Le nouveau logo du CNRS, petite analyse sémiologique
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, le 7 octobre 2008La direction du CNRS a décidé de se doter d’une nouvelle identité visuelle, décrite par cette charte graphique. Examinons ce que veut signifier ce nouveau logo, surtout comparé au précédent et, en ces temps de restrictions budgétaires, si la dépense est justifiée (40 mille euros d’après des informations non encore confirmées, ce qui serait assez bien payé sans être scandaleux si le travail est de qualité. Note du 10/10/2008 : dans ce document officiel ce prix est confirmé, et est considéré comme « une opération à coût très réduit », ce que ne confirment pas les professionnels qui se sont exprimés sur le forum de cet article).
Notons d’abord que l’ancien logo avait été réalisé par une graphiste indépendante, tandis que celui-ci a été confié à un cabinet dont leur site nous apprend qu’il se veut :
un cabinet conseil en stratégie de communication et gestion de crise. Tiré de la locution latine qui signifie « malheur à celui qui va seul », notre nom porte notre positionnement : être conseil des dirigeants d’entreprise en toute indépendance et les accompagner en toutes circonstances, du déploiement d’une marque à la défense d’une réputation.
Le personnel du CNRS se reconnaîtra sans doute fort bien dans cet univers.
Par deux fois dans le document de présentation du logo, apparaît ce paragraphe écrit entièrement en gras :
Attention, le nouveau logotype n’utilise plus le développé “centre national de la recherche scientifique”. De ce fait, l’explication de l’acronyme ne peut et ne doit plus être associée au logotype d’aucune manière.
Contrairement à l’ancien logo, le nouveau cherche donc à cacher la mission du CNRS : ces quatre lettres ne sont plus un acronyme résumant un contenu, c’est un nom de marque, sans signification en soi, mais qui a un capital de confiance, accumulé à l’époque où son logo était autre, et dont on compte bien tirer profit. Au cas où le CNRS viendrait à disparaître, ce logo permettra d’occulter qu’il s’agit d’un enjeu national, qu’il est au centre de cette activité de notre pays, qu’il s’occupe de science à une époque où celle-ci est fondamentale pour l’avenir, et qu’il le fait dans une perspective de recherche, c’est-à-dire dans le rappel que toute affirmation, des sciences de la nature aux sciences politiques, peut être remise en cause par une découverte.
Cette omission n’est pas une contrainte technique quant à la taille du logo, puisque figure quand même un texte. Son libellé est riche d’interprétations : dépasser les frontières. De quoi ? Ici, le graphisme contredit ce libellé, qui vient butter contre la triple frontière du n qu’il n’ose pas dépasser. La seule voie libre est par le bas. Est-ce un erreur du graphiste, ou est-ce le personnel du CNRS qui est ainsi invité à en sortir et pas par le haut ?
A propos de hauteur, l’estime dans laquelle le cabinet tient le CNRS n’est pas très élevée, puisqu’il justifie ainsi son lettrage :
Le choix des caractères en bas de casse pour l’acronyme CNRS permet de démythifier l’organisme.
Qui veut tuer la qualité de son service public prétend qu’elle est mythique. On ne saurait voir ici une erreur du graphiste : c’est le commanditaire qui réclame un visuel ayant valeur de mythe ou non. Même le plus mauvais des graphistes sait qu’il peut aller à l’encontre des goûts de son client, mais jamais de ses opinions. On peut d’ailleurs s’interroger sur la couleur dominante du logo, proche de celle du parti politique actuellement au pouvoir.
Venons en à la forme du logo. Le cabinet s’en auto-félicite généreusement (sait-il que la première valeur du CNRS est la critique par les pairs ?) :
La forme, très novatrice, évoque la matière mise à disposition des chercheurs par notre planète, son environnement et ses ressources. Une matière malléable et souple, prête à se livrer aux savoirs et expertises de la recherche scientifique comme la motte de terre glaise destinée à être travaillée par les mains habiles du sculpteur.
(Dans une interview, le directeur de la communication du CNRS la trouve seulement assez novatrice.)
Pour le cabinet, notre planète n’offre aucune résistance à l’expertise scientifique, manière de dire que notre activité ne présente aucune difficulté. Cette malléabilité s’applique donc aussi à l’organisme, qu’on prépare à une déformation extrême dans les mains habiles des faiseurs d’opinion.
La raison de cette forme découle en fait d’un problème graphique de départ que l’ancien logo, contrairement au nouveau, avait su résoudre.
Le sigle CNRS a la particularité de n’avoir aucune lettre à hampe montante (bdfhklt) ou descendante (gjpqy) ni lettres accentuées. Avec des caractères typographiques, les points hauts des 4 lettres sont donc alignés, les points bas aussi, d’où une forme générale en rectangle, semblable à mille autres. Pour personnaliser le sigle, une solution évidente est d’abandonner complètement la typographie et de réaliser une calligraphie. C’est ce que faisait l’ancien logo, qui allongeait la jambe droite du N pour créer l’élément rythmique manquant. Refusant de dépasser la frontière séparant la typographie de la calligraphie, le nouveau est obligé de créer une béquille, savoir le texte supplémentaire vertical. Dans les exemples utilisant des petits corps, la couleur retenue achève de le transformer en canne blanche d’un aveugle, solution boiteuse dont la seule justification plausible est l’évocation de l’acuité visuelle des réformateurs du moment.
Le choix de la calligraphie permettait aussi à l’ancien logo d’innover dans le lettrage, ses nouveaux signes sous-tendant l’idée que le CNRS invente de nouveaux outils conceptuels pour exprimer le monde. Le nouveau logo choisit la neutralité d’une police linéale, et une des plus connues qui soient, enfonçant l’image du CNRS dans le conformisme, contrairement à ce qui est annoncé dans le texte d’accompagnement. Des incohérences dans une identité visuelle sont particulièrement malvenues pour un établissement scientifique.
Atout supplémentaire, l’ancien logo profitait du choix de la calligraphie pour relier les lettres entre elles, façon de dire que le CNRS est un tout que l’on ne saurait dissocier. Le nouveau s’appuie sur des caractères romains, sans empattements ni ligatures : on peut découper "CNRS" facilement et réutiliser ses composantes ailleurs sans dommage, voilà le message.
Ne soyons pas manichéens, l’ancien logo n’est pas sans défaut. L’usage exclusif du symbole de la flèche, très connoté surtout en biologie et en psychologie dont s’occupe le CNRS, peut suggérer que la science est strictement une affaire d’hommes, ce n’est pas très heureux (mais pas totalement faux à l’époque de la création du logo). Ce symbole est de plus omniprésent, ce qui nuit à l’idée que l’ensemble des savoirs abordés est divers. Enfin la pointe acérée de ces quatre flèches donne une tonalité un peu agressive, proche de la représentation moléculaire de certains virus. Mais peut-être était-ce prémonitoire des combats que l’organisme aurait à mener aujourd’hui ?
E. Saint-James
Ancien chargé de cours en typographie numérique à l’école des arts et industries graphiques Estienne.
Post-Scriptum
Jacques André, créateur du groupe de travail CNRS-INRIA-Université sur la typographie numérique à Rennes (typographie AT listes.irisa.fr) soumet le nouveau logo à un autre type de réflexion :