Biologie
Une "Alliance" étriquée et manquant d’ambitions
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, le 22 avril 2009En mettant sur pied une "Alliance" en lieu et place d’une annexion pure et simple des Sciences de la Vie du CNRS par l’INSERM, comme on pouvait le craindre, le Ministère a dû prendre acte des réticences pour ne pas dire résistances d’une grande partie des scientifiques du secteur concerné. Ces résistances étaient le reflet du caractère très diversifié de la biologie d’aujourd’hui, développant de nombreuses interfaces avec d’autres disciplines, abordant l’étude du vivant à tous les niveaux de complexité avec une interpénétration des recherches à ces différents niveaux, ce qui était incompatible avec le caractère réducteur du manifeste lancé par certains responsables scientifiques demandant début 2008, la création d’un "Institut du Vivant" remplaçant les organismes (EPSTs) existants. Toutefois, la mouture actuelle de l’"Alliance" reste marquée par les différentes ambitions qui se sont télescopées et ne paraît pas correspondre à son titre : "Alliance nationale pour les Sciences de la vie et de la santé".
Pourquoi une coordination ?
La nécessité d’une stratégie nationale pour les Sciences de la Vie n’est pas en cause. En effet, les grands équipements mutualisés entre les différents organismes sont nécessaires, à l’image de ce qui est mis en œuvre en physique nucléaire ou dans le domaine spatial. De plus, les coûts de la recherche de base en biologie moléculaire et cellulaire ont explosé ces dix dernières année en terme de fonctionnement, ce qui met les Sciences de la Vie du CNRS, tributaires d’un budget global en stagnation, en situation d’infériorité par rapport à l’INSERM, pour des recherches de même type, sans parler des équipes de biologistes hébergées dans des laboratoires de Chimie. Il faut donc qu’une réflexion globale puisse avoir lieu pour que les frontières d’organismes et de disciplines ne conduisent pas à une fragmentation des efforts et à l’incohérence.
Pourquoi un organigramme aussi restrictif ?
Malheureusement, la convention de création place l’ensemble de la biologie sous la tutelle administrative d’un seul organisme : l’INSERM. On aurait pu s’attendre à ce qu’un objectif aussi ambitieux débouche sur une coordination inter-ministérielle. En fait, la liste des "instituts thématiques multi-organismes (ITMO)" créés par la Convention correspond peu ou prou à la liste des "instituts thématiques" de l’INSERM, à l’exception des "Bases moléculaires et structurales du vivant" qui ne figurait pas dans la liste des Instituts de l’INSERM. Même si les ITMOs sont placés sous la responsabilité de plusieurs organismes (dont le CNRS), le caractère très limitatif des thématiques fait penser à une restriction de la biologie dont les ouvertures sur les autres disciplines sont essentielles, à la liste des priorités thématiques de l’INSERM. Il n’est plus question de "Biodiversité", d’"Evolution", pas plus que d’agronomie (l’INRA est marginal dans le dispositif) ou de production d’énergie à partir de la biomasse, de production de molécules d’intérêt thérapeutique à partir des végétaux, etc… Enfin, on ne saurait aujourd’hui proposer une stratégie en biologie sans une interface avec les Sciences humaines et sociales. Les progrès de la biologie questionnent l’idée même que l’on se fait de l’homme sur le plan philosophique et ont un impact tellement important sur les pratiques sociales que l’on ne saurait orienter les politiques de santé, les politiques alimentaires, les politiques de défense de l’environnement sans une contribution des ces disciplines. La biologie au CNRS et à l’Université était organisée au départ autour d’objets de complexité croissante allant des biomolécules à la cellule, aux fonctions biologiques, aux organismes et enfin aux espèces naturelles. Aujourd’hui, les questions scientifiques aussi bien que les problèmes de société tendent à impliquer simultanément plusieurs niveaux de complexité. Il en résulte qu’une vision par trop réductionniste de la biologie, bien qu’ayant permis des avancées spectaculaires pendant les dernières décennies, risque aujourd’hui de figer son évolution autour des intérêts scientifiques de ceux qui sont aux commandes grâce aux succès d’hier, au détriment de ce qu’il faut dynamiser aujourd’hui. Le Conseil scientifique du CNRS, à travers les divers documents qu’il a élaboré entre 2000 et 2005 avait montré un esprit d’ouverture qui manque singulièrement aujourd’hui au vu du schéma actuel de l’Alliance nationale pour les Sciences de la Vie et de la Santé. L’ouverture pluridisciplinaire est absente de ce schéma, ce qui fait craindre le pire pour les interfaces.
L’impasse sur l’emploi scientifique en Biologie
En dernier lieu, il faut se poser le problème de la précarité des personnels sur CDD qui se multiplient avec l’ANR, et celui de la difficulté des docteurs en biologie à trouver un emploi utilisant pleinement leurs compétences. Il y a une crise de l’emploi scientifique particulière à la biologie. Cela n’est pas nouveau mais ne cesse de s’aggraver. Les secteurs d’application de la biologie concernent les professionnels de la santé (mis à part l’agronomie qui est un secteur que je connais mal). Il en résulte que les jeunes biologistes ne trouvent pas d’emploi dans un secteur industriel comme c’est le cas en chimie ou en physique. C’est là un frein considérable au développement de la recherche en biologie (fondamentale et même appliquée). L’ouverture vers les biotechnologies pourrait constituer une voie pour développer l’emploi scientifique des jeunes biologistes. On ne voit pas comment l’approche traditionnelle focalisée sur l’INSERM représentée par l’"Alliance" permettrait de débloquer cette situation.
Toutes les réformes du système de recherche, entreprises sous Chirac et sous Sarkozy, ont un dénominateur commun : la défiance vis-à-vis des scientifiques et la relégation du débat scientifique en arrière plan par rapport aux préoccupations technocratiques. Une coordination nationale des Sciences du vivant et de la santé se devrait de favoriser l’expression de tous les acteurs de la recherche. Le rapport de conjoncture du CNRS, qui rassemble l’expérience du Comité national et des différents conseils, bien qu’imparfait et pas toujours de lecture facile a au moins le mérite d’exister. Favoriser un effort équivalent au niveau de toute la communauté biologique, indépendamment de toute appartenance administrative devrait être un préalable à une réforme de grande ampleur. Le CNRS a l’expérience du dialogue entre disciplines. Il n’a malheureusement pas celle de la réactivité. Il ne faut pas perdre les acquis de son expérience lorsqu’on tente de dépasser les limites de son organisation.