Les dangers de l’hyperprésidentialisme
Article paru dans Le Monde du 04.07.07
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, le 24 novembre 2007La concentration des pouvoirs au profit du président risque de scléroser et de démotiver les différentes composantes de l’université
L’hypercentralisation des pouvoirs est-elle la planche de salut de l’université française ? C’est la question que pose le projet de loi sur l’autonomie des universités. En effet, cette loi institue bien plus l’autonomie des présidents d’université qu’un véritable gouvernement collégial et autonome des universités, seul compatible à la fois avec le statut et les spécificités du métier des enseignants-chercheurs et avec la diversité des missions et des composantes de l’université.
Contrairement à ce que le gouvernement voudrait faire croire, l’autonomie des universités n’est pas un principe neuf. La marche vers l’autonomie remonte à la loi d’orientation de 1968, qui a constitué la première étape de la réhabilitation d’universités de plein exercice. Cette loi a prévu que les universités se géreraient elles-mêmes au moyen de conseils élus où sont représentées toutes les catégories de personnel ainsi que les usagers. Cette architecture a été renforcée par la loi de 1984.
Au cours des trente dernières années, le pouvoir d’intervention des universités s’est ainsi accru au détriment des facultés disciplinaires au travers de la montée en puissance du rôle des conseils d’université (conseil d’administration, conseil des études et de la vie universitaire, conseil scientifique). C’est parce que ces instances étaient élues (fût-ce par des modes de scrutin discutables) et qu’elles étaient suffisamment larges pour assurer la représentation de toutes les composantes disciplinaires et catégorielles que le pouvoir des universités a pu s’affirmer.
La limitation de cette autonomie n’est pas venue principalement de résistances intérieures, comme on voudrait nous le faire croire, mais de la volonté constante de l’Etat d’encadrer les universités au nom de bonnes et de moins bonnes raisons. Parmi les bonnes raisons, assurer une égalité de moyens entre les établissements, garantir des diplômes nationaux, limiter les effets du localisme et du mandarinat au niveau du recrutement, préserver les disciplines « minoritaires ». Parmi les moins bonnes raisons, accueillir au moindre coût des flux croissants d’étudiants, satisfaire les demandes locales de créations de nouveaux établissements et entretenir la fiction d’une égalité formelle entre des universités extraordinairement diverses.
Renforcer l’autonomie de gestion des universités, notamment en matière de gestion du patrimoine, de recherche et d’innovation pédagogique, s’inscrit donc dans un processus de longue durée et reçoit un assentiment assez général de la communauté académique, pourvu que des garanties soient données sur les moyens et que des contre-pouvoirs soient mis en place, au niveau interne à l’université comme au niveau national.
Bizarrement, la loi ne prévoit rien sur ces deux points fondamentaux. Elle se borne à donner tout pouvoir au président d’université et à l’étroit cénacle qui l’élit pour prendre seul toutes les décisions majeures, puisque le président présidera un conseil dont il nommera plus d’un quart des membres. Exit le rôle d’instance de proposition des deux autres conseils des universités (le conseil de la vie universitaire, qui se prononce sur les formations, et le conseil scientifique, qui se prononce sur les activités de recherche), exit les UFR, unités de formation et de recherche (les anciennes facultés), dont les prérogatives ne sont pas précisées. Le président tout-puissant, élu pour quatre ans renouvelables, pourra « recruter, sur les ressources propres de l’établissement, des agents contractuels pour occuper des emplois, permanents ou non », d’administration, d’enseignement et de recherche. Il sera enfin « responsable de l’attribution des primes aux personnels qui sont affectés à l’établissement ».
Nous ne nous étendrons pas, ici, sur les risques énormes que fait peser le développement des emplois hors statut, préférant nous limiter à ceux encourus par leur dévolution au pouvoir du président. Les universités françaises sont en effet des organisations complexes, plurielles dans leur taille, leurs composantes et leurs missions, et croire qu’un tel mode de gouvernement hypercentralisé va conduire à une plus grande efficacité est une illusion redoutable qui continue à se nourrir d’une vision jacobine et unificatrice de cette diversité. Ce mode de gouvernance risque d’abord de déboucher sur le désengagement du personnel et des étudiants de la vie de leur université, puisque, en moyenne, moins de 1 % des enseignants-chercheurs aura tout pouvoir de décision.
Il va ensuite déboucher sur deux scénarios possibles selon la taille et la diversité des universités. Premier scénario : le retour au gouvernement des facultés. A la tête d’un conseil d’administration peu représentatif, le président n’aura le choix que de s’appuyer sur les instances les plus proches de la base, autrement dit les facultés disciplinaires ou UFR. Second scénario, comme dans tout gouvernement de type monarchique, fût-il électif, la généralisation des phénomènes de cour. Du fait d’être proche du président pourrait dépendre une promotion individuelle ou la défense de sa discipline ou de son équipe de recherche. Malheur ici aux disciplines minoritaires ou faiblement lucratives ou visibles ! Dans les deux cas, la sclérose et la démotivation sont au bout du chemin. Comment peut-on imaginer impliquer et responsabiliser davantage les personnels de l’université dans ces conditions ?
Il faut au contraire, à l’instar de ce qui se passe dans la plupart des grandes universités du monde, renforcer le rôle des conseils centraux, repenser l’articulation des pouvoirs entre ces conseils et les conseils d’UFR et les laboratoires de recherche, mettre en place une évaluation et un suivi indépendants des universités au travers d’organismes d’évaluation extérieurs, affecter aux universités des gestionnaires bien payés et de haut niveau, et faire piloter les formations et les laboratoires au plus près de leurs membres. Cela suppose aussi de trouver un équilibre entre ces institutions locales que sont les universités et les institutions nationales comme les organismes de recherche et les grandes agences. Enfin, même si elles se situent le plus souvent hors de l’université proprement dite, les grandes écoles doivent être intégrées dans la réflexion.
En bref, il ne faudrait pas qu’un désir légitime de voir évoluer les universités se solde par des décisions hasardeuses prises à la va-vite et par trop évasives sur les trois points centraux sans lesquels nulle réforme n’émergera durablement : des moyens suffisants pour rattraper un retard dénoncé de longue date et qui fait de l’université française la lanterne rouge de l’OCDE ; un équilibre entre autonomie réellement accrue des universités et validation des actions menées par des contre-pouvoirs indépendants ; une reconnaissance de la diversité des universités de nature à proposer aux étudiants une palette de formation qui ramène les meilleurs d’entre eux vers des filières garantes du potentiel innovant et culturel de la France de demain.
Bertrand Monthubert Frédéric Sawicki