu l’obsession du moment, sans aucune réflexion critique sur sa méthodologie. Pour un étudiant désireux de poursuivre des études dans une discipline où n’existe ni prix Nobel ni médaille Fields, à quoi sert un classement essentiellement fondé sur la présence de leurs lauréats dans les universités ? Plutôt que les regroupements d’universités auxquels on assiste en ce moment dans le seul but d’être bien côté à cette bourse de Shangaï (métaphore qui n’en sera peut-être plus une un jour), une solution alternative serait d’éclater les universités en unités autonomes, tant les problèmes des départements de disciplines désertées par les étudiants ne peuvent être résolus par les mêmes solutions que ceux des disciplines plébiscitées, en particulier celui de la sélection des étudiants. Il est normal et souhaitable qu’une discipline dont les capacités d’accueil sont insuffisantes ne prenne que les étudiants les plus motivés, tandis qu’une discipline bénéficiant d’un sur-encadrement a plus de propension à aider un jeune en difficulté à obtenir son diplome. On voit là aussi les méfaits des diagnostics approximatifs : il est inexact de dire que la France manque d’étudiants, car elle manque de bons étudiants, ce qui est bien plus difficile à obtenir que d’autoriser un jeune de n’importe quel niveau à préparer n’importe quel diplôme dans n’importe quelle condition.

On trouvera dans un autre article (Autonomie des universités : la démission des audacieux) des réflexions plus poussées sur les pistes évoquées ici. Une chose est sûre en tout cas : cette loi conçue entre professionnels du pouvoir ne sera jamais acceptée par une communauté qui par essence oppose le pouvoir de la raison à la raison du pouvoir.