Tripôle - pour un traitement social de la recherche en Europe.
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, le 20 octobre 2008Publié dans la Lettre N°1 de SLR, 2007, Mini-dossier Europe (3).
Le Groupe Europe de SLR a, dans la continuité des Etats Généraux de la Recherche (2004), réfléchi au moyen de lutter contre deux idées fixes de nos gouvernants actuels – la croissance et la compétitivité – pérennisées par la Loi de 2006 sur la recherche et corrélées dans le discours des médias et des décideurs par un amalgame récent : Recherche&innovation. Innovation, certes, mais de là à devoir en flanquer automatiquement la Recherche – au risque de passer pour un demeuré qui a pommé la moitié du mot si on reprend son souffle entre les deux – … !!! Le projet Tripôle vise moins à « défendre » la recherche fondamentale et publique, qu’à en assurer la vitalité – crédibilisée par sa pertinence sociale, et enrichie par l’expérience de nos voisins européens. Nous souscrivons à l’analyse du « modèle nordique » que font les concepteurs du Traité de l’Europe sociale « Nouvelle donne » :
« De multiples facteurs culturels peuvent être mis en avant, mais la question du partage du pouvoir, du lien entre les élus et les citoyens, de la relation entre les corps intermédiaires et l’Etat est sans doute une des clefs de la réussite du « modèle nordique. » [1]
Avec un bémol à la clef : de ces « modèles nordiques », devenus depuis quelques années la tarte à la crème du discours politique et médiatique en France, c’est moins ceux du Danemark (vanté vs. honni pour sa « flexibilité ») ou de la Suède (une démocratie participative naguère novatrice) que celui de la Finlande, périphérique, isolée par sa langue ouralienne« exotique », mais outrageusement progressiste, qu’on retiendra ici. Le Projet Tripôle se nourrit d’un partenariat avec l’Association finlandaise TUTKAS. Force de proposition devenue incontournable, fondée dès les années 70, Tutkas est constituée à égalité de membres du Parlement ET de scientifiques (c’est le sens du sigle). Sous son influence, le Parlement finlandais adopte en 1992 un texte qui invite le gouvernement à publier un Rapport blanc sur l’avenir de la recherche tous les 4 ans (échéance électorale). NB. A la différence des Rapports de prospective du CoNRS, ces Rapports sont – nonobstant les alternances politiques – suivis d’effets : votes positifs sur l’augmentation (4%) du budget de la recherche, sur un programme national de « recherche et innovation » qui n’ampute pas celui de la recherche fondamentale... Un comité parlementaire permanent (« Comité pour le futur ») auditionne périodiquement les représentants de Forums thématiques et budgétise leurs initiatives. Tutkas milite aussi dans les instances et les médias européens pour promouvoir l’éducation scientifique et l’attractivité des carrières scientifiques [2]. Aujourd’hui, Tutkas n’est plus seule en Europe à développer ces liens privilégiés entre scientifiques et parlementaires : la Royal society [représentée à la 2e Université d’automne de SLR en septembre 2006] et, dernièrement, notre Académie des Sciences, favorisent les « couplages » entre chercheurs et élus. Mais l’expérience finlandaise, bien rodée et d’envergure puissante(50% des parlementaires sont actifs dans Tutkas), s’est aussi ouverte à une 3ème dimension : la participation citoyenne. Le Projet Tripôle, qui a l’originalité d’être impulsé et hébergé par une Association de chercheurs – et non par un organisme dédié – inclut aussi la dimension citoyenne. Définitoire, l’initiative des chercheurs est primordiale pour l’aboutissement du projet. Tripôle, qui entend, sur la base de l’expertise initiale (et soumise à débat) desscientifiques, créer ce lien encore inexistant en France entre décideurs et usagers, fera appel au relais d’associations de citoyens « ordinaires » (ou presque), usagers ultimesde la science. Cet ancrage dans le tissu social est essentiel pour un renouvellement démocratique de nos politiques de recherche. A l’autre bout de la chaîne, lesparlementaires n’ont pas non plus l’expérience de tels partenariats, mais, pour fairevivre la recherche en laquelle nous croyons, soustraite aux effets pervers d’une commercialisation galopante, il faut croire en la faculté pour les humains d’évoluer – y compris les parlementaires ! Et les contacts que nous avons pris depuis près d’un anavec les responsables de la recherche dans différents partis politiques – à commencer par ceux qui ne sont pas ouvertement réfractaires à une démocratisation de laprogrammation scientifique – sont positifs. Ces échanges, provisoirement suspendus à l’approche des élections législatives, porteront leurs fruits : le dialogue se poursuivra avec des interlocuteurs (en partie) nouveaux. Tripôle n’est en rien surréaliste. Mais il n’a pas sa place dans les « Pôles de compétitivité » : pas d’investissement à court terme, pas de rendement immédiat. Plusieurs thèmes d’urgence scientifique (santé, environnement, énergie) ont été proposés par desmembres de SLR, la dimension sociale, portée par des chercheurs « humanistes » (juristes, historiens, linguistes) s’est dégagée comme prioritaire : deux rencontres internationales, en partenariat avec des associations européennes membres du réseauSINAPSE (créé en 2006 par la Commission de Bruxelles, et dont SLR-Europe estl’un des membres constitutifs), sont programmées pour 2008 sur les thèmes de « Science européenne – comment soulever le plafond de verre ? » (problème de laparité, pour lequel les nouveaux entrants de l’UE seront sollicités), et « Pour une identité plurilingue de l’Europe », qui mobilise déjà plusieurs associations régionales.
Tripôle a-t-il vocation à assurer la sauvegarde définitive de la recherche fondamentale et publique ? Peut-être pas, mais s’il réussit à infléchir la conception dela recherche, et à garantir que la prise de décision la concernant tienne compte à lafois des choix de ses professionnels et des besoins des citoyens, ce n’est pas si mal. C’est à cet effort collectif que nous convions, par-delà les membres de SLR, la communauté scientifique [3].
M.M.Jocelyne Fernandez-Vest, Quartier Latin, mars 2007
[1] Pierre Larrouturou, Urgence sociale – Changer le pansement ou penser le changement ? Pour un sursaut citoyen, Ramsay, 2006, p. 210. Voir aussi www.nouvelledonne.fr.
[2] Pour le détail de ce fonctionnement (représentation, évaluations, thèmes des rencontres et des publications, voir notre compte rendu sur la page Europe du site SLR : http://recherche-endanger.apinc.org....
[3] Laquelle, rassemblant chercheurs et enseignants-chercheurs – nos partenaires européens sont d’ailleurs basés en majorité dans les Universités – est tributaire aussi d’une réforme en profondeur de l’enseignement supérieur français, une autre préoccupation majeure de SLR.