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Commission D’Aubert : une mission "technique" hautement politique

le 17 décembre 2007

Ce texte, paru sous une forme plus réduite sur un autre site, n’engage que l’auteur. Certaines propositions méritent un débat plus approfondi. Ce texte vise à y contribuer.

En revanche pour ce qui concerne l’analyse de la situation et la nécessité de défendre les UMR, ce texte correspond à l’opinion de SLR.

Il faut mesurer l’ampleur du désastre démocratique en France. Aujourd’hui chaque phrase prononcée par Sarkozy, dans les 236 discours de sa campagne électorale, devient vache sacrée, puisqu’IL a été élu ; plus besoin du Parlement, IL a été élu ; plus besoin de partenaires sociaux, IL a été élu. En complément, les interventions quotidiennes de V. Pécresse dans les médias remplacent les négociations, voire même les discussions. Depuis six mois, les syndicats et SLR demandent une négociation globale avec tous les intéressés, en vain En lieu et place, la ministre crée la mission d’Aubert sur la gestion des UMR (Unités mixtes de recherche). Un simple problème "technique" ?

Une démolition par étape de notre système de recherche

Depuis 2003, les gouvernements tentent de passer d’un système de recherche basé sur des structures ayant une vision à terme de la recherche à un financement sur projets à court terme ; ceci s’accompagne presque systématiquement un recours massif à des emplois sur CDD. Ils veulent passer d’un système où les scientifiques avaient un rôle réel dans la politique de recherche, à un système piloté par le gouvernement sur les thèmes et fonctionnant sur des instances entièrement nommées (Haut conseil, ANR, Comités d’ANR, AERES, jury des RTRA ou des Instituts Carnot, etc). Et ce contrairement au système allemand où tout le monde est élu.

Avec une élaboration bâclée (on pouvait se donner trois mois pour négocier), malgré l’opposition du CNESER, de tous les syndicats et de SLR, d’associations de doyens, et même de la majorité des Conseils d’université, la LRU est venue compléter le Pacte pour la recherche. Elle en est même devenue une pièce centrale, comme le montre le débat sur l’avenir des UMR.

Le budget 2008 de l’enseignement supérieur et de la recherche est un budget-gruyère : les 1,8 milliards se réduisant en fait à 100 millions de mesures nouvelles. Zéro emploi créé, les crédits de base distribués aux laboratoires par les universités et les organismes qui ne suivent même pas l’inflation (voir article sur le site SLR).

Est-ce le tour des organismes d’y passer ? C’est bien cela qu’explique, en filigrane, la direction du CNRS dans sa lettre aux personnels, où il est clairement dit que désormais l’action de l’organisme viendra en complément de l’ANR, pour boucher les trous qu’elle laissera. Ce d’autant que l’unité du CNRS est en plus mise en cause, par le projet d’Institut de la Santé. Les craintes pour l’INSERM sont renforcées par le mystère entourant la mission Syrota ou les déclarations d’Arnold Munnich (conseiller de Sarkozy) qui veut confier la recherche médicale aux UFR. LRU es-tu là ? Sans doutes, car l’autonomie de carême imposée aux universités renforcera encore leur dépendance vis-à-vis de l’ANR. Simultanément l’ANR annonce qu’elle veut donner des contrats plus gros, moins nombreux, pour structurer la recherche, développe ses colloques, prend en main la représentation française dans la politique de recherche européenne. Bref un super-organisme ; la pieuvre étend chaque jour ses tentacules.

Une mission pré-programmée dans ses conclusions

Pour mettre en œuvre les nouvelles étapes d’émiettement de notre système de recherche, Sarkozy pratique à la fois un politique de mouvement et celle du saucisson : tronçonner les problèmes, les parcelliser, ne les prendre que "sous l’aspect technique", ne les traiter que un par un, et dans le cadre de ce qui est déjà décidé : contacts permanents avec la CPU sur la LRU, mission Syrota sur l’Institut de la Santé, réunion avec les Directeurs d’unité, avec les bureaux de sections CNU. Et bien sûr, mission d’Aubert [1]. La mission d’Aubert est censée examiner "techniquement" le problème de la gestion des UMR. Mauvaise nouvelle : ses conclusions seront connues en mars, après les municipales et après les élections aux conseils d’université. Tiens !

L’avantage de la procédure pour le gouvernement est évidente. Comme dit le proverbe : "dites moi les conclusions que vous souhaitez et je vous trouverai une commission qui les affirmera". Et en effet, cette commission comporte 5 présidents d’université et leur 5 secrétaires généraux (le problème est "technique"), 4 responsables d’organisme (CNRS, INSERM, INRA, INRIA) accompagnés de 4 personnes plus versées dans la technique de gestion, et 4 "experts" très aléatoirement choisis : le Directeur de l’ENS-LSH de Lyon (le collègue du Dircab de la ministre, qui dirige l’ENS-sciences), le responsable du programme ANR biologie-santé, un doyen et le professeur Alabarède qui s’est récemment illustré à Lyon en déclarant : "En matière de recherche, la démocratie n’est pas une solution".

Chacun, comprend que cette composition aurait eu un sens différent si chaque établissement avait été représenté par son président et le président de son Conseil scientifique. Mais puisqu’il n’y a rien de scientifique dans la disparition du CNRS … Chacun voit que les organismes sont en forte minorité. Chacun sait aussi que les responsables d’organismes sont des fonctionnaires d’autorité qui ont des lettres de mission, lettres qui les opposent les uns aux autres. Et qu’on est vite démissionné quand on ne plait plus (Berger, Larouturrou, Bréchot). Autant dire que si la pression ne vient pas de l’extérieur, vous pouvez préparer les fleurs et les couronnes.

Pour répondre à la question de la mission, il faut d’abord poser les vrais problèmes.

Les conditions préalables

Une première condition indispensable à un bon fonctionnement des unités est qu’on en vienne à un financement principal par les établissements (organismes et universités), une agence ne pouvant venir qu’en complément. Il faut multiplier par deux, sur cinq ans, les crédits de base des établissements. Ils pourront ainsi, lors de la contractualisation, s’engager financièrement à la hauteur nécessaire, pendant quatre ans, vis-à-vis des programmes des laboratoires (et en leur sein, des projets des équipes) bien évalués. Débureaucratiser, c’est donc en finir avec les nombreux lotos, les dizaines de milliers de projets qu’il faut penser, écrire puis expertiser, mais sans jamais les évaluer a posteriori. Il faut en finir avec le pilotage décidé par une poignée de technocrates aux ordres, dont certains sont coupés de la recherche depuis des décennies.

La deuxième condition est un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, alors qu’aucune création d’emploi n’est prévue dans les cinq ans à venir [2]. Sans emplois nouveaux, pas de croissance du potentiel de recherche, pas de décharges supplémentaires des E-C, pas d’amélioration de l’encadrement de la Licence. Par contre, il y aura une explosion du nombre de jeunes chercheurs sur CDD, sans perspectives d’emploi, et donc une désaffectation des masters recherche par les étudiants. Le gouvernement, l’ANR, ont le devoir maintenant trouver un emploi stable à ces milliers de jeunes. On ne peut imposer une mission d’insertion aux universités et par ailleurs envoyer des milliers de jeunes docteurs, parmi les plus brillants de nos étudiants dans le mur, et en s’en lavant les mains.

La troisième condition est de créer un nouveau partenariat entre organismes et universités. Oui, le redressement des universités est une priorité. Elles doivent jouer progressivement un plus grand rôle dans la recherche, Mais cela ne doit pas se faire en affaiblissant les organismes mais bien par des partenariats plus équilibrés et plus nombreux avec ceux-ci.

Ces partenariats visent à concilier la vision nationale d’une politique scientifique avec les impératifs d’une politique d’université [3] quant au lien enseignement-recherche et la création de nouveaux enseignements, l’émergence de jeunes équipes, la création de synergies de recherche entre ses composantes, l’organisation "à la base" des approches pluridisciplinaires entre laboratoires, les relations avec la (les) région(s). Ces partenariats doivent se négocier "d’égal à égal" et être réalisés à égalité de droits et de devoirs. Cela implique donc que les universités ne soient pas en situation de faiblesse, qu’elles aient les moyens d’une politique, assez d’ITARF à mettre dans les unités de recherche et que les enseignants-chercheurs aient beaucoup plus de temps pour faire de la recherche.

Pour ce, une organisation des universités en réseau est nécessaire, soit par fusion pour avoir des universités pluridisciplinaires et/ou par des PRES pour organiser la complémentarité de leur diversité, coopérer avec les écoles, favoriser le lien enseignement recherche. Les PRES (version Etats généraux) peuvent être une inter-face avec les Pôles de compétitivité, tout en protégeant les laboratoires publics d’une main-mise du privé. Coopération oui. Subordination non.

La quatrième condition est de repenser la démocratie et l’évaluation. Contrairement à la LRU, rétablir l’équilibre des pouvoirs dans les universités et notamment redonner tout son rôle au Conseil scientifique. Il faut revenir à des commissions de recrutement avec des élus et des nommés extérieurs, en précisant un quorum quant à la présence de ces nommés, comme a pu le suggérer la CPCNU, pour éviter les accusations d’endogamie.

Il faut circonscrire le rôle à l’AERES dans l’évaluation des unités à celui de définir des critères communs d’évaluation applicables aux intances qui la font. Sinon, du fait de l’absence d’évaluation collective et contradictoire, et donc comparative, l’AERES finira un jour par donner des notes sur la seule base du nombre de contrats ou de la bibliométrie. D’ores et déjà, la politique d’abattage rapide de l’évaluation des unités sur certains sites n’est pas pour rassurer. De plus, on sait que le CEA, l’INRA, l’INRIA et, de facto le CNRS, ont demandé que les instances d’évaluation actuelles des unités gardent ce rôle. Le problème n’est donc pas de savoir s’il faut la boycotter le rôle "d’expert de l’AERES" [4], mais quand donner ce mot d’ordre. Au plus vite pour l’auteur : jusqu’à ce que le gouvernement accepte que le rapport du Comité de visite soit discuté par le Comité national.

Mais il nous faut, dans le même temps, que les candidats au Comité national annoncent la couleur : qu’ils feront fonctionner leur section en récupérant les rapports des laboratoires et des comités de visite pour les évaluer. Il nous faut proposer des solutions pour que les équipes d’accueil bénéficient de la même qualité d’évaluation que les unités liées à un organisme et, à court terme, qu’elles le soient en même temps.

Une seule tutelle ?

Le problème d’une "seule tutelle gestionnaire" est un piège grossier, car de la tutelle gestionnaire, on passera rapidement à une seule tutelle tout court. Pour ceux qui le souhaitent, la contractualisation laisse déjà aux établissements la possibilité de garder des formations "propres". Mais en diminuant les possibilités financières des organismes, le ministère pousse déjà à généraliser cette solution. Lors du dernier CA du CNRS, il a été indiqué que le financement des grosses entités sera moins mauvais que celui des petites UMR, sans que ces dernières aient démérité scientifiquement et sans que pour autant les universités aient le budget pour compenser. Compromis pour sauver les meubles ou conviction ? Peu importe, la solution de la direction du CNRS de diviser en deux lots les unités ("stratégiques" ou pas) ne nous convient pas. A fortiori, celle du gouvernement qui voulait (veut encore ?) faire gérer toutes les UMR par les universités

Il faut donc préserver à tout prix les UMR, non seulement la pluralité de tutelles scientifiques, moyen simple et efficace pour décloisonner notre système, mais aussi pour la tutelle de gestion, même si pour cette dernière deux tutelles suffiraient dans la plupart des cas.

L’allègement administratif donc n’est qu’un prétexte pour supprimer des (les ?) UMR. Certains directeurs d’unité voient même dans la double tutelle une souplesse de gestion (chaque tutelle n’est pas "performante" dans les mêmes domaines) et une garantie pour leur liberté. Pour "alléger la gestion" les mesures sont connues et demandées depuis longtemps. Il faut avoir un seul système informatique entre l’université et tous les EPST, alléger le système des marchés (aller jusqu’au contrôle a posteriori ?), permettre aux laboratoires d’avoir des "reports" pour faire une politique à terme, surtout fonctionner d’abord sur crédits des établissements et postes statutaires afin de limiter le temps perdu en rédaction puis évaluation d’un nombre totalement excessif de "projets" à court terme. Et pour que l’"overhead" ou "préciput" (ce que l’ANR restitue aux gestionnaires ou aux laboratoires) ne soit pas la cause d’une bataille entre tutelle pour la gestion des unités, il suffit de décider a priori et nationalement (ou dans le contrat quadriennal) dans quelle proportion ces préciputs seront partagés entre chaque tutelle et le laboratoire.

Que faire ?

Nous sommes dans une phase où les réformes prévues peuvent désormais détruire irréversiblement notre système de rechercher. Et sans pour autant lui donner des moyens comparables à ceux de bien des pays développés : en vingt ans, la France est passée de la quatrième à la quatorzième place mondiale pour l’effort de recherche.

La perversion de la méthode consiste à obliger les scientifiques eux-mêmes à participer, par leurs expertises et leurs demandes (obligatoires pour faire vivre leur laboratoire) de contrats, à la destruction d’un système qu’ils ont eux-même construit en un demi-siècle. Un système qui, en les prenant un par un, les considèrent comme des pions faisant tourner des rouages sur lesquels ils n’auront collectivement plus aucun contrôle quant aux choix scientifiques fondamentaux. Un système qui leur nie le droit d’avoir une vision à long terme de leur recherche. Un système qui, notamment par l’explosion du nombre de jeunes chercheurs en CDD et sans perspectives, privera la recherche et l’enseignement supérieur des étudiants les plus brillants qui leur sont indispensables.

Il serait dangereux d’attendre les conclusions du rapport d’Aubert, qui seront données dans la période, indolore pour le gouvernement, de l’après-municipales. Certes les organisations, syndicales ou pas, les instances scientifiques, les personnalités mettront en œuvre pétitions, prises de positions, manifestations, etc. Cela est indispensable mais non suffisant. L’auteur pense qu’il convient, au plus vite, de discuter aussi d’un mot d’ordre de refus de toutes les expertises de l’ANR et de l’AERES (voire de toute forme de grève administrative), tant que nous n’aurons pas de garanties écrites sur l’avenir de notre système et en particulier sur celui des UMR. C’est difficile, mais on n’a pas le choix. Que la génération qui vient ne puisse dire de nous : "ils ne furent pas coupables, seulement responsables".

Bien entendu, chacun sait que notre système est loin d’être parfait, que combattre une orientation n’est efficace que si on propose nous-même de corriger les dysfonctionnements dans la recherche comme dans l’enseignement supérieur. C’est une condition pour rassembler la communauté scientifique.

Henri Audier

[1] La commission entourant François d’Aubert est ainsi composée :
- Catherine Bréchignac, présidente du CNRS,
- Alain Resplandy-Bernard, secrétaire général du CNRS,
- André Syrota, directeur général de l’Inserm,
- Hervé Douchin, secrétaire général de l’Inserm,
- Marion Guillou, présidente de l’Inra,
- Michel Eddi, directeur général de l’Inra,
- Michel Cosnard, président-directeur général de l’Inria,
- Hervé Mathieu, délégué général à l’administration des ressources et des services de l’Inria,
- Jean-Pierre Finance, premier vice-président de la CPU et président de l’université Nancy-I Raymond-Poincaré,
- Luc Ziegler, secrétaire général de l’université Nancy-I,
- Thierry Coulhon, deuxième vice-président de la CPU et président de l’université de Cergy-Pontoise,
- Bernard Pascal, secrétaire général de l’université de Cergy-Pontoise,
- Michel Lussault, troisième vice-président de la CPU et président de l’université de Tours François-Rabelais,
- Jean-Marc Blonsard, secrétaire général de l’université de Tours,
- Jacques Fontanille, président de l’université de Limoges,
- Daniel Poumerouly, secrétaire général de l’université de Limoges,
- Jean-Charles Pomerol, président de l’UPMC (université Pierre-et-Marie-Curie),
- Claude Ronceray, secrétaire général de l’UPMC,
- Olivier Faron, directeur de l’ENS lettres et sciences humaines,
- Patrick Netter, doyen de la faculté de médecine de l’université Nancy-I,
- Jean-Marc Egly, directeur de recherche Inserm à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire,
- Francis Albarède, professeur à l’ENS Lyon et chercheur au laboratoire des sciences de la terre.

[2] Le nombre de chercheurs CNRS n’a pas bougé depuis 15 ans (oui, oui, 13500 ± 100). S’il y a eu un nombre significatif de créations dans les universités, elles ont été principalement utilisées pour répondre à la croissance du nombre d’étudiants et à l’élargissement des missions des universitaires.

[3] Ce qui nécessite aussi une politique nationale de la politique universitaire, tout particulièrement en matière de diplômes nationaux, de statuts des personnels et d’aménagement du territoire.

[4] A l’exception du représentant du Comité national dans les Comité de visite qui, lui, a une légitimité démocratique. Le problème de boycotter le rôle d’expert de l’ANR doit aussi être posé.