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Désintérêt des étudiants à l’égard des études longues dans les sciences ’’dures’’

Par Jean-François Fleury, le 20 mars 2008

Désintérêt des étudiants à l’égard des études longues dans les sciences ’’dures’’

Dans le Science et avenir du mois de Mars 2008, M. Dominique Lecours a accordé un entretien à Science et Avenir sur le sujet de la désaffection des étudiants vis-à-vis des sciences ‘‘dures’’. D’après M. Dominique Lecours, ce problème de désaffection serait du au manque d’intérêt des étudiants vis-à-vis de ces sciences, présentées d’une manière trop désincarnée et il propose d’éveiller l’intérêt des étudiants en les initiant à l’épistémologie. En soi, cette idée est louable mais le problème des étudiants en science n’est pas métaphysique mais d’ordre physique comme le fait d’avoir de quoi remplir son assiette.

Qu’est ce que cela signifie pour des étudiants de parvenir à un Master de science ? Ils n’ont pas de débouchés dans leur domaine d’étude dans le secteur privé car à leur niveau les gens qui sont pris dans les entreprises sont des ingénieurs sortant des grandes écoles. Il n’y en a pas non plus dans le secteur public car les postes mis en jeu dans les spécialités auxquels ils peuvent concourir sur l’ensemble de la France se comptent chaque année au mieux sur les doigts d’une ou deux mains. Evidemment, cela a pour conséquence que l’existence d’un certain nombre de formations est fortement remise en question du fait de la réduction à des niveaux squelettiques de leurs effectifs.

Une solution proposée sur les pages internet de présentation des masters est de continuer les études pour faire un doctorat. Mais là non plus, il n’y a pas de débouchés dans le secteur privé car la seule expérience professionnelle valable aux yeux des recruteurs c’est celle effectuée dans les entreprises ce qui fait, par exemple, que fréquemment un ingénieur qui a fait une thèse a moins de chances d’être recruté qu’un ingénieur qui sort directement de son école, ce qui en soi n’est pas particulièrement intelligent, pour ne pas dire plus, mais, passons.

Dans le secteur public, il y a encore moins de débouchés car les postes d’ingénieurs de recherche ouverts au concours chaque année se comptent sur les doigts d’une seule main, quand il y en a, et les docteurs fraîchement diplômés se retrouvent en concurrence avec ceux ayant déjà un ou plusieurs post-docs et années d’Ater et qui ont été recalés au concours d’enseignants-chercheurs ou de chargés de recherche.

Quant au concours d’enseignants-chercheurs ce n’est même pas la peine de s’y présenter car ils se retrouvent en concurrence avec des docteurs ayant déjà à leurs actifs une ou plusieurs années à l’étranger. Exemple, pour un recrutement d’un enseignant-chercheur à Caen, il y avait 250 candidats et à la fin les candidats retenus pour l’oral étaient à bac+10, +11 (post-docs + ater) avec en moyenne une quinzaine de publications par personne, l’un des candidats en ayant 25 ! La raison en est que chaque année, il y a toujours autant de docteurs qui entrent sur le marché du travail et toujours aussi peu de débouchés. Donc les docteurs tout frais partent à l’étranger en espérant prendre du galon afin d’emporter un concours mais ceux qui sont déjà à l’étranger, à chaque fois qu’ils échouent au concours, y retournent pour poursuivre leurs post-docs.

Donc, progressivement, au fur et à mesure de l’accumulation des docteurs français à l’étranger, le niveau des candidats se présentant ne cesse d’augmenter et les commissions de spécialistes s’adaptant à l’offre augmentent le niveau du recrutement. Ce qui fait que bientôt, la mention sur le site de l’éducation nationale indiquant que le concours de maître de conférence est ouvert pour les personnes ayant un titre de docteur (bac + 8) ne signifiera plus rien.

Donc la solution pour les docteurs pour trouver un emploi stable c’est soit de s’exiler, soit de se reconvertir mais cela signifie alors un déclassement (les boites informatiques ne sont pas en mesure d’absorber tous les diplômés de troisième cycle qui sortent chaque année !) car au niveau cadre ce ne sont pas les docteurs qui sont pris mais les personnes qui sortent des écoles diverses et variées. Le résultat c’est qu’on retrouve des docteurs livreur dans un Pizza Hut, jardinier municipal, ouvrier agricole, etc.

Les étudiants dans le cycle de licence sont parfaitement conscients de cet état de fait et ne prennent donc même pas la peine de faire un master ou se réorientent vers une école d’ingénieur pour les meilleurs. Résultat : les laboratoires de recherche se vident progressivement et les quelques étudiants qui y restent sont généralement des étrangers (enfin pour ce que j’en ai vu et les échos que j’ai pu en avoir) qui y viennent en raison de la réputation des formations doctorales en France et qui repartent avec leurs doctorats en poche chez eux pour y prétendre à un poste.

Il parait clair qu’il y a un problème au niveau de la formation des docteurs. Une bonne chose pour éviter ce type d’engorgement serait de limiter le nombre des thèses au renouvellement des postes de chercheurs et enseignants-chercheurs et à la formation des étudiants étrangers. Il est certain que cela entraînerait une pénurie de main-d’œuvre dans les laboratoires. Aussi, cette mesure devrait t-elle être accompagnée de l’embauche massive d’ingénieurs d’études (IE) et de recherches (IR) dans la fonction publique. Il y a actuellement environ 34.000 étudiants en sciences dures (si je me trompe, corrigez moi et, svp, donnez moi un lien donnant des informations sur les chiffres d’effectifs que je donne). Environ 25.000 sont sortis sur le marché du travail depuis 5 ans.

A supposer que ces 25.000 docteurs et ceux qui sont encore en formation soient intéressés par un poste d’IE ou d’IR, en envisageant de recruter 60.000 (on fait large) ingénieurs répartis à 50/50 entre les IE et les IR, cela coûterait en terme de masse salariale au bout de 20 ans 3,3 milliards d’euros par an (en supposant que le point d’indice n’évolue pas trop !...). Se pose évidemment la question du financement. Par exemple, le bouclier fiscal va coûter au minimum 3,7 milliards d’euros par an aux finances publiques et la réforme sur les droits de succession, 2,2 milliards d’euros par an. En supprimant ces deux mesures, on trouverait le financement à la fois pour embaucher des personnes, qui en général aspirent à revenir en France pour y trouver le cadre nécessaire à la fondation d’une vie de famille, qui sont surcompétentes et qui sont motivés dans leurs travaux, et pour remettre à niveau sur le plan de la sécurité les laboratoires de recherche français et permettre une installation décente des chercheurs.

De manière générale, le surplus de docteurs français à l’étranger serait ainsi résorbé, la France récupérerait l’investissement en terme de formation qui a été effectué et la pénurie de main-d’œuvre dans les labos serait résolue. Certains n’apprécieront peut être pas de n’être que IE ou IR alors qu’ils pourraient être MC ou CR mais il faut savoir raison garder car, par exemple, un poste de MC se justifie, jusqu’à maintenant, par la présence d’un volume horaire d’enseignements à effectuer, volume horaire qui est conditionné en partie par les effectifs des étudiants, qui ne sont pas extensibles à l’infini (les effectifs, bien entendu). Qu’en pensez-vous ?