Lettres ouvertes de jeunes chercheurs
le 17 décembre 2007
Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Madame la Ministre,
Nous, jeunes chercheurs, précaires et contractuels de l’Université, ATER, demi ATER, allocataires, allocataires-moniteurs, enseignants du secondaire, boursiers, vacataires, chômeurs, nous tenons à vous interpeller sur la loi « Liberté et Responsabilité des Universités ».
La contradiction est flagrante entre votre discours qui vante le dynamisme individuel et l’émulation collective, et votre loi qui, en précarisant les jeunes chercheurs, désorganise le travail en équipes et compromet la qualité scientifique de leur thèse :
La menace qui pèse sur la titularisation des jeunes enseignants-chercheurs* par un recrutement sur des contrats de droit privé (CDD, CDI) annonce la fin d’une Université démocratique, et de qualité : comment assurer une cohérence et un suivi pédagogiques à l’égard des étudiants dans de telles conditions de travail ? comment trouver la liberté nécessaire à une recherche d’envergure ? L’enseignement et la recherche sont des services rendus à la collectivité, leur exercice doit rester du domaine public. /(cf. art. 19)/
La mise en place du *recrutement par des « comités de sélection » composés au seul gré du Président et non plus élus au sein des spécialistes n’a aucun sens : sur quels critères les jeunes chercheurs seront-ils recrutés si ce n’est pas sur leurs compétences et la pertinence de leurs travaux ? Alors qu’on aurait pu espérer d’une réforme de l’Université qu’elle mette un terme au népotisme et au clientélisme qui n’existent déjà que trop, ce dispositif les renforce en concentrant tous les pouvoirs dans les mains d’un Président, censé être compétent tant pour recruter, évaluer et rémunérer les enseignants-chercheurs de n’importe quelle discipline que pour administrer l’Université. /(cf. art. 25)/
Une telle *dégradation des perspectives de carrière* ne peut que décourager les jeunes chercheurs, qui connaissent déjà aujourd’hui la précarité. Cette loi organise la disparition de la profession d’enseignant-chercheur en France. Comment construirez-vous les pôles d’excellence si toute une génération de jeunes enseignants-chercheurs est incitée à envisager son avenir dans les universités étrangères ?
Pour toutes ces raisons, à la suite des délégations du 6 décembre – représentant la majorité des syndicats (CGT, FSU, SUD, UNSA) et les collectifs (SLR et SLU) – , *nous demandons un moratoire sur l’application de la loi LRU* afin de permettre l’élaboration de la réforme dont l’Université a besoin, en concertation avec tous les acteurs impliqués. Pour l’avenir de l’Université, les attentes des jeunes enseignants-chercheurs doivent aussi être entendues. Nous voulons :
La revalorisation du métier d’enseignant-chercheur par la création de postes (monitorats, maîtres de conférence, professeurs d’Université) * Un recrutement des enseignants-chercheurs par les pairs selon un principe de transparence et des critères de qualité scientifique et pédagogique.* L’amélioration des conditions de travail par la mise à disposition de locaux et d’équipements nécessaires à un travail collectif, à la cohésion, et à l’émulation des équipes pédagogiques et scientifiques.
Collectif des Jeunes Chercheurs Collectif des Jeunes Chercheurs Paris 3, Collectif des Jeunes Chercheurs Paris X, Collectif des Jeunes Chercheurs Paris 1, Collectif des Jeunes Chercheurs Dijon, Collectif des Jeunes Chercheurs Amiens, Collectif des Jeunes Chercheurs Toulouse 2, etc.
Nous, jeunes enseignant-e-s chercheur-e-s précaires à l’Université
Nous, jeunes enseignant-e-s chercheur-e-s précaires, avec ou sans financement pour faire nos thèses, sans poste fixe à l’Université, serons directement affecté-e-s par les conséquences de la loi LRU.
En parallèle de nos activités au sein de laboratoires et d’équipes de recherche, nous sommes nombreux à enseigner à l’Université en tant qu’ATER (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche) ou le plus souvent demi-ATER, moniteurs ou vacataires. Nous assurons la quasi-totalité des Travaux Dirigés en premier cycle universitaire. Ceux-ci demeurent, malgré le nombre important d’étudiant-e-s par groupe (entre 25 et 40 personnes), le seul espace d’une relation privilégiée entre étudiant-e-s et enseignant-e-s. Ainsi, nous sommes les plus directement confrontés au défi de la « démocratisation » universitaire et tentons de trouver les ressources pédagogiques pour y répondre, malgré le manque de moyens et de réponse politique globale.
Le fonctionnement ordinaire de l’Université repose déjà en grande partie sur ces emplois précaires aux statuts très inégaux. Certains d’entre nous sont vacataires rémunérés à l’heure de cours, d’autres contractuels à durée déterminée (un an renouvelable une fois pour les ATER ou demi-ATER et trois ans pour les moniteurs qui bénéficient d’une allocation de thèse). Titulaires d’un diplôme de master 2 (bac + 5), nous percevons ainsi de 500 euros par semestre pour les vacataires à 1180 euros par mois pour les demi-ATER. Pourtant, ceux et celles d’entre nous qui assurent des TD se considèrent comme favorisé-e-s par rapport à la majorité des doctorant-e-s qui ne tirent aucun revenu de leurs activités de recherche.
Or la loi LRU, outre le gel de la création de poste pendant cinq ans, prévoit une dérégulation massive des emplois d’enseignant-e-s chercheur-e-s. Elle institutionnalise et renforce le recours à l’emploi précaire, y compris de personnels non-universitaires. Elle porte ainsi atteinte à nos conditions de travail, de vie ainsi qu’à la qualité du service public d’enseignement supérieur. Nous ne sommes pas opposé-e-s à l’ouverture des établissements à des profils non-universitaires. Mais celle-ci ne peut s’effectuer que dans un cadre pédagogique stable, établi par des professionnels de l’enseignement en mesure de s’investir durablement, soit des enseignant-e-s chercheur-e-s statutaires. Pour répondre aux exigences de l’explosion des effectifs universitaires en premier cycle, l’université doit innover. Tutorat, enseignements méthodologiques, développement du suivi personnalisé, ces activités permettent aux étudiant-e-s d’acquérir les compétences et les savoir-faire nécessaires à leur réussite universitaire. Or seuls d’importants moyens matériels et humains peuvent rendre possible la mise en place de ces activités. Quelques UFR, encore trop marginales, ont déjà mis en œuvre ce type d’enseignement et ont ainsi montré l’efficacité d’équipes pédagogiques cohérentes, durablement investies et fonctionnant de manière collégiale.
La dérégulation n’apportera pas les réponses dont l’Université a besoin ; la LRU aggrave au contraire les pratiques mandarinales qui sclérosent l’institution universitaire depuis trop longtemps. Les nouvelles modalités de recrutement (commission de recrutement entièrement choisie par le Président de l’Université, droit de veto présidentiel) vont renforcer les pratiques clientélistes qui existent déjà. L’autonomie de gestion des universités ne doit pas se faire sans le maintien d’un cadre national de définition des critères d’entrée dans la profession d’enseignant-e-s chercheur-e-s. La réforme que nous souhaitons est celle qui garantira l’égalité entre les Universités du point de vue des enseignant-e-s et des étudiant-e-s, tant en matière de condition d’accueil que de délivrance des diplômes et de formation.
Solidaires du mouvement étudiant en faveur de l’abrogation de la loi LRU, nous souhaitons faire entendre à ses côtés la voix des enseignant-es chercheur-e-s précaires de l’Université. La dérégulation organisée par la loi LRU s’inscrit dans un processus général de précarisation de notre génération dans le public comme dans le privé. Nous sommes ainsi confrontés à un niveau de sélection et à une dégradation des conditions de travail, que n’ont connus ni les responsables politiques qui ont décidé de cette loi, ni les présidents d’Université qui la défendent et vont en bénéficier.
Lucie Bargel, doctorante, ex-ATER, Emilie Biland, doctorante, ATER, Jean-Sébastien Eideliman, doctorant, ATER, Stéphanie Guyon, doctorante, ATER, Audrey Mariette, doctorante, ex-ATER, Sarah Mazouz, doctorante, Etienne Penissat, doctorant, ATER ,Julie Pagis, doctorante, ATER, Elsa Rambaud, doctorante, vacataire.