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Cibler la recherche ?

Robert JOUMARD, (DR) - INRETS - Laboratoire Transports Environnement – Bron – joumard@inrets.fr, 6 février 2008

Par Joumard Robert, le 6 février 2008

Le débat sur l’intérêt des recherches ciblées est fondamental, mais il pâtit d’affirmations très générales, qui sont le plus souvent basées sur l’expérience particulière de leur auteur. Aussi, si l’affirmation de Pierre Lazlo dans Sciences et Avenir "La notion de recherche ciblée est une aberration. Je pense que les applications viennent exclusivement de la recherche fondamentale" me plaît pour sa clareté, elle demanderait à être étayée par des exemples concrets.

Pour ma part, je participe à de la recherche dite classiquement finalisée, c’est-à-dire qui a dans mon cas un rapport aux transports (de personnes ou de marchandises), finalisée comme toute la recherche faite dans les EPST autres que le CNRS. On a donc une recherche un peu ciblée, dont il me paraît difficile de dire qu’elle est une aberration. Au sein de cette recherche transports, j’ai longtemps travaillé sur les déterminants des sources de pollution atmosphérique, c’est-à-dire des émissions de polluants. Cette recherche tentait de mieux comprendre les paramètres des émissions (technologies des véhicules, cinématiques, conditions environnementales...) afin d’être en mesure de proposer des pistes d’action et de les évaluer (intérêt d’une technologie particulière, faut-il limiter les vitesses en ville et sur route, rôle de la croissance des trafics...).

Toute cette recherche répond à une demande sociale et politique assez claire : comment maîtriser les sources de pollution dues aux transports ? Il s’agit donc bien d’une recherche ciblée, qui produit des connaissances, qui permettent à la société d’agir si elle le désire. L’important est à mon avis que la cible soit suffisamment vaste ou floue pour laisser au chercheur la possibilité d’explorer des pistes non encore imaginées.

Dans mon domaine, transports et environnement, la demande sociale est même indispensable, c’est elle qui construit en grande partie les thématiques de recherche : ce n’est que lorsque les Européens prirent conscience des pluies acides il y a une vingtaine d’années que les recherches sur l’écologie forestière firent un bon quantitatif et qualitatif considérable. Ce n’est que parce que les dérèglements climatiques préoccupent nos concitoyens que la recherche sur la physique de l’atmosphère dispose de moyens qu’elle n’avait jamais eus. C’est bien parce que la société perçoit assez bien que le couple mobilité-environnement est quelque peu contradictoire que j’ai des fonds pour travailler. Et cela ne me semble guère critiquable : beaucoup d’entre nous sont payés par la société pour la réparer en quelque sorte.

Mais, toujours dans mon domaine, l’orientation actuelle de ciblage systématique est dangereuse, car chaque chercheur ne pourrait que participer à des recherches de court terme, essentiellement pour des industriels ou des collectivités locales qui ont un problème à résoudre dans les deux à quatre ans à venir. C’est croire que l’échelle de temps de la recherche finalisée est de cet ordre, alors que c’est totalement faux. Pour répondre correctement dans un à trois ans à une question posée aujourd’hui par un industriel ou une collectivité locale, il faut avoir accumulé des connaissances de base depuis une dizaine ou une quinzaine d’années, hors toute application de court terme. Par exemple dans le domaine des émissions, avoir étudié les conditions d’utilisation des véhicules à l’aide d’enquêtes instrumentées très lourdes sur des véhicules du parc, avoir étudié les émissions des véhicules à l’aide de campagnes sur des dizaines et si possible des centaines de véhicules, sachant qu’un laboratoire ne teste qu’une quinzaine de véhicules par an. Ces recherches, entre autres, représentent la partie fondamentale, indispensable, des recherches ciblées – même si ce n’est pas à proprement parler de la recherche fondamentale.

À partir de cet exemple, je conclus qu’il est dangereux d’énoncer des lois générales sans avoir démontré justement que ce sont des lois générales. Et pour cela, il est indispensable d’analyser la réalité de la recherche, toutes les réalités de la recherche : à partir d’exemples concrets, montrer quand le ciblage est productif et quand il est contre-productif. Analyse d’abord, synthèse ensuite...

Ma synthèse actuelle serait plutôt de distinguer tout d’abord les différents types de recherche, en dépassant la typologie habituelle recherche fondamentale / recherche appliquée / recherche-développement. Nous avions montré à l’occasion des États généraux de la recherche en 2004 (Recherche à visée sociétale, un enjeu pour nous tous : www.sud-recherche.org/congre...) qu’il était plus pertinent de parler :
-  d’une part de recherches fondamentale et appliquée, liées par une spirale découverte fondamentale – application – découvertes...
-  d’autre part de recherche à visée sociétale, transversale, souvent pluridisciplinaire, et non réductible aux concepts de recherche fondamentale et de recherche appliquée, qui traite de la gestion collective de notre société, dont j’ai donné quelques exemples plus haut.

Pour ce qui concerne cette dernière, le ciblage de court terme (1 à 5 ans) est contreproductif car l’échelle de temps de cette recherche est au minimum de l’ordre de la dizaine d’années. Quant au partage des moyens entre recherche appliquée, recherche fondamentale et recherche à visée sociétale, c’est une question éminemment politique. Mais il est bon de faire savoir que la recherche fondamentale, sans aucun objectif d’application, est indispensable car elle seule permettra de construire des applications futures réellement nouvelles. Et que d’autre part la recherche à visée sociétale est nécessaire pour gérer notre société avec une vision plus claire de son fonctionnement au sens large (qui ne se réduit pas aux SHS), qu’elle a besoin de la recherche fondamentale comme de la recherche appliquée, et qu’elle doit construire des connaissances de base pour être opérante. En outre, il y a des choix à faire entre disciplines : finance-t-on la chimie ou la linguistique ? La psychologie ou les mathématiques ? L’écologie ou la physique nucléaire ? La recherche sur l’environnement ou l’économie ? Sur l’effet de serre ou la pollution de seaux ? Ces choix sont purement politiques, aucun chercheur en tant que tel ne peut les argumenter.