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Objections les plus fréquentes faites au texte "Refus de complicité"

Par Alain Trautmann, le 6 octobre 2008

Voici d’abord la liste des principales objections qui ont été faites à l’appel/engagement "Nous refusons d’être les complices actifs d’une politique scientifique désastreuse", puis les réponses qu’on peut y apporter.

- Ce texte mélange tout : les moyens, l’évaluation, les postes, permanents ou non.
- L’appel au boycott n’est pas une réponse audible aux reproches justifiés de la politique aberrante de nos dirigeants.
- Ce n’est pas signer pour saboter AERES ou ANR qui permettra de réduire la précarité
- Ce n’est pas raisonnable de réclamer des postes statutaires, alors que nous passons dans une tourmente économique violente.
- C’est exagéré de dire que toute la recherche est au service de l’économie
- Ce n’est pas vrai que les moyens baissent ; ils sont concentrés sur quelques équipes au détriment des autres.
- Défendre l’"egalité" des universités est peu raisonnable. La France n’a pas les moyens d’entretenir 88 centres de recherche et de formation à et par la recherche.
- Beaucoup de nos collègues aiment ce mode de fonctionnement basé sur une compétition élitiste, dont ils pensent sortir vainqueur de leurs voisins de palier.
- Ce texte manque de propositions concrètes
- Il est nécessaire de pouvoir financer des projets.
- Ce qu’il faudrait à l’ANR c’est accroître considérablement la part de financement des projets "blancs"
- Il n’est pas raisonnable de donner le fonctionnement du CNU (marqué par trop de promotion des copains et de temps perdu) comme modèle de système d’évaluation.
- On ne peut pas, en critiquant l’AERES, rejeter le principe même de l’évaluation
- Toutes les décisions ne sont pas politiques. Les choix, dans les jurys ANR, sont bien effectués par des scientifiques et par eux seuls.
- "Complice" (dans le titre) est un mot trop fort

Cette liste d’objections n’est pas close. Que les lecteurs du texte "Refus de complicité", y compris ses signataires, n’hésitent pas à poursuivre cette discussion, en envoyant leur contribution sur le site (cliquer dans l’onglet Réactions).

Ce texte mélange tout : les moyens, l’évaluation, les postes, permanents ou non.

Le texte parle de différents aspects d’une politique gouvernementale qui a sa cohérence, autour de quelques mots-clé : pilotage par le politique et l’administration, limitation des dépenses en les concentrant sur quelques objectifs choisis, réduction des effectifs de la fonction publique. C’est volontairement que l’on parle de ces différents aspects (sans les mélanger) : 1) parce qu’ils forment les parties d’un tout. 2) Parce que tout le monde n’est pas sensible aux mêmes aspects. Pour les plus vieux, ce sera surtout la question de l’organisation/financement. Pour les plus jeunes, celle de la précarité et de leur avenir. 3) Parce que nous n’avons pas 50 moyens d’action. On a la possibilité de faire pression, de dire notre désaccord, en faisant cette grève des évaluations, alors utilisons ce moyen.

L’appel au boycott n’est pas une réponse audible aux reproches justifiés de la politique aberrante de nos dirigeants.

C’est vrai que ce n’est pas évident à première vue. Il faut donc souligner la cohérence de la politique gouvernementale, et expliquer que ce moyen d’action est choisi car nous n’avons pas vraiment le choix des armes, et cela a bien un sens de dire : nous refusons de participer activement à la destruction irresponsable d’un système certes imparfait, mais qui fonctionnait.

Ce n’est pas signer pour saboter AERES ou ANR qui permettra de réduire la précarité.

Certains souhaitent en effet la disparition de l’AERES et de l’ANR. D’autres, plus nombreux, souhaitent que cesse un fonctionnement de ces structures qui rend possible la politique gouvernementale dénoncée ci-dessus. Il ne faut pas se faire d’illusions : ces structures ont été mises en place pour servir cette politique, et les dysfonctionnements dénoncés par les scientifiques ne sont pas des problèmes techniques. Le texte ne parle pas de saboter ces organismes, mais de gripper leur fonctionnement tant que nous n’aurons pas été entendus, et nos demandes prises en compte. Ces demandes sont multiples, et parmi elles, il y a la question de la précarité.

Ce n’est pas raisonnable de réclamer des postes statutaires, alors que nous sommes dans une tourmente économique violente.

Nous sommes pris en effet dans une violente tourmente économique. Elle est largement le fruit d’une idéologie selon laquelle tous les problèmes de la société peuvent être résolus grâce à une croissance sans cesse promise pour demain, qui serait garantie par un marché libéré de toutes entraves (liberté totale pour tous, surtout pour les spéculateurs et autres renards dans le poulailler). Un autre aspect de cette idéologie c’est que les services publics sont un cancer pour le budget de l’Etat, qu’ils constituent une entrave insupportable au développement, donc au bonheur général (sic). Alors même que cette idéologie est en train de montrer sa faillite avérée, elle est paradoxalement utilisée avec une violence accrue, pour accélérer les coupes sombres dans les services publics. La recherche et l’enseignement supérieur sont loin d’être les seuls touchés. Ce qui se passe à l’hôpital, par exemple, est dramatique. Mais c’est aux médecins et infirmier(e)s de mener la lutte pour l’hôpital (y compris en faisant appel à leurs concitoyens), comme c’est à nous de le faire pour l’enseignement supérieur et la recherche. A l’argument qu’il n’y a pas de moyens, on peut répondre que le gouvernement vient bien de décider d’augmenter de 620 millions € en 2009 le crédit impôt-recherche, mesure à l’efficacité plus que douteuse, dans sa réalité hexagonale, mais qui constitue une des pierres angulaires de l’action du gouvernement en faveur de la recherche. Et il serait dans l’incapacité absolue de créer 1000 postes, pour un coût inférieur à 60 millions € ? Non, il préfère en supprimer 900 : que le travail correspondant soit fait par ceux qui restent (par exemple des maîtres de conférence qui vont devoir eux-mêmes préparer puis nettoyer et ranger leurs salles de TP), ou que l’on "externalise" le travail en question, en payant des sociétés d’intérim, de toute façon ces suppressions ont un coût important, même s’il est caché. Ce ne sont pas des économies réelles, utiles à la société. Non, la tourmente économique ne doit pas nous amener à accepter ces suppressions de postes, ces attaques contre les services publics.

C’est exagéré de dire que toute la recherche est au service de l’économie

Nous ne disons pas que toute la recherche est déjà au service de l’économie. Mais la direction qui est donnée est bien celle-là, depuis le début des années 2000 (processus de Lisbonne) et même un peu avant. La récurrence du thème de l’économie de la connaissance, l’association systématique de recherche et innovation et de l’enseignement supérieur avec la professionnalisation des étudiants, tout cela constitue un véritable matraquage idéologique. Il est donc important de dire vigoureusement ce que l’on pense de cette idéologie, ce qu’elle implique de stérilisation de la pensée, pourquoi elle est absolument incompatible avec une conception humaniste de la production et de la transmission de connaissances. Comme l’a écrit une collègue : "How the government DARES to judge what is important in science ? Science determines the future, not the present. As an analogy, the government policy in science is just as if he now decided to suppress all primary schools- after all (as science) they cost a lot of money and do not have an impact in economy. By his current policy, the government is destroying french future."

Ce n’est pas vrai que les moyens baissent ; ils sont concentrés sur quelques équipes au détriment des autres.

On est d’accord : ne financer que 15% des programmes blancs de l’ANR et tant pis pour les autres qui ne pourront même plus compter sur des financements de base des organismes de recherche, ou bien sélectionner 10 Campus à soutenir, abandonner les autres universités, c’est le même processus qui permet d’avoir des ilôts correctement financés dans une mer de misère. Globalement cela se fait à moyens relatifs à peu près constants pour notre pays (après correction pour l’inflation et l’augmentation du PIB). Cela ne correspond pas à une baisse des moyens, mais pas non plus au mensonge officiel de l’énorme effort qui serait fait pour l’enseignement supérieur et la recherche. Pour une analyse chiffrée précise, voir http://www.sauvonslarecherche.fr/sp.... Lorsqu’il parle de "modernisation" ce que cherche à faire le gouvernement français, c’est une contre-façon le meilleur marché possible de la recherche américaine. Cette dernière fonctionne avec un grand gâchis de moyens et de personnes (le coût d’un article scientifique est estimé à 60 K€ en France et 105 K€ aux USA, d’après Yves Langevin). Nous n’aurons jamais les moyens de travailler de la sorte, et ce n’est pas souhaitable. Mais la mise en place d’un système de contre-façon sans grands moyens risque d’être globalement destructrice.

Défendre "l’egalité des universités" est peu raisonnable. La France n’a pas les moyens d’entretenir 88 centres de recherche et de formation à et par la recherche.

Peut-être y a-t-il des antennes universitaires qui devraient être fermées. Mais que cela soit fait de façon ouverte, après débat et examen des solutions possibles, pas en étranglant des régions entières sans dire officiellement que les pouvoirs publics ne veulent plus financer d’universités dans le Nord et en Bretagne, par exemple (décision qui serait aberrante, injustifiée, ne passerait pas, mais qui risque d’être un fait accompli). Par ailleurs (puisque c’est un universitaire qui a fait cette remarque), ce serait bien que des universitaires défendent publiquement ce qui leur semblerait une solution raisonnable, sur cette question du nombre des universités …

Beaucoup de nos collègues aiment ce mode de fonctionnement basé sur une compétition élitiste, dont ils pensent sortir vainqueur de leurs voisins de palier.

La compétition, les champions, les vedettes, l’individu qui domine les autres, tout cela correspond à un discours, un idéal tellement dominant dans notre société qu’il n’est pas étonnant que certains scientifiques s’y reconnaissent. Cela n’est pas une raison pour que se taisent ceux qui pensent que la recherche peut beaucoup gagner à être faite collectivement, que le travail en équipe est en général efficace, souvent indispensable (que ce soit dans des équipes pédagogiques ou pour des expériences exigeant des compétences très différentes). Beaucoup de ceux qui pensent s’en sortir mieux que le voisin, qui sont opposés à la mutualisation des moyens et des efforts, risquent demain de se retrouver en mauvaise situation et regretteront d’avoir cru que le "chacun pour soi" était une solution d’avenir.

Ce texte manque de propositions concrètes.

Ce texte est déjà bien long, et ce n’était pas le lieu de faire des propositions qui existent par ailleurs, dans les nombreux textes que l’on trouve sur le site de SLR notamment, depuis les Etats généraux de la Recherche.

Il est nécessaire de pouvoir financer des projets.

Tout le monde est d’accord sur la nécessité de financer des projets. Les scientifiques ont toujours fait des projets, et avant l’ANR, lorsque une partie majoritaire des financements correspondait au financement de base, accordé sur la base de contrats quadriennaux, il y avait bien la possibilité de se lancer dans des projets (y compris risqués, sur des questions peu à la mode). L’ANR a augmenté la part de financement pour des projets à court terme, sur des sujets à la mode, mais elle n’a pas inventé la possibilité de voir des projets financés en France. Le problème n’est pas l’ANR en soi mais sa situation monopolistique dans le financement de la recherche en France (avec étranglement financier concomitant des EPST), son contrôle étroit par le ministère, le fait qu’elle aboutit à découpler le financement des postes statutaires et des projets, et à faire en sorte qu’une partie croissante du travail soit effectué par des précaires.

Ce qu’il faudrait à l’ANR c’est accroître considérablement la part de financement des projets "blancs"

Ce serait mieux que l’ANR finance plus de projets blancs et moins de projets sur des thèmes fléchés. Certains ont même proposé que l’ANR financent des projets "rouges" : l’ANR repèrerait des équipes très bonnes et les financeraient bien, sans leur demander de projet précis. Ce paradoxe du financement sur projet sans projet, où l’on fait confiance à des scientifiques au vu de la qualité de leur travail passé, c’est exactement ce que savaient faire les organismes de recherche, quand ils avaient des moyens… Sauf qu’un système avec des crédits de base accordés par des organismes dans le cadre de contrats quadriennaux, avec une forte mutualisation au sein des laboratoires, était propice à la prise de risque, à des investissements à long terme. La temporalité favorisée par l’ANR (faire des "coups" sur des projets courts) est moins bien adaptée à une recherche risquée, en particulier fondamentale.

On ne peut pas, en critiquant l’AERES, rejeter le principe même de l’évaluation.

Personne ne dit qu’il ne faut pas d’évaluation. Nous disons même depuis les Etats Généraux de la recherche qu’il faut absolument mettre en place un système sérieux d’évaluation régulière des personnes et des équipes à l’université, ce qui n’existait pas avant. Mais ce qui se met en place n’est absolument pas satisfaisant. L’existence d’un équilibre entre nommés et élus avait du sens et était une bonne chose. Contrairement à la caricature qui en est faite parfois, les élus n’étaient pas tous incompétents, n’étaient pas tous des syndicalistes (tous les syndiqués n’étaient pas incompétents, et tous les incompétents n’étaient pas syndiqués). Une structure où l’on n’a plus un groupe d’évaluateurs, qui se connaissent, discutent, comparent, mais uniquement des experts qui fournissent des rapports ponctuels sur une structure (le plus souvent sans la comparer à d’autres), rapports qui seront moulinés par un premier échelon puis un second avant de se transformer en chiffre pour le ministère, une telle structure ne correspond pas à ce que l’on peut attendre d’un bon système d’évaluation. En revanche, on voit bien les effets pervers que peuvent avoir des "évaluations" réduites à un chiffre obtenu sur la base d’indicateurs souvent très discutables. De tels chiffres peuvent servir à d’outil ad hoc pour justifier une politique d’élagage brutal : réduction du nombre de revues en Sciences Humaines et Sociales (avec un risque majeur de dérive vers une pensée unique), fermeture de laboratoires effectuant une recherche de qualité, mais en dehors des modes du moment.

Toutes les décisions ne sont pas politiques. Les choix, dans les jurys ANR, sont bien effectués par des scientifiques et par eux seuls.

Les jurys ANR sont en effet composés par des scientifiques. Mais ceux qui, en amont, ont décidé qu’il fallait absolument mettre des dizaines de millions sur le développement durable même s’il y a très peu d’équipes en France qui travaillent sur ce thème, ce ne sont pas des scientifiques. Et ce ne sont pas des scientifiques non plus, ceux qui ont décidé qu’en immunologie on ne financerait que les équipes travaillant sur les maladies infectieuses, ou en neurobiologie uniquement les travaux sur des pathologies neurologiques (si possible Alzheimer car c’est le souhait du prince). C’est pourtant la réalité des programmes fléchés de l’ANR en 2008.

"Complice" (dans le titre) est un mot trop fort.

Beaucoup d’entre nous sentent que quelque chose de grave ne va pas dans le système, mais en même temps il faut bien vivre… Alors ils acceptent. Ils savent que l’ANR est un outil majeur pour augmenter la précarité, mais ils font des demandes de post-doc à l’ANR sans essayer d’agir pour qu’il y ait au même moment des créations de postes statutaires. Ou bien ils se disent que si ce n’est pas eux, c’est un autre qui fera le travail d’expertise, autant que ce soit bien fait. Et c’est ainsi que l’on peut être amené à travailler pour le système que l’on dénonce. Collaborer à la mise en place de ce système aurait été un mot trop violent, complice l’est moins. Pour beaucoup, la situation actuelle est violente. Faut-il le cacher ?