L’Association "Sauvons la Recherche" Groupes de travail Comités loc. et transv. Université de printemps 2011 EUROPE
Accès thématique Emploi et précarité Communiqués de SLR Actualités communiqués partenaires
Médiathèque Les archives Documentation revue de presse Tribunes et Contributions
accueil contact plan du site admin
caractères +caractères -
article
réactions (6)
Accueil / Tribunes et Contributions / « Le Téléthon donne une illusion de guérison »

Interview publié par le journal « La Terre », du 2 au 8 décembre 2008, avec l’autorisation de l’auteure.

« Le Téléthon donne une illusion de guérison »

Par KISTER, le 26 janvier 2009

A la veille de la prochaine édition du Téléthon (les 5 et 6 décembre), Jean Kister, ingénieur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), secrétaire général adjoint du syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique CGT, évoque les limites de cette institution.

La Terre : Que regroupe le syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS) CGT ?

Jean Kister : L’ensemble des personnels - aussi bien des chercheurs que des ingénieurs, des techniciens, des personnels administratifs – qui travaillent dans les organismes publics de recherche : le CNRS, l’Inserm, L’Inria, l’Ird, à l’exception de l’Inra, pour des raisons historiques.

Votre syndicat avance que le financement de la recherche par les associations de malades repose sur un malentendu… Vous remettez en cause une institution intouchable !

Nous ne remettons pas en cause le fait que des associations de parents de malades génétiques se regroupent, essayent d’améliorer les choses, tentent de faire avancer la recherche. Donner de l’argent à la recherche, cela peut être considéré comme un geste de solidarité. On fait appel à des sentiments généreux, mais on donne une illusion de guérison. Les parents dont les enfants sont malades espèrent des résultats rapides. Tout le malentendu repose sur cette croyance qu’il est possible de faire aboutir la recherche dans de courts délais. Certes, certaines avancées seront réalisées. Il n’est pas inutile de mobiliser les efforts sur les prises en charge, les soins, mais nous nous éloignons alors du sujet. Car la recherche ne fonctionne pas ainsi.

Comment fonctionne-telle ?

Le but premier de la recherche en biologie n’est pas de soigner mais de comprendre les mécanismes du vivant. Les grandes avancées majeures de ces dernières années ont été réalisées autour des techniques de diagnostic comme la résonnance magnétique nucléaire, l’IRM… Toutes ces méthodes qui permettent de déterminer plus tôt les cancers ou d’autres maladies ne sont pas venues parce qu’on a voulu le faire à un moment donné avec des programmes ciblés. Prenez Marie Curie : elle n’a pas découvert le radium pour créer l’imagerie en rayon X… Dernièrement, Arte diffusait un documentaire sur les molécules chimiques qui perturbent le système hormonal masculin. Aujourd’hui, le taux de fertilité a diminué. Eh bien les premiers qui ont mis en évidence le problème ont été des zoologistes qui mesuraient le pénis des crocodiles… Il a fallu trente ans de recherche pour faire le lien avec les hormones. On part des crocodiles pour trouver des phtalates dans les biberons… La recherche, c’est ça !

Quel bilan tirer de plus de vingt ans d’existence du Téléthon ?

Pendant les 15 premières années, le mythe du tout génétique prônait. Les premiers Téléthons ont participé à la cartographie du génome humain. Dès cet instant, il y avait l’illusion que très vite, des gènes médicaments allaient être créés. L’introduction dans la cellule d’un gène normal devait compenser le défaut génétique responsable de la maladie. Le mythe de l’ADN-médicament rendait superflue l’étude des mécanismes de régulation de la cellule. Or, la thérapie génique s’est avérée beaucoup plus complexe. Quelques essais ont donné des résultats, mais provisoires. Certains bébés-bulle traités à l’hôpital Necker (on remplace le gène défectueux de l’enfant placé dans une bulle stérile par un autre, sain) ont par la suite développé d’autres maladies. Pour que la thérapie génique ait un avenir, elle doit éliminer ce risque. Ce qui nécessite des recherches sur les vecteurs et les modèles animaux qui n’ont de sens que si elles reposent – là encore – sur une recherche fondamentale non finalisée. Aujourd’hui, le Téléthon commence à revenir sur le tout-génétique et ses limites.

N’est-ce pas aussi une belle opportunité pour l’Etat de réduire ses financements pour la recherche ?

Si. Depuis environ deux ans, les associations ont pris une grande place en termes de financements. Ce qui permettait à l’Etat de se désengager. Imaginez : 102 millions d’euros donnés lors du Téléthon de 2007. Mais en 2006, 106 millions ont été récoltés. On assiste à un tassement des dons et les associations redoutent leur recul. Cette stagnation traduit une lassitude à l’égard d’une émission qui déborde de promesses tardant à se concrétiser. D’autant que la générosité des gens, en ces temps de crise économique, a ses limites : celle de leur pouvoir d’achat.

Vous dénoncez aujourd’hui un système de plus en plus piloté par le gouvernement, via la bourse de l’Agence nationale de la recherche…

La recherche ne peut ni être pilotée par des associations caritatives – même pour une bonne cause -, ni par des intérêts politiques ou économiques. Aujourd’hui, l’Etat met en place un pilotage de la recherche par des programmes via l’Agence nationale de la recherche. Toutes les sciences de la vie, de la santé, seraient regroupées en un seul institut. Le leitmotiv du gouvernement : la recherche doit être utile. Je crains que dans sa vision de l’utilitaire, il ne se soucie pas forcément des associations de malades. La France doit être plus compétitive dans le domaine de la recherche, dit-il. Il s’agit donc d’aider les entreprises du médicament qui par ailleurs se désengagent de leurs propres centres de recherche. Aventis a fermé son centre de recherche à Romainville (Seine-Saint-Denis), Merck ferme celui de Chilly- Mazarin (Essonne). Donc il y a bien cette volonté de mettre la recherche publique au service des entreprises pharmaceutiques plutôt que des malades. Le gouvernement explique que la France ne produit pas suffisamment de brevets. Il pousse à ce que demain, des recherches utiles soient réalisées dans ce domaine. Mais pour qui ? Les industriels ? Les patients ?

Quels en seront les conséquences ?

Jusqu’ici, la recherche fonctionnait sur des organismes dont les personnels – chercheurs et ingénieurs – bénéficiaient d’un statut à temps plein qui leur donnait du temps nécessaire à leur recherche. Ils n’étaient pas obligés d’avoir des contrats, un emploi qui dépend du contrat. Ce système est remis en cause par un système de financement par projets de trois ou quatre ans, avec une vision très appliquée. Si votre financement dépend soit d’une priorité donnée par le gouvernement, soit d’une industrie, vous n’avez plus l’indépendance indispensable à la recherche. Avant 1983, Luc Montagnier travaillait à Pasteur sur le virus HTLV. Cela n’intéressait personne… avant l’apparition du sida. Aujourd’hui, le professeur n’aurait jamais obtenu de contrat !

Propos recueillis par Nadège Dubessay