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Le Crédit Impôt-Recherche, mesure pertinente ou véritable escroquerie ?

Par Alain Trautmann, le 6 février 2008

Créé en 1983, le Crédit Impôt Recherche (CIR) est un dispositif de soutien de la recherche privée sur des deniers publics, censé inciter les entreprises à accroître leurs dépenses de R&D, éventuellement à encourager leur installation en France. Une motivation centrale à sa création consistait à s’aligner sur les dispositifs existant dans d’autres pays. La baisse d’impôt est censée constituer un remède à tous les maux, et cette idéologie est prétexte à un dumping fiscal contagieux et généralisé, qui pourrait bien s’avérer suicidaire à terme. "Faire comme les autres" pour décider de ses propres actions, voilà un comportement dénoncé il y a bien longtemps par Rabelais, dans l’histoire des moutons de Panurge. Bien que l’évaluation systématique soit à la mode, et qu’aucun rapport n’ait jamais établi l’efficacité du CIR, le gouvernement en a fait un élément central du soutien à la recherche dans notre pays. De 440 millions € en 2004, il est passé à 1.4 milliard en 2006 (soit plusieurs fois ce que le CNRS affecte au fonctionnement de ses laboratoires), et pourrait dépasser les 3 milliards en 2012. Une telle croissance est-elle justifiée ?

Sans attendre une évaluation de son efficacité, il était possible de prendre des mesures visant à éviter les effets d’aubaine. Ainsi, "Sauvons la Recherche" avait proposé de conditionner le CIR à une augmentation avérée de l’activité de R&D, qui devait se traduire par l’embauche de personnes ayant une thèse de doctorat, c’est-à-dire ayant eu une véritable formation à et par la recherche. Un amendement en ce sens avait été déposé en février 2006, soutenu par toute la gauche et par l’UDF. Il a été rejeté par l’UMP, présidé alors par Nicolas Sarkozy. Une autre mesure potentiellement intéressante aurait été de cibler le CIR sur les PME. Mais, dans le cadre de la loi de finances 2008, le gouvernement actuel a décidé de faire le contraire, c’est à dire de faciliter l’accès du CIR aux grandes entreprises, en faisant passer le plafond des dépenses donnant lieu à CIR de 16 à 100 millions €. Comme le souligne le président du comité Richelieu (association française des PME innovantes) dans Les Echos du 14 décembre 2007, "le déplafonnement des dépenses donnant droit à crédit d’impôt va entraîner une augmentation des aides apportées aux plus grandes entreprises".

Le CIR constituerait-il une mesure incitative efficace pour les R&D dans les grandes entreprises ? En 2004, Jean-Louis Beffa, alors PDG de Saint Gobain, me déclarait en substance : "Pour une entreprise comme Saint-Gobain, la recherche est absolument vitale si nous voulons rester concurrentiels demain. C’est cela qui est déterminant pour notre effort de recherche, et pas le montant du CIR. Ceci dit, en tant que responsable d’entreprise, je ne vais pas refuser un dégrèvement fiscal". Jean-Louis Beffa a tenu ailleurs des propos similaires. On peut lui reconnaître cette franchise.

Thalès est une autre grande entreprise ayant une activité de R&D importante, avec des laboratoires de recherche dont certains sont remarquables, comme le laboratoire mixte CNRS-Thalès créé par Albert Fert, récent prix Nobel de physique. C’est la qualité de ses équipes de recherche ainsi que les besoins de développement de l’entreprise qui sont déterminantes pour l’activité de recherche de Thalès, et non pas le montant des dégrèvements fiscaux obtenus au titre de la recherche. Mais son PDG, Denis Ranque, n’a pas la franchise de Jean-Louis Beffa. Il avait déjà fort bien compris tout le parti qui pouvait être tiré des nouveaux dispositifs (Agence Nationale de la Recherche, pôles de compétitivité –dont on a pu lire récemment qu’ils bénéficiaient pour l’essentiel aux grandes entreprises-, Fonds unique interministériel, réseaux européens), permettant d’avoir accès à un maximum de subsides publics pour financer les activités de son groupe. Le 10 décembre 2007, D. Ranque signe dans le Figaro une tribune intitulée "Eloge du Crédit Impôt Recherche", dans laquelle il chante les louanges du CIR, dont l’augmentation serait selon lui déterminante pour le développement de la R&D dans des groupes comme Thalès.

Dans l’activité R&D de Thalès (2,2 milliards d’euros), selon les propres chiffres du groupe, la part innovation correspondrait actuellement à 17.5%, l’essentiel (82.5 %) étant du pur développement, activité certes indispensable mais qui n’est pas de la recherche, et correspond plutôt à l’activité d’une boutique de prêt-à-porter qui fait des retouches pour adapter sa collection aux mensurations de ses clients. Pour augmenter le montant du CIR auquel la société pourra prétendre, deux stratégies. D’abord, contourner le plafonnement de ce CIR, en apparaissant comme un ensemble de sociétés indépendantes. Deuxièmement, faire passer tout ce qui n’est pas de l’activité de production comme de la recherche. A cette fin, la communication externe nomme chercheurs tous les salariés du développement. Dans le même temps, des consignes ont été passées en interne dans le groupe Thalès pour présenter financièrement et techniquement les activités de développement comme des activités de recherche. Il ne s’agit pas ici de montrer du doigt une entreprise particulière, mais d’illustrer sur un cas concret le type de pratiques permettant à une grande entreprise d’augmenter son CIR afin de siphonner au maximum l’aide publique pour améliorer les comptes de son entreprise sans changer en rien son effort de recherche.

La recherche de notre pays a un besoin cruel de moyens financiers, et il existe des dispositifs qui permettraient de soutenir efficacement ces recherches, notamment dans le secteur public, et d’autres, à mettre en place, qui favoriseraient l’embauche de jeunes chercheurs dans le secteur privé, ou soutiendraient la recherche faite par les PME. Mais le gouvernement refuse d’adopter ces mesures, et préfère déplafonner les dépenses donnant droit au CIR afin de pouvoir augmenter les bénéfices des plus grandes entreprises. On a déjà vu, l’été dernier, qu’après la décision d’affecter 15 milliards à des mesures fiscales, les caisses de l’Etat étaient vides. Quand une part très importante du soutien public à la recherche aura été littéralement gaspillée dans le soutien aux grandes entreprises, on nous affirmera gravement qu’il n’y a vraiment plus rien dans les caisses pour le soutien public à la recherche publique. Dans ces conditions, une question mérite d’être posée : le Crédit Impôt Recherche, tel qu’il existe en France actuellement, est-il une mesure pertinente ou une véritable escroquerie ?