Les raisons de la colère des étudiants, des enseignants-chercheurs, des chercheurs
Le collectif guyanais pour la défense de l’enseignement supérieur et de la recherche fait connaître ses positions
Par
, le 20 février 20091. Les réformes en cours
Le gouvernement veut donner l’autonomie aux universités, mais
il ne leur donne pas de moyens. Il prétend qu’il donne des centaines
de millions d’euros, mais il ne s’agit que d’investissements
immobiliers sur quelques sites particuliers, et de crédits d’impôts
pour les entreprises qui déclarent investir dans la recherche. En
attendant, la majorité des universités ont la tête sous l’eau, et
commencent à envisager d’augmenter les frais d’inscription pour
survivre.
Jusqu’ici tous les enseignants-chercheurs (à l’université) font
le même nombre d’heures de cours par semaine. Le gouvernement veut
permettre aux chefs d’établissement de donner plus d’heures à
certains, et moins à d’autres. Mais il ne donne aucun moyen pour
cela : au contraire, il supprime des postes (1050 postes en
moins en 2009) ! Cela veut dire que la plupart des
enseignants-chercheurs feront plus d’heures. Pourquoi est-ce
grave ? Parce que ce qui fait l’intérêt de l’université, c’est
que ceux qui y enseignent sont supposés être des spécialistes :
ils ne passent pas tout leur temps à enseigner, mais la moitié de leur
temps à faire de la recherche scientifique sur un sujet pointu. Si on
leur enlève cette possibilité, on crée une université de seconde
zone. Cette réforme menace en premier lieu les petites
universités, les universités pauvres, les universités qui ne sont pas
entourées de grandes entreprises qui investissent ! Les Antilles et
la Guyane risquent de prendre cette réforme de plein fouet !
Par ailleurs, le gouvernement veut se désengager de la
formation des enseignants des écoles, collèges et lycées. Auparavant,
il investissait une année pour leur formation, avec le système des
IUFM. Désormais, il veut que les futurs enseignants passent un
concours universitaire (ils ne seront plus payés pour être formés, et
devront se débrouiller tout seuls), puis soient lâchés avec une
formation plus réduite directement dans les classes.
Enfin, le président de la république a déclaré que les
organismes de recherche français avaient une organisation désastreuse
et donnaient de mauvais résultats, et qu’il fallait qu’ils cessent
d’exister dans leur forme actuelle, pour se transformer en « agences
de moyens » (financer des recherches finalisées pilotées par l’état
et les grandes entreprises, en n’employant que des chercheurs
extérieurs ou sur contrats à durée déterminée). En réalité,
le CNRS est le 6e organisme de recherche dans le classement
mondial, alors même que la France n’est qu’à la 18ème position
pour le financement public de la recherche !
2. Les enjeux sous-jacents
Le gouvernement de Sarkozy prétend vouloir réformer un système trop complexe, et faire émerger l’excellence. En réalité, ce sont toutes les réformes récentes qui ont rendu le système complexe. Avec le système du financement par projet, les enseignants-chercheurs et les chercheurs passent plus de temps à rédiger des dossiers pour essayer d’obtenir des financements pour leurs recherches, qu’à faire ces recherches ! Avec les réformes successives, ils passent plus de temps à réfléchir à l’organisation et à la réorganisation des enseignements à l’université, qu’à faire ces enseignements. Alors pourquoi le gouvernement fait-il tout cela, si cela désorganise la recherche et l’université ? Parce que son vrai but est de faire des économies sur un service public qu’il juge en partie improductif (par courte vue), et de contractualiser la recherche et l’enseignement supérieur public, en les soumettant aux priorités que lui imposeront le gouvernement et les entreprises.
3. La manipulation, les tentatives de jeter le discrédit sur les activités
Pour convaincre l’opinion publique qu’ils ont raison, le président Sarkozy et son ministre Darcos n’hésitent pas à avoir recours à des moyens malhonnêtes. Ils accusent la communauté scientifique de refuser d’évoluer, alors même que celle-ci, lors des États-Généraux de la Recherche en 2004, a fait d’elle-même un grand nombre de propositions d’évolution, dont il n’a été tenu aucun compte. Ils présentent les enseignants-chercheurs comme des fainéants qui travaillent très peu et veulent garder ce privilège, alors même qu’avec la démocratisation de l’accès à l’université, ceux-ci doivent faire face à des quantités croissantes d’étudiants sans moyens supplémentaires. Ils présentent les chercheurs comme des têtes de mule qui refusent d’être évalués, alors que ceux-ci sont évalués en permanence dans l’exercice de leur métier. Ils présentent les étudiants inquiets comme des benêts manipulés par leurs enseignants, comme si les étudiants n’étaient pas capables de se rendre compte qu’ils sont les premiers touchés par les réformes qu’on leur prépare ! En bref, ils essayent de diviser l’opinion, en excitant certaines parties de la population contre d’autres, afin que les enseignants, les étudiants et les chercheurs n’osent pas élever la voix contre ce qui est en train de se passer. Ce sont des méthodes indignes.
4. Nous ne nous battons pas pour des privilèges !
Vous n’entendrez pas un seul enseignant, ou chercheur, demander aujourd’hui une revalorisation de son salaire ou de sa retraite ! Et ce, alors même qu’on ne peut pas dire que ceux qui font ce métier le font pour l’argent : en effet, quand on fait un minimum de huit ans d’études, que l’on doit se soumettre à un véritable parcours du combattant, pendant des années, pour avoir une chance sur 10 d’obtenir un poste, parfois très éloigné de chez soi, et pour au final gagner un salaire qui n’a rien de comparable avec les salaires des cadres dans les entreprises privées, c’est qu’on est passionné par son métier. Alors, pourquoi les personnels des universités et des organismes de recherche protestent-ils aujourd’hui ? Parce qu’ils jugent indigne la façon dont on brade l’université et la recherche, en les soumettant à des intérêts de court terme. Parce qu’ils en ont assez d’être insultés alors qu’ils se dévouent à leur métier. Parce qu’ils en ont assez qu’on supprime les postes de ceux qui font fonctionner l’université et la recherche (les personnels techniques et administratifs), en les condamnant à la précarité, et en rejetant sur les enseignants et les chercheurs le surcroît de tâches ainsi créé. Enfin, parce qu’ils jugent absurde qu’à l’orée du XXIe siècle, notre pays fasse des économies de bouts de chandelle (que représentent 1000 postes à l’université par rapport aux milliards des plans de recapitalisation des banques ?) sur la recherche et sur l’université, c’est-à-dire sur le savoir, la connaissance, l’imagination, bref sur l’avenir de la société.
5. La responsabilité de l’état aux Antilles et en Guyane
Ce problème est-il un problème uniquement métropolitain ? Oh que non ! Le système universitaire qu’est en train de mettre en place le gouvernement actuel est extrêmement inégalitaire. Il laisse couler les universités qui ont le plus besoin de moyens, car elles sont souvent moins « flashy » que les universités-modèles dans lesquelles l’état investit des millions d’euros de projets immobiliers. L’Université des Antilles et de la Guyane est victime de cette logique. Cette année, elle perd un poste, alors qu’au contraire il faudrait en créer plusieurs pour résorber son déficit en enseignants (particulièrement en Guyane). Si la répartition des services d’enseignement doit se faire localement, et à moyens constants, ses enseignants-chercheurs auront de moins en moins de temps pour la recherche. Ceci implique une moins bonne réputation, une moins bonne attractivité, et des diplômes moins cotés : une université de second rang serait-elle donc bien suffisante pour la jeunesse de nos trois régions ? Enfin, s’il est idiot de faire des économies sur le développement de nouveaux savoirs et la formation de futures élites en France en général, cela est encore plus vrai aux Antilles et en Guyane. Car quel sera l’avenir de nos sociétés et de nos économies sans élévation du niveau d’éducation, sans création de savoirs, de cultures, et de richesses immatérielles ? L’avenir des Antilles et de la Guyane résiderait-il dans la culture de la canne à sucre, ou le tourisme à bas coût ? Ce n’est pas sérieux ! L’état ne peut pas, ici moins encore qu’ailleurs, se désengager de l’avenir de la jeunesse.
Collectif de Défense de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Guyane
Cayenne, le 16 février 2009