Que deviendra la recherche dans le Plan Cancer ?
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, le 1er avril 2003Le gouvernement vient de lancer un plan spectaculaire de lutte contre le cancer. Ce plan couvre les domaines suivants : prévention (dont guerre au tabac), dépistage, soins de meilleure qualité, accompagnement social plus humain, formation, recherche. La recherche sera pilotée par un Institut National du Cancer (INCa) en s’appuyant en particulier sur les cancéropôles. Dans ce qui suit, les parties en italiques sont des citations textuelles du Plan Cancer, dont nous avons choisi de souligner certaines.
Le cancéropôle est une organisation opérationnelle des équipes de recherche labellisées présentes sur place, des services de soins orientés vers l’innovation, et des plates formes technologiques mutualisées. Ces cancéropôles imbriquent étroitement les équipes de recherche amont (INSERM, CNRS, CEA, Université) et la recherche au lit du patient dans une optique de transfert, favorisant l’accès des patients aux innovations. Ils sont labellisés par l’Institut National du Cancer, à la suite d’un appel d’offre national et bénéficient prioritairement de financements d’accompagnement distribués par l’Institut National du Cancer. Les cancéropôles visent à réunir les masses critiques nécessaires à la recherche en cancérologie en particulier autour de quatre dimensions principales :
1) la constitution de grandes tumorothèques organisées pour la recherche génomique (...)
2) la mise en place de plate-formes d’analyse génomique et protéomique à haut débit, autour de programmes finalisés de compréhension de la maladie et de recherche de cibles diagnostiques et thérapeutiques
3) la promotion d’essais cliniques de stratégie thérapeutique
4) la promotion d’études en sciences sociales, économiques et humaines.
L’importance de cet Institut dépasse le plan cancer, car le document, signé par les Ministres de la Recherche et de la Santé, indique :
A moyen terme, l’Institut National du Cancer peut préfigurer une évolution de la recherche publique française autour d’agences d’objectifs et de moyens et de grands instituts thématiques.
et plus loin :
L’Institut National du Cancer financera et pilotera des programmes thématiques. Il développera également des partenariats forts et transparents avec l’industrie.
Ce plan se préocuppe donc de l’articulation entre recherche appliquée et recherche clinique d’une part, recherche appliquée et applications industrielles de l’autre. Les grands axes de la partie recherche biologique sont la constitution de grandes tumorothèques et la mise en place de plate-formes d’analyse génomique et protéomique à haut débit. C’est à dire un travail d’ingénieurs très qualifiés, mais pas de chercheurs. Dans ce plan - qui préfigure une évolution de la recherche publique française-, il n’y a pas tout simplement pas de place pour la recherche fondamentale.
Pour prendre un seul exemple, la découverte du dernier médicament anticancéreux aux effets extraordinaires dans certains cancers, le STI-571, a été effectué par une société privée qui s’appuyait sur une masse de données produites par des chercheurs fondamentaux sur le fonctionnement et la structure des tyrosines kinases. Ce type de recherche amont a parfaitement pu s’épanouir dans des structures comme l’INSERM ou le CNRS. Il n’aurait plus sa place dans l’INCa, ni dans un autre institut thématique dont la multiplication ne pourra qu’affaiblir l’INSERM en réduisant les moyens qui lui seront affectés.
Qu’on ne nous dise pas : c’est par rigidité, conservatisme et opposition systématique que les équipes de recherche du CNRS et de l’Inserm voient d’un mauvais oeil ce Plan Cancer. D’abord, nous ne trouvons rien à redire, bien au contraire, aux parties prévention, dépistage, constitution de tumorothèques. Ensuite, c’est dans les Instituts thématiques que risque de se développer de la rigidité : les équipes qui auront réussi à se faire labelliser "INCa" seront relativement protégées de la concurrence, surtout à l’échelle d’un petit pays comme le nôtre. La souplesse est actuellement du côté de l’Inserm, qui permet l’existence de recherches par de petites équipes performantes, sur des thèmes qui n’auront jamais d’institut thématique (par exemple, sur le virus de la rougeole, qui tue des millions d’enfants en Afrique, mais pas du tout chez nous...). Une évolution de la recherche publique autour de grands instituts thématiques - dont l’INCa n’est que la préfiguration - aboutira à tarir les sources qui alimentent la recherche appliquée.
Le plan Cancer a des aspects très positifs, mais la partie de ce plan concernant la recherche risque d’avoir des conséquences catastrophiques pour la recherche publique française, y compris la recherche sur le cancer.