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Le pilotage politique de la recherche passe à la vitesse supérieure

le 7 septembre 2008

 La ministre de la Recherche, Valérie Pécresse, a présenté mercredi dernier au conseil des ministres une communication sur la « stratégie nationale de recherche et d’innovation » visant à définir les priorités de la recherche pour la période 2009-2012. Nous ne pouvons que nous inquiéter, une fois encore, de ses propos qui témoignent à nouveau de la menace que constituent pour l’indépendance de la recherche les réformes prises par le gouvernement actuel.

En effet, ce dernier, dans la continuité du précédent, met en place les outils d’un pilotage de plus en plus serré de l’activité de recherche publique et d’enseignement par le pouvoir politique, pilotage qui va bien au-delà de la détermination des grands objectifs qui relève effectivement du pouvoir politique et de l’Etat. En effet, s’il est parfaitement légitime que le pouvoir politique fixe de grandes orientations scientifiques, il n’est pas dans sa compétence de définir précisément les stratégies que les chercheurs déterminent pour tenter de répondre à ces orientations. Or, après la création de nouvelles structures institutionnelles - l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui est devenue peu à peu une source dominante de financement des chercheurs et l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES) - après avoir considérablement accru la précarité des personnels, aujourd’hui les modalités de la définition quadri-annuelle des grands axes stratégiques de la recherche, proposées par la Ministre mettent en place toutes les conditions d’un pilotage étroit de l’activité des scientifiques qui ne peut que nous inquiéter et, à terme, affaiblir profondément la recherche nationale.

Une telle volonté de pilotage indique une méconnaissance de la dynamique de la recherche dont l’une des conditions nécessaires est précisément l’indépendance des scientifiques, une indépendance respectée dans les grands pays de recherche. Il est naïf de croire qu’il est possible de savoir, au préalable, ce que les chercheurs vont découvrir ou vers quels types d’applications leurs travaux déboucheront. Une telle volonté trahit également une conception profondément réductrice et idéologique de la recherche qui n’aurait de valeur que par ses applications et ses retombées économiques et paraît désormais se confondre avec l’innovation, oubliant que l’objectif premier et essentiel de notre activité est la création et la diffusion de connaissances nouvelles et de savoirs.

En outre, s’il nous paraît légitime que des représentants politiques interviennent dans la définition des grands axes stratégiques de la recherche, que des membres d’organisations de citoyens et des représentants du monde économique y soient associés, la manière dont ceux-ci, comme les chercheurs d’ailleurs, seront désignés, reste pour le moins obscure et laisse la porte ouverte à tous les abus et à toutes les manipulations. De plus, ni les syndicats, ni surtout le Comité national de la recherche scientifique ne sont invités en tant que tels à participer à cette réflexion, ce dernier, perdant ainsi le dernier pouvoir fondamental de prospective et de conjoncture qui lui avait été laissé lors de la création de l’AERES. Le principe de fonctionnement démocratique et de collégialité, principe essentiel pour que puisse se développer une recherche forte et dynamique et qui est respecté dans toutes les autres grandes nations de recherche, se trouve donc à nouveau ici bafoué. Alors qu’au printemps dernier un sursis pour le CNRS a été obtenu, comment ne pas craindre que dans un tel dispositif, son activité de prospective scientifique lui soit retirée ? Comment ne pas craindre que ce dispositif ne soit finalement qu’un nouveau cheval de Troie visant au démantèlement des structures qui donnent sens à l’autonomie des chercheurs ? Est-il d’ailleurs anodin que, dans le même temps, la directrice du département des Sciences Humaines et Sociales au CNRS ait été limogée dans des conditions inacceptables ? Comment ne pas craindre également que dans le contexte du retard abyssal de la France en termes de financements de la recherche, l’objectif d’un tel dispositif soit moins d’identifier les activités de recherche qui doivent être favorisées et aidées que de désigner celles qu’il faut supprimer afin de pouvoir maintenir au niveau international quelques créneaux seulement ? Illustrons le danger d’un exemple frappant. Dans les années 80, l’importance en pathologie humaine de la famille des lentivirus était ignorée. Si les stratégies gouvernementales actuelles de rentabilité économique immédiate avaient été appliquées à l’époque, les équipes travaillant sur ces sujets auraient pu alors disparaître. Les conséquences ? L’équipe du Pr Luc Montagnier n’aurait jamais découvert le virus du SIDA ... Incontestablement une grande réussite !

Enfin, ces propos interviennent alors que nous avons appris au cours de l’été qu’en 2009, à un moment de départs massifs en retraite, le gouvernement prévoit la suppression de 900 emplois statuaires dans la recherche et l’enseignement supérieur -annonce qui constitue une véritable provocation. Ils interviennent également au moment où la ministre a ouvert ce qui, une fois encore, ressemble fort à une simple parodie de concertation sur les statuts et que des menaces très lourdes pèsent sur le statut de fonctionnaire qui est pourtant garant de l’indépendance des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur face aux pressions économiques et politiques. Ainsi, alors que le gouvernement actuellement poursuit ses grandes opérations de communication pour vanter ses efforts sans précédent dans le financement et le renouveau de l’organisation de la recherche, censés conduire à une recherche plus performante, dans le même temps, par une série de réformes mutilantes, il rend les acteurs institutionnels de la recherche moins opérationnels, il diminue le nombre des personnels statutaires à un moment de départs massifs en retraite et il fait prendre à notre pays un retard dramatique en termes de financement de la recherche publique. Qu’espère-t-il par cette stratégie de gribouille ? Serait-ce une nouvelle version d’un célèbre slogan de campagne : Financer moins et désorganiser plus pour chercher plus ?