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Discours de François Fillon du 28 mai 2009

le 29 mai 2009

voici le discours de notre premier ministre François Fillon pronnoncé le 28 mai. On pouvait espérer y trouver un signe d’apaisement sur les organismes de recherche : il n’en est rien. En revanche, comme vous le verez, il a bien écouté tout ce qu’on a dit. Il nous répond même directement ! Reste toutefois qu’il n’apporte AUCUNE réponse à nos revendications.

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Discours de François FILLON, Premier ministre

Clôture du cycle national 2008-2009 de

l’Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie (IHEST)

Paris - Jeudi 28 mai 2009 -

Madame la Ministre, Monsieur le Président, Madame la Directrice, Mesdames et Messieurs,

D’abord, je voudrais vous dire combien je suis heureux d’avoir cette occasion de m’exprimer devant vous, dans un endroit qui me rappelle beaucoup de souvenirs puisque j’ai eu l’occasion d’y exercer des fonctions il y a quinze ans. Et j’évoquais à l’instant, avec Valérie, la surprise qui est toujours la mienne. Lorsque je vois des photos de cette époque, je me dis que franchement, j’étais un peu jeune pour avoir ces fonctions et je ne suis pas sûr que, l’image en tout cas, était extrêmement sécurisante.

Je voudrais vous demander de me pardonner d’avoir un peu bousculé votre programme, mais c’est simplement la preuve que je voulais venir m’exprimer devant vous ce matin. Et en le faisant, j’ai le sentiment de répondre à une conviction que, je crois, nous avons en partage : toute civilisation porte en elle le pouvoir de s’anéantir et celui, en même temps, de se sublimer.

Et la nôtre n’échappe pas à cette tension contradictoire qui n’est pas dissociable de la place que nous réservons à la recherche et à la force de l’esprit. Nucléaire, génétique, numérisation des données… Chaque innovation apporte et ajoute aux perspectives du progrès un risque nouveau.

Parce que nos sociétés ont lié leur sort aux avancées de la connaissance, elles réclament de nous une vigilance toujours plus grande. Dans le monde actuel, il n’y a plus de recherche sans responsabilité collective.

Fonder notre discernement sur la compétence des seuls experts, réduire le périmètre de nos débats à leur seule confrontation, c’est en réalité prendre le risque d’un biais que ni les responsables politiques, ni les citoyens, ni les scientifiques eux mêmes, ne sont prêts à accepter.

Voilà pourquoi les auditeurs de l’IHEST, forts de la diversité de leurs engagements, remplissent au contact des chercheurs ce que je qualifierai de "fonction civique".

Pendant un an, vous avez enrichi de votre expérience l’IHEST et son réseau et vous allez à présent diffuser sa culture, sa maturité scientifique autour de vous. Je vois ici une ambition essentielle pour notre pays, qui consiste à dépasser une vision utilitaire de la science, pour entrer dans un rapport mieux articulé entre son évolution et la complexité des attentes publiques. Devant la science, nos concitoyens ressentent l’espoir mais aussi la peur, du refus, du déni.

Ils connaissent des certitudes, souvent péremptoires, des fascinations qui sont parfois aveugles. Notre intérêt, ce n’est pas de nier ou d’occulter ces réactions, moins encore de les dresser contre l’élan de la recherche. Notre intérêt, c’est de faire en sorte que ces envies, ces attentes, ces inquiétudes inspirent le désir de savoir et le guident ! Nous voulons que la confrontation des idées relève, non pas du calcul, mais de la passion de connaître.

Aujourd’hui, la légitimité du débat scientifique dépasse sa légitimité intellectuelle, pour englober une légitimité sociale, culturelle, pratique. Traiter du réchauffement climatique, traiter des nano-particules ou de l’intelligence artificielle sans tenir compte des rêves et des angoisses que ces questions soulèvent, c’est creuser entre chercheurs et public le fossé de la défiance. Et c’est aussi priver la recherche de cet enthousiasme populaire dont elle a longtemps profité, et dont elle mérite toujours le soutien.

Nous partageons, Mesdames et Messieurs, une responsabilité commune. Cette responsabilité, c’est celle de nouer un lien durable entre la science et la société, entre recherche et innovation, entre la formation et l’exercice professionnel. C’est celle de fournir aux chercheurs des cadres de rencontre plus nombreux.

Celle de donner un écho plus large aux réflexions menées dans ces enceintes. Celle de lever, en toute circonstance, les contraintes pratiques qui pèsent sur la recherche.

Certains ont accusé les réformes récemment menées dans le domaine universitaire d’utilitarisme.

Je veux vous dire que je récuse absolument ce reproche. Non seulement, je crois profondément que la recherche pour la recherche honore celui qui la pratique et qu’elle le grandit mais je sais aussi qu’à terme, cette recherche sans finalité peut porter en elle les réalisations les plus déterminantes. Accuser le Gouvernement de freiner la recherche pure au profit de la recherche appliquée, c’est injuste. C’est injuste parce que la recherche est dans son ensemble, depuis le début du quinquennat, un des objectifs prioritaires de notre action. Et c’est naïf, parce que cela suppose qu’il y ait une recherche plus noble qu’une autre. L’histoire des sciences le démontre : si fondamentale soit-elle, il n’y a pas de recherche sans portée, il n’y a pas de recherche sans usage ou sans profit. Et tout justifie que l’on défende conjointement les intérêts pratiques d’une recherche finalisée et les intérêts spéculatifs d’une recherche théorique. C’est la raison pour laquelle je veux m’adresser aujourd’hui sans distinction à tous les chercheurs et à tous les enseignants chercheurs. Notre action en faveur de l’autonomie des universités et nos efforts pour simplifier le fonctionnement des opérateurs de recherche ont un seul objectif, que nous partageons avec vous : c’est la mise à jour de nouveaux savoirs. Il y a bientôt deux ans, en visite à l’Institut d’Astrophysique Spatiale de l’Université d’Orsay, je plaidais pour un savoir libre, confronté, échangé, ouvert à tous. Ce savoir, Mesdames et Messieurs, est la clé de notre développement économique et social. Il est la clé de notre combat contre l’obscurantisme et, à ce double titre, on peut dire qu’il est la clé de notre pacte républicain.

Ancien ministre de la Recherche, ancien ministre de l’Education nationale, Premier ministre aujourd’hui, je fais du savoir scientifique le catalyseur de plusieurs solidarités essentielles que l’action politique met en œuvre.
- La solidarité entre la formation et la recherche.
- La solidarité entre l’université et l’entreprise.
- La solidarité entre la vitalité intellectuelle et la croissance économique.

Encore ces solidarités n’ont-elles de sens que si notre ambition d’ouvrir les études supérieures à 50% d’une classe d’âge aboutit. Et vous savez que nous sommes encore loin du compte sur ce point.

Depuis des décennies, notre dispositif de formation assure avec succès, au sein d’institutions sélectives, la reproduction d’une part de nos élites. Mais il gère aussi avec plus de peine, au sein d’ensembles universitaires trop isolés des circuits économiques et scientifiques, les attentes informulées de notre jeunesse. De toute urgence, il fallait rompre avec cette situation, et donner à nos universités, à toutes nos universités, une vraie capacité d’action. Il fallait que nos universités soient dignes de ceux qui y enseignent et de ceux qui les fréquentent.

Il fallait qu’elles soient dignes de leur passé, dignes des enjeux nationaux qui s’y décident. Il fallait qu’elles répondent aux attentes de notre société par un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche rénové. Nous avons donc donné aux universités, et par conséquent aux universitaires, la capacité de s’administrer eux-mêmes.

Nous avons reconnu l’égale dignité des missions d’enseignement, de recherche, d’administration et de valorisation. Nous avons marqué l’égale importance entre ceux qui les remplissent. A travers tous nos engagements, réglementaires et budgétaires, nous avons, avec Valérie PECRESSE, prouvé la même volonté d’installer la recherche française en tête de la rivalité mondiale.

Nous revendiquons cette action, nous la poursuivons, et si certains - de bonne ou de mauvaise foi - ont pu mettre ses intentions en doute, elle n’en continuera pas moins d’inscrire l’université et la recherche au premier rang des préoccupations de la République.

Je n’ignore rien des réactions que certaines initiatives ont pu rencontrer. Mais je refuse de croire que notre ambition reste sans écho, au sein même des milieux qu’elle entend promouvoir.

Notre volonté de moderniser et de soutenir la recherche et l’université est réelle, elle est sincère ; je crois qu’elle justifie une relation constructive entre les pouvoirs publics et la communauté scientifique et universitaire. Et d’ailleurs, quelle alternative à la liberté d’innover, dans un service public d’enseignement supérieur et de recherche ? Quelle alternative à la compétence de nos laboratoires dans notre développement économique et social ? Quelle alternative à la promotion de tous, dans des dispositifs publics adaptés aux besoins de notre jeunesse ? Quelle alternative à la présence forte de notre université, dans une Europe où chaque nation s’entend à magnifier l’intelligence, et à encourager l’innovation ? Le statu quo étant le pire des risques, nous ne devons pas craindre de faire évoluer ensemble nos politiques et nos structures. Avec vous, je ne veux pas d’une université qui recule. Je ne veux pas d’une université qui s’enlise.

J’aspire à une communauté universitaire puissante, critique mais tolérante, vigilante mais sereine, et capable en toute circonstance d’accompagner l’effort de l’Etat en faveur du dynamisme national. J’ai parlé à l’instant de ce théâtre de rivalité et d’échange passionnant que l’Europe nous offrait.

En 2004, je notais devant le Collège de France qu’il y avait sans doute des sciences en Europe, mais qu’il n’y avait certainement pas encore de science européenne. Eh bien je pourrais reprendre cette formule aujourd’hui, à la fois comme un constat et comme un défi.

Est-ce que nous avons suffisamment mobilisé les moyens européens de la recherche ? Je pense qu’il faut aujourd’hui concentrer ces moyens sur des secteurs d’excellence : les transports, les télécommunications, le spatial, l’énergie, la santé, les biotechnologies. Il faut favoriser les secteurs porteurs de la croissance de demain : les nouveaux modes de transport, les biens environnementaux, l’énergie, les biotechnologies… Est-ce que nous avons suffisamment agi de concert en faveur de notre rayonnement universitaire ? Je pense que l’Europe doit se donner pour objectif d’être le continent réunissant les plus grandes universités du monde, en multipliant les passerelles entre les scientifiques et les étudiants. Franchement, il n’y a aucune raison pour que l’Europe soit condamnée au second rôle en matière universitaire, en matière de recherche ou en matière de croissance économique, alors même que l’addiction de nos produits nationaux bruts nous place largement devant les Etats-Unis. Le nombre de nos universités, le nombre de nos étudiants, le nombre de nos laboratoires, le nombre de nos entreprises, nous donnent toutes les capacités pour occuper la première place dans le monde en matière de recherche et d’innovation.

L’Europe, Mesdames et Messieurs, ce n’est pas seulement l’instrument de nos régulations monétaires ou commerciales. L’Europe, c’est d’abord 27 nations, dont les recherches sont à la fois solidaires et en même temps rivales. Solidaires, parce qu’elles entendent les préoccupations d’une même société, qui de Lisbonne à Helsinki, formule les mêmes attentes : plus d’énergies propres, plus de sécurité alimentaire, des communications plus rapides, des transports plus économiques, une meilleure santé, un meilleur respect de l’environnement !

Solidaires donc, mais rivales aussi, parce que toutes les recherches s’inscrivent dans un monde où la compétition est la règle, où les pays émergents nous talonnent, où les universités américaines et asiatiques nous défient.

Nous ne devons pas nous y tromper : à cet instant, d’autres pays, proches ou beaucoup lointains, saisissent les places dont nos hésitations nous éloignent. Réagir est urgent, à l’échelon national comme à l’échelon européen. A l’échelon national, je crois que nous avons déjà beaucoup fait, avec Valérie, pour engager une rénovation massive des équipements, des locaux et des logements universitaires, que nous allons naturellement poursuivre et amplifier ; pour dynamiser notre politique d’accueil et d’échanges ; pour consolider sur notre territoire des pôles universitaires de niveau mondial ; pour associer à leur politique d’excellence nos principales institutions, nos grands organismes

de recherche, mais aussi nos entreprises qui doivent devenir, sans confusion, sans intrusion, les partenaires de l’effort public. Non seulement la crise n’a pas entamé cette mobilisation, mais au travers du plan de relance, notre effort de construction s’est trouvé accéléré, ce qui est un privilège tout à fait unique parmi les grandes missions de l’Etat.

A l’échelon européen, les perspectives d’action sont encore plus vastes. Dans l’après-guerre, nous avons montré que nous étions capables de mutualiser le financement de quelques grands équipements scientifiques – le CERN, les grands observatoires européens.

Nous leur avons consacré des fonds importants, mais aussi beaucoup d’énergie, une volonté qui a porté leur réussite bien au-delà de ce que chacun de nos pays, isolément, aurait pu accomplir.

En élaborant des projets de recherche communs, et en les axant pour partie vers la mise en œuvre industrielle, nous avons su répondre à plusieurs des grands défis de notre époque. Pour répondre à ceux d’aujourd’hui, les équipes françaises doivent encore progresser dans l’utilisation du Plan Cadre de Recherche et de Développement. Elles doivent mieux accéder aux crédits incitatifs dont il est doté, donc mieux répondre aux appels d’offre qu’il émet, mieux intégrer la culture de résultat et d’évaluation qui l’inspire. Il faut entendre les encouragements, au fond, imprévus que comporte la crise que nous affrontons. A l’instant où les bouleversements économiques les plus violents nous frappaient, au moment où la tentation du repli et de l’isolement se faisait la plus pressante, nous sommes parvenus – quand je dis "nous", ce sont les Etats européens - à stopper des faillites bancaires en chaîne qui auraient très certainement plongé le monde dans une dépression pire que celle de 1929. Nous sommes parvenus à mettre en œuvre des plans de relance concertés. Nous sommes même parvenus à élaborer la législation la plus ambitieuse au monde en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

A quoi est-ce que nous devons ce succès ? Sans aucun doute, à une mémoire commune ; à une éthique commune ; à des valeurs communes qui nous ont dicté une ligne de conduite partagée. Je crois, Mesdames et Messieurs, que la crise invite les scientifiques français et européens à réactiver leurs affinités profondes. Elle les invite à raviver ces sources communes que sont leur rationalisme, leur ouverture intellectuelle, mais aussi leur humanisme et leur attachement fondamental à l’idée de progrès. Je crois qu’elle les invite à être plus que jamais fidèles à un passé – qui n’est finalement pas si lointain –, où toute recherche impliquait une circulation permanente des idées.

Au XVIIIème siècle, quand Madame du Châtelet veut traduire de l’anglais les textes fondamentaux de Newton, elle se concerte avec Voltaire, qui est philosophe, et avec Buffon, qui est naturaliste. Elle correspond avec Euler, qui est Suisse et elle correspond avec Algarotti, qui est Italien. Que lui offre l’Europe ? Elle lui offre un espace où ni la barrière des langues, ni celle des disciplines, encore moins que les frontières, n’empêchent l’extension de la pensée. Un espace où les mêmes passions et la même ferveur mettent les esprits en mesure de se porter mutuellement appui.

Nous travaillons aujourd’hui dans une Europe qui est sans doute plus ouverte, plus nombreuse et mieux équipée de tous points de vue que celle de Madame du Châtelet. A l’heure où la crise économique nous presse de dire quel futur nous voulons bâtir, et dans quel monde nous voulons vivre, il nous incombe plus que jamais d’animer l’Europe des sciences. Mais une Europe citoyenne, attachée à la cohérence étroite de sa recherche avec les besoins et avec les espoirs de ses peuples. Auditeurs de l’IHEST, vous incarnez à votre manière la responsabilité de la science française devant la société civile. Et je vous invite à poursuivre au-delà de nos frontières ce rôle de témoins et de garants.

Je veux vous dire que plus nous pourrons compter sur votre lucidité et sur votre curiosité, plus nous nous appuierons en confiance sur la science et sur la technologie pour répondre aux défis de l’avenir. Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques réflexions et les quelques convictions que je voulais partager devant vous ce matin en m’excusant encore une fois d’avoir bousculé l’organisation de vos travaux. 7