La loi Pécresse : la réformite aigüe
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, le 4 décembre 2007La loi Pécresse procède de l’illusion qu’une réforme brutale et une ``mise à plat’’ de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en résoudront les problèmes. Elle fait ainsi l’impasse sur les succès réels du système et l’economie d’une analyse de ses forces et faiblesses. Il en résulte qu’elle ne s’attaque pas aux problèmes bien réels existants et en créera de nouveaux qui entraveront durablement le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.
La loi Pécresse vise à imposer aux universités françaises un changement de fonctionnement radical qui est contraire à sa longue et prestigieuse histoire, ainsi qu’aux traditions universitaires internationales et nationales. Elle procède de l’illusion qu’une réforme brutale et une ``mise à plat’’ de l’organisation actuelle sont nécessaires et en résoudront les problèmes. Elle fait ainsi l’impasse sur les succès réels qu’enregistre le système et dont témoignent en particulier l’obtention récente de plusieurs prix internationaux prestigieux (Prix Nobel, Médaille Fields). On oublie aussi les nombreux diplômes universitaires permettant un débouché professionnel immédiat. Il est pourtant clair que seule une analyse lucide des forces et des faiblesses du système global de l’enseignement supérieur et de la recherche français — dont les universités ne sont qu’un élément — permettront d’identifier les ajustements à opérer afin d’en améliorer les performances.
Sans chercher à être exhaustifs, nous montrerons ici à l’aide de quelques exemples que cette loi non seulement ne s’attaque pas aux problèmes bien réels existants, mais qu’elle en créera de nouveaux qui entraveront durablement le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Nous nous concentrerons donc sur des aspects trop rarement évoqués dans ce contexte et qui nous interpellent particulièrement.
Deux arguments sont typiquement avancés pour justifier la nécessité d’une refonte totale du système universitaire français : d’une part le placement médiocre des universités françaises dans les classements internationaux et d’autre part l’échec en licence ainsi que le manque de débouchés de certains diplômes. La nouvelle loi ne changera rien, ni à l’un, ni à l’autre de ces constats. Concernant le premier point, les détracteurs du système universitaire français font remarquer que notamment dans le classement de Shanghai les places d’honneur sont toutes prises par les universités américaines. Ils en concluent tout naturellement qu’il faut réorganiser les universités françaises sur un modèle proche du modèle anglo-saxon afin de les rendre plus attirantes sur le marché international de l’éducation et de la recherche. Un élément crucial est complètement oublié dans cette analyse : la performance de toute institution d’enseignement dépend au moins autant de la qualité de ses étudiants que de celle de ses enseignants. Et la France est le seul pays au monde qui ne confie pas à ses universités la tâche de former les plus brillants de ses jeunes. En effet, dans la plupart des secteurs, ceux-là sont dirigés vers les classes préparatoires, puis les grandes écoles et les écoles de commerce.
Il est par conséquent spécieux, voire injuste de comparer les premiers cycles universitaires français aux formations étrangères analogues : elles s’adressent pour une grande partie à un tout autre public. On peut affirmer sans crainte de se tromper que — tant qu’on reste dans ce contexte — les universités françaises ne rivaliseront jamais avec leurs homonymes étrangers sur le plan de la formation en premier cycle. On leur fait donc un faux procès déjà sur ce plan. Inutile de dire que la loi Pécresse reste muette sur ce paradoxe auquel s’ajoute un deuxième : tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que le progrès et le développement économique des sociétés industrialisées modernes nécessiteront un fort investissement dans la recherche aussi bien fondamentale qu’appliquée.En même temps, on s’alarme en France et à l’étranger d’une inquiétante baisse d’intérêt parmi les jeunes pour les études scientifiques. Néanmoins, en France, on garde les jeunes bâcheliers les plus brillants dans les lycées où on les forme dans un environnement complètement coupé du monde de la recherche qui, lui, est concentré largement dans les universités. Ce n’est bien évidemment pas la meilleure façon de susciter des vocations, on en conviendra. S’ajoute à cela l’observation que les universités disposent de deux à quatre fois moins de moyens par étudiant que les classes préparatoires. Tant qu’on refusera de rapprocher les différentes composantes du système d’enseignement supérieur français, on ne parviendra pas à l’améliorer de manière sensible. Sur ce point encore, la loi Pécresse brille par son silence.
La loi Pécresse met par ailleurs en place certains dispositifs qui risquent d’avoir un effet proprement néfaste sur la qualité des universités françaises tant sur le plan de la recherche que de la formation. Elle enlève ainsi aux experts d’une discipline la responsabilité de recruter leurs nouveaux collègues et la transfère en grande partie à des personnalités extérieures à la discipline et/ou à l’établissement. Sans entrer dans les détails techniques du mécanisme de recrutement proposé, il est clair qu’il est contraire aux traditions universitaires nationales et radicalement différent de tout ce qui se fait à l’étranger également. Quelques ajustements mineurs et purement techniques du système existant auraient clairement suffi pour en améliorer le fonctionnement qui est par ailleurs excellent dans certaines disciplines, comme par exemple les mathématiques.
Un autre point sensible et important est celui de l’évaluation des enseignants-chercheurs et le problème attenant de leurs promotions et primes. Contrairement à une idée reçue, le déroulement de la carrière d’un universitaire n’est pas simplement fonction de son ancienneté, mais est bien basé en grande partie sur le mérite. Un exemple concret est celui de la Prime d’Encadrement Doctoral et de Recherche, attibuée par une commission nationale composée d’une trentaine d’experts de la discipline désignés par la direction de la recherche au ministère. Mise en place en 1990, elle récompense ceux qui se distinguent plus particulièrement dans la recherche et la formation doctorale. En mathématiques par exemple, à peu près un quart des professeurs et maître de conférences en bénéficie. La prime, qui représente un peu moins de dix pour cent du salaire, est accordée pour une durée de quatre ans au terme desquels le bénéficiaire doit faire une nouvelle demande. C’est ``l’évaluation par les pairs’’ dans sa forme la plus pure. Voilà donc un exemple d’une procédure qui fonctionnait bien. Or la loi Pécresse a fait le choix de réparer ce qui n’était pas cassé en confiant la responsabilité de l’attribution de ces primes aux universités qui devront maintenant chacune inventer une nouvelle procédure et leurs propres critères en particulier pour l’arbitrage entre disciplines. On ne peut que souligner le gâchis que cela représentera en temps perdu et en énergie inutilement dépensée.
Mme Pécresse explique dans la presse que la loi qu’elle propose constitue la première réforme des universités depuis vingt ans et que celles-ci devraient se réjouir de l’intérêt que l’actuel gouvernement leur porte. Or, depuis vingt ans les réformes se succèdent et on en ressort avec l’impression que les universités sont le bac à sable des politiques. L’exemple de la récente réforme dite ``du LMD’’ (Licence-Master-Doctorat) est particulièrement frappant et partage avec la loi Pécresse plusieurs points inquiétants. Sous prétexte de la nécessité d’une harmonisation internationale elle a imposé à la partie universitaire du système d’éducation supérieure de ce pays (et à celle-là uniquement) une réorganisation qui a eu plusieurs effets néfastes.
Force est de constater qu’aujourd’hui, tout comme en 2003, la réforme précède la réflexion.
Lille, le 16 novembre 2007
B. Beckermann, C. Besse, S. De Bièvre, Professeurs des Universités
E. Mazzilli, Maître de Conférences
UFR de Mathématiques - Laboratoire Paul Painlevé
Université des Sciences et Technologies de Lille