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Réforme du statut des enseignants-chercheurs :

les pleins pouvoirs aux présidents

Par Gaviano Marie-Pierre, le 26 novembre 2008

Le 30 octobre 2008, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a rendu public son projet de décret concernant la réforme du statut des enseignants-chercheurs. Celle-ci est infiniment plus lourde de conséquences que le « Plan carrière » annoncé quelques jours auparavant par Valérie Pécresse et beaucoup plus largement relayé par la presse et la télévision. Au regard de cette réforme, les chaires d’excellence pour les jeunes chercheurs « prometteurs », les primes diverses et la prise en compte des années de doctorat dans la grille des salaires font en effet figure d’infime détail. Le séisme qui va bouleverser les conditions de travail dans les universités tient en quelques mots : la modulation du service d’enseignement des « profs de fac » par le président de l’Université.

Le nombre d’heures de cours d’un enseignant-chercheur était jusqu’à présent défini par la loi : 192 heures de travaux dirigés (un cours magistral « valant » 1h30 de TD, le service se situait donc entre 128 et 192 heures). Il était susceptible d’allègements (variables selon les universités mais souvent nuls ou infimes sauf pour les fonctions les plus élevées) liés aux charges administratives. Les activités d’enseignement (les 192 heures en présence des étudiants, auxquelles s’ajoutent préparation des cours, définition des programmes, contrôle des connaissances, surveillance des examens, etc) étaient censées représenter la moitié du temps de travail total, l’autre moitié étant consacrée à la recherche. [1]

Ces 192 heures ne constituent désormais plus qu’un « pivot » autour duquel le président [2] peut faire varier le nombre d’heures d’enseignement, sans plancher ni plafond [3] . Cette modulation est théoriquement définie en « fonction de la qualité des activités de recherche et de leur évaluation par le conseil national des universités ». Le « bon » chercheur devrait donc voir sa charge d’enseignement allégée, le « mauvais » sa charge augmentée (doublée si cette recherche est déclarée inexistante). Mais le texte du décret ne précise pas la nature du contenu de l’avis du Conseil National des Universités : se borne-t-il à classer en « bon/moyen/mauvais chercheur », en enseignant publiant/non publiant selon les sévères critères de l’AERES [4]  ? préconise-t-il un type de service ? Et surtout, cet avis semble n’avoir aucune valeur contraignante [5] . D’autres instances limitent-elles le pouvoir du président ? Non : le Conseil d’Administration de l’université ne fixera que les « principes généraux de répartition des services », et la consultation du directeur de l’unité de recherche et du directeur de la « composante » (c’est-à-dire directeur de la « Fac des Lettres », ou de la « Fac des sciences » etc, selon le cas) que prévoit le décret demeure par définition strictement consultative.

Le président décidera donc seul. Et aucun recours n’est prévu.

Quelques détails supplémentaires : La modulation de service ne peut « conduire à dégrader le potentiel d’enseignement de l’université » : les allègements consentis aux uns auront donc pour nécessaire contrepartie l’alourdissement de service imposé aux autres. Il est aussi stipulé que les 192 heures d’enseignement qui servent de pivot « s’accompagnent des heures consacrées à la préparation et au contrôle des connaissances afférentes, aux tâches d’intérêt collectif correspondant à la mission d’enseignement ainsi qu’aux actions de formation à distance, de tutorat et de suivi de stages » : tutorat et enseignement à distance cessent ainsi d’être décomptées dans l’horaire d’enseignement qui se trouve de facto accru même dans les cas où il reste fixé à 192 heures. Le « tableau de service est fixé annuellement et peut être modifié d’un semestre sur l’autre. « [Le Conseil d’Administration] fixe également les équivalences horaires applicables à chacune de ces activités ainsi que les modalités pratiques de décompte. ». Se trouve ainsi introduit un facteur de modulation supplémentaire. Enfin, « dans le cas où il apparaît impossible d’attribuer le service de référence à ces personnels, le président leur demande de compléter leur service dans un autre établissement public d’enseignement supérieur de la même académie »(y compris donc autres que des universités).

Les conséquences me semblent les suivantes :

• extrême concentration du pouvoir de décision entre les mains du président de l’Université (avec les risques de dérive afférents) qui s’ajoute à tous ceux que lui conférait déjà la loi LRU et qu’accroissent mécaniquement les fusions entre universités • absence de revalorisation du « bon prof » (puisque le nombre d’heures de cours est inversement proportionnel à la qualité de la recherche) • alourdissement de l’horaire d’enseignement de bon nombre de personnels (de plus, intégrer dans le service normal une bonne partie des heures supplémentaires actuellement payées comme telles équivaut à cesser de les rémunérer) • probable dégradation de la qualité de l’enseignement (l’augmentation des heures de cours débouchant sur une réduction du temps de préparation, de correction des copies etc) • fin de toute activité de recherche dans certains cas

Ces mesures seraient à apprécier dans le cadre d’une comparaison avec les systèmes des autres « pays développés ». La chose n’est guère aisée en raison de l’extrême variabilité selon les pays et les universités, redoublée par la variation du travail réel attaché à chaque heure de cours en fonction du nombre d’étudiants auxquels elle est dispensée. Mais on peut dire en gros que les 192 heures constituaient déjà une charge d’enseignement comparativement lourde (proche de celle des personnels « enseignants non-chercheurs » dans les universités britanniques) et que, dans les autres pays, les variations de service à l’intérieur d’une université ou d’un département donné sont décidées selon des modalités moins « absolutistes » et donc moins suspectes de népotisme.

Fonder la modulation des services sur un pivot de 140 ou 150 heures d’enseignement (assorti d’un plafond fixé à 200 heures et d’un plancher à 80 ou 100 heures) et la soumettre à des instances plus collectives que le seul président eût sans doute constitué une solution à la fois plus raisonnable et plus efficace. Quoi qu’il en soit, c’est à l’aune de cette réforme-là qu’il faut mesurer la volonté d’améliorer l’encadrement des étudiants. la « revalorisation » de la carrière des enseignants-chercheurs et le degré d’indépendance intellectuelle et morale qui leur est laissé envers des présidents d’université tout-puissants.

Marie-Pierre Gaviano Maître de Conférences en littérature française (Université de Franche-Comté)

[1] Bien des enseignants-chercheurs ont l’impression que ces activités d’enseignement (surtout associées au charges administratives non décomptées) pèsent bien plus qu’une moitié et mordent largement sur la moitié « recherche ».

[2] Cf. la formulation du décret : « Le président ou le directeur de l’établissement arrête les décisions individuelles d’attribution de services des enseignants-chercheurs dans l’intérêt du service, après consultation, du directeur de la composante et du directeur de l’unité de recherche concernés. » Toutes les citations renvoient à l’article 4 du décret.

[3] Un plafond de 384 heures d’enseignement par an est implicitement contenu dans la définition des 192 heures de cours comme moitié du temps de travail. Par ailleurs, le décret stipule que « - I La modulation de services entre les différentes activités des enseignants-chercheurs s’envisage sur la totalité du temps de travail de référence dans la fonction publique. » Celui-ci est de 1607h/année (heures supplémentaires non comprises).

[4] AERES : Agence pour l’Evaluation de Recherche et de l’Enseignement supérieur. Ces critères sont les suivants : « Un chercheur ou un enseignant-chercheur est considéré comme publiant si sa production scientifique de rang A est au moins égale en quatre ans à celle apparaissant dans le tableau suivant : Secteur Chercheur Enseignant-Chercheur Mathématiques 2 2 Physique, Chimie, Sciences de la Terre et de l’Univers 4 2 Sciences pour l’Ingénieur, Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication 3 2 Sciences du Vivant 4 2 Sciences de l’Homme et de la Société 4 2 Remarque : Un enseignant-chercheur est considéré ici sous cette appellation s’il satisfait à ses obligations statutaires d’enseignement. La même remarque s’applique à tous les personnels ayant des obligations statutaires de service (exemple les tâches d’observation du corps des astronomes et physiciens). Est considéré comme une production scientifique de rang A : — une publication dans une revue internationale avec comité de lecture (ou une revue considérée comme de très bon niveau par la communauté dans certaines disciplines), — un chapitre d’ouvrage ou un ouvrage de recherche reconnu internationalement (ou de portée nationale en SHS), — pour le secteur STIC ou SHS, un article long dans un congrès international à comité de sélection considéré comme sélectif par la communauté, — pour le secteur SHS, la constitution de bases de données accessibles ou de corpus de référence, les éditions critiques — un brevet déposé à l’international. Il est clair que la participation à des colloques est un indice de l’activité scientifique mais la très grande variabilité qualitative de l’évaluation des actes des colloques ne permet pas de les retenir comme élément pertinent d’appréciation. »

[5] Par ailleurs, le dossier d’évaluation, qui semble établi par l’enseignant-chercheur lui-même, est transmis par l’université au CNU sans que soit précisé si l’université peut l’amender ou y ajouter des éléments susceptibles d’influer sur l’avis du CNU : Article 7-1 – Les enseignants-chercheurs établissent, au moins tous les quatre ans, un rapport d’activité remis au président ou directeur de l’établissement qui en assure la transmission au Conseil national des universités ou au conseil national des universités pour les disciplines médicales, odontologiques et pharmaceutiques.