V. Pécresse, R. Bachelot, A. Syrota et l’organisation de la recherche
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, le 6 février 2008Le 5 février 2008, lors de la réunion annuelle qui a rassemblé un millier de directeurs d’unité (DU) et autres responsables de l’Inserm à la Mutualité, deux ministres se sont exprimés.
Valérie Pécresse avait un message principal à faire passer. Elle a déclaré : "La plus grande faiblesse [de la recherche en santé] c’est sans aucun doute l’émiettement et la complexité de ses structures (…) D’une organisation devenue complexe et illisible, (…) nous devons aller vers un dispositif plus clair et plus efficace. Cette clarté nouvelle sera aussi le gage d’une plus grande reconnaissance (…) Il s’agit bien de coordonner pour éviter les redondances."
Pour aboutir à cela, elle propose, sans rien supprimer, d’ajouter à l’organisation existante une structure nouvelle, une série d’Instituts pilotés par l’INSERM sous la responsabilité d’André Syrota. Ce dernier est ainsi intronisé grand réorganisateur de la recherche biomédicale en France. On notera qu’il ne faut plus parler de recherche en biologie ou en sciences du vivant, mais uniquement de recherche biomédicale, un terme qui permet de condenser, répéter, imposer une idée : la recherche en biologie doit servir d’abord à améliorer la Santé publique.
Devant ce public de DU INSERM, V. Pécresse a donc présenté l’INSERM comme le cœur de la recherche "biomédicale", alors que devant un public de présidents d’universités, c’est l’université qui est présentée comme le cœur du dispositif de recherche. Une réalité supplémentaire est que c’est l’ANR qui est au cœur du dispositif de financement, donc de décision, de toutes ces recherches.
Le concept nouveau proposé par la ministre est celui de "révolution douce". Ce terme surprenant pourrait signifier que la mission Syrota était initialement plus révolutionnaire, et aurait pu être de monter un grand institut du vivant, comme le laissait entendre un article dans Les Echos du 29 octobre 2007, mais que devant des réactions négatives, ce projet a été "adouci". Ou alors c’est un oxymore à la Sarkozy, consistant à dire une chose et son contraire, afin de créer de l’incompréhension, un terme "rideau de fumée".
André Syrota a ensuite repris les mêmes thèmes (simplification, clarification), pour annoncer plus précisément la création d’un ensemble d’Instituts sans murs. Certains correspondront à des catégories attendues (neurosciences, cancer, développement). D’autres sont des conglomérats improbables qui ont dû germer dans l’esprit d’un technocrate à court d’inspiration et de compétence. Ainsi en est-il d’un Institut "Sang, cœur, poumon et défenses immunitaires" (sic).
Ces Instituts signeront des contrats d’objectifs pluri-annuels (faudra-t-il y annoncer les découvertes à venir, et à quelle date ?), qui ne concerneront pas les emplois. Pour les emplois, le projet prévoit en effet de "pouvoir effectuer des recrutements ciblés pendant un ou deux ans pour combler les déficits dans certains domaines". Imaginer pouvoir combler un déficit dans un certain domaine de recherche en un ou deux ans, et gérer l’emploi de personnes qui ont besoin d’une très longue formation comme une variable d’ajustement rapide, voilà qui est assez hallucinant.
Toujours selon A. Syrota, le but est de "limiter le nombre d’interlocuteurs qui représentent la recherche". La question importante serait donc que le pouvoir politique ait un nombre limité d’interlocuteurs, une condition qui facilite évidemment le contrôle politique de ce secteur. On pourrait objecter que cette strate supplémentaire ne limitera en rien le nombre d’interlocuteurs auxquels les chercheurs devront s’adresser pour trouver des financements. Mais cette question est peut-être secondaire pour ceux qui nous organisent ?
Enfin, on est en droit de s’interroger : qui pilotera le navire biologie ? La ou les direction(s) de ces futurs Instituts, les EPST, les universités, ou le ministère de la recherche via l’ANR ? Le fait que A. Syrota ait laissé filtrer une critique discrète sur l’ANR "qui lance des appels d’offres qui ne sont pas évalués ensuite" laisse apparaître les prémices d’une lutte de pouvoir qui ne contribuera pas à la clarification du fonctionnement de la nouvelle organisation incluant cette nouvelle strate, et ne facilitera pas la vie des chercheurs.
Au moment où la ministre s’apprêtait à quitter la salle à la fin du discours de A. Syrota, ,j’ai demandé à pouvoir lui poser une question. J’ai souligné la contradiction majeure de son discours : prétendre simplifier le système en ajoutant une couche supplémentaire. Puis je me suis tourné vers la salle en l’interrogeant : que ceux qui considèrent que la création de ces Instituts est de nature à simplifier et clarifier la situation lèvent la main. Une dizaine de mains seulement se sont levées, l’objectif de clarification n’était apparemment pas bien passé. La ministre m’a rappelé à l’ordre : "On n’est pas dans une AG !" et a ajouté que contrairement à moi, elle n’était pas blasée et cynique, pour l’immobilisme, mais qu’elle, elle voulait que les choses changent et s’améliorent. Je lui ai répondu que je souhaitais aussi qu’elles changent, mais que la question cruciale pour l’avenir de la recherche était celle des jeunes. Sur cette question précise, la proposition d’une plan pluriannuel pour l’emploi avait été refusée par la majorité à laquelle appartenait la ministre. Et la proposition de conditionner le crédit impôt-recherche à l’embauche de docteurs avait été également refusée par cette majorité. Pourtant, ce sont de telles mesures qui pourraient faire changer les choses, et pas une restructuration technocratique de l’appareil de recherche. La ministre ne m’a pas répondu publiquement, elle quittait la salle.
Les DU ont ensuite posé à A. Syrota une série de questions dont la tonalité dominante était l’inquiétude : que va-t-il se passer maintenant, comment allons-nous nous en sortir ?
Enfin les DU ont écouté un discours de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports. Elle est venue nous affirmer avec conviction : "La recherche biomédicale a une seule finalité : l’amélioration des soins pour les patients". Autrement dit, la ministre n’a toujours pas compris que la recherche a aussi une mission fondamentale d’augmentation des connaissances, mission vitale pour bien des raisons, y compris pour que puissent exister des recherches finalisées. Cette ignorance dramatique est aussi celle des responsables de la rédaction des nouveaux programmes ANR pour 2008-2010 : en immunologie et neurosciences en particulier, on n’y trouve plus aucune mention de la recherche fondamentale dans ces domaines (contraitrement aux appels d’offres 2005-2007). Au sein de ces nouveaux programmes, seules seront financées les recherches directement liées à des pathologies. Quels que soient les efforts inlassables de très nombreux scientifiques (comme Albert Fert, encore récemment) pour rappeler l’évidence que la recherche fondamentale ne doit pas être négligée, ceux qui nous gouvernent s’obstinent dans le refus buté de le comprendre. Que Mme Bachelot vienne étaler cette ignorance face à un parterre de chercheurs INSERM avait quelque chose de pathétique.