De 85 universités à 10 pôles universitaires nationaux : Fusion ou fission ?
Par
, le 28 octobre 2008Nous sommes tous, acteurs de l’université, pour la fusion, mais nous craignons la fission, écrit Jacques Haiech, Professeur à l’Université de Strasbourg
La communauté enseignante et celle des chercheurs sont des entités fragiles, nécessitant du temps pour être cohérente. Cette cohésion sociale peut être rapidement mise à bas mais demande patience pour être construite.
Le législateur nous a donné trois lois pour faire évoluer le paysage universitaire, une loi pour l’université où se combine autonomie et responsabilité ; une loi pour la recherche où l’on pense global pour agir local et une loi financière où la culture jacobine du contrôle a priori est remplacée par le contrôle a posteriori. Ces trois lois sont complémentaires et sont censées donner les espaces de liberté et le cadre pour réformer notre système de recherche et d’innovation national.
Cependant, le législateur avait fait le pari d’une intelligence stratégique collective qui permettrait à nos communautés de faire émerger des projets politiques enthousiasmants, porteurs et partagés. Sans une vision politique, les structures ne sont plus au service d’un projet mais s’hypertrophient. L’administration a horreur du vide et la technicité financière n’est plus un moyen mais une fin. Sans un Projet Fort d’Etablissement, la structuration administrative devient porteuse de sa propre idéologie :
Les hommes au service de la comptabilité et non plus l’inverse avec son cortège de rigidité et de mépris. La règle devient la performance mais pour qui, pour quoi et pour quels objectifs ? La quantité remplace la qualité, la souffrance le plaisir.
Les hommes sont considérés des coupables en devenir. Il faut donc abandonner la confiance et contrôler a priori. La responsabilité disparaît et l’autonomie est vidée de son sens.
La recherche se balkanise d’où une perte de cohérence et de lisibilité qui décourage les jeunes d’entrer dans les carrières d’enseignant-chercheurs.
L’absence d’un projet émanant de l’intelligence collective de notre communauté va nous conduire à l’éclatement de notre communauté, cette fission tant redoutée, plutôt qu’à la fusion des forces et des enthousiasmes.
A qui la faute ?
Probablement collective puisque nous avons souvent laissé se mettre en place des gouvernements universitaires qui ont plus soigné la forme que le fond. Cette vacuité politique a dû être comblée par les professionnels de la comitologie, de la nomenclature et de la taxinomie financière. Mais au service de qui et de quoi ?
De cet abandon de nos responsabilités politiques de citoyens, nous en voyons déjà les premières conséquences :
Nous étions censés construire une université présentant une offre multidisciplinaire mais nous laissons la délabellisation par les organismes de recherche mettre en déshérence des pans entiers de notre recherche. Cela conduira inévitablement à l’arrêt des filières de formation qui s’adossent à cette recherche qu’on abandonne. Là encore l’absence de projets collectifs remplacés par une sémantique vide de sens (favoriser la recherche d’excellence) nous conduit droit dans le mur,
Nous étions censés construire une université responsable et autonome mais la financiarisation du système et l’arrivée inopinée de la crise financière (suivie inévitablement par la crise économique) implique un modèle unique et centralisé de dépenses au détriment d’un modèle efficient d’utilisation de ressources affectées à un projet,
Nous étions censés construire une université attractive et lisible mais la voilà éclatée en de multiples composantes qui vont ajouter à la cacophonie ambiante.
Que construisons-nous réellement ? Une « star académie » dont la vocation est de grimper en haut de hits parades universitaires dont le président sera un animateur médiatisé et l’administration un système normatif dont le rôle sera de brider l’intelligence et l’innovation ?
Voulons nous vraiment vivre dans une communauté où en absence d’un projet constituant la charpente de notre maison commune, nous verrons le népotisme remplacer les compétences, le clientélisme être le moteur de la promotion, la servilité la norme comportementale ?
Une communauté est un être vivant en devenir, en émergence et le projet qu’il porte ne peut éclore dans l’instant. Pourtant, nous avons toujours le cadre législatif qui nous permet d’explorer de nouveaux possibles et de faire des universités et de ses campus des lieux où étudiants, enseignants, chercheurs, Ingénieurs, techniciens et administratifs auront plaisir à vivre et à venir travailler.