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Le rapport Aghion sera-t-il utilisé ?

Par Colette Anné, le 3 février 2010

La loi LRU avait révélé à l’usage un défaut, elle n’avait pas permis une gouvernance moderne, c’est à dire concentrée sur le président et ses fidèles, en effet les élections des nouveaux CA avaient amené des listes d’oppositions dites corporatistes. Comment sortir de ce mauvais pas ? Changer la loi comme l’ont souhaité certains députés à l’Assemblée Nationale lors du bilan d’application à mi-parcours fait par le député Apparu ferait brouillon, la solution sera donc de créer une superstructure gouvernée adéquatement. Ce pourrait être le rôle des "pôles d’excellence" et M. Aghion a été chargé de réunir une commission qui définisse ce nouveau cadre.

L’excellence universitaire n’est pas définie dans le rapport, elle est de bon sens, c’est ce qu’on trouve à Harvard (où M. Aghion est professeur) mais on apprend comment on la mesure : grâce au classement de Shanghaï ! Les auteurs connaissent les critiques faites à ce classement fondé sur la bibliométrie qui pondère exagérément les deux revues Nature et Science et aussi qui ne connait que les universités et donc ne reconnait pas l’organisation de la recherche française structurée par les EPST. Ils leur ajoutent donc deux autres classements, G-Factor et webometrics [1], Times Higher Education [2]. Celui de l’Institut Scimago n’aurait pas servi leurs fins, qui place le CNRS premier, il ne sera donc pas retenu comme pertinent.

On retrouve les universités de Harvard, Stanford, Princeton, Caltech, Oxford et Zürich dans le haut des classements retenus, Tiens ! toutes les universités prises en exemple sont privées ( à part Zürich, je pense qu’il s’agit ici de l’ETH) ce critère ne sera certes pas retenu pour l’excellence, mais on en conclut tout de même "Le trépied gagnant : l’accroissement des moyens est important mais n’est efficace qu’à condition d’être accompagné par un développement de l’autonomie et le recours aux incitations."

De multiples graphiques illisibles [3] construits à partir des données de l’université de Shanghaï, sont là pour prouver la corrélation de l’autonomie avec la production scientifique.

Et hop ! voilà qu’il faut une université dirigée comme une entreprise (du CAC 40 si possible) une direction resserrée (pas comme nos universités) une gestion du personnel à l’incitation (recherche sur projets, primes, modulation..)

Le périmètre du pôle d’excellence est précisé :

1,7 Milliards$ de budget,

2700 enseignants chercheurs,

17000 étudiants.

La prestigieuse université Paris VI a encore des efforts à faire avec un budget de 600 millions€, ses 3250 enseignants chercheurs (et hospitalo-universitaires) et ses 30000 étudiants .

Nos universités trop peuplées d’étudiants et trop pauvres seront-elles condamnées à devenir des pôles de médiocrité ? Le rapport ne le dit pas mais on voit bien qu’en augmentant les frais d’inscription on gagnerait sur deux critères : augmentation du budget et baisse du nombre d’étudiants (rappelons que le coût d’une année universitaire à Harvard est de l’ordre de 40 000$ et même à l’université publique de Berkeley l’année ’undergraduate’ est de 8720$).

L’exemple français retenu par le rapport est Toulouse Sciences Économiques (TSE=Toulouse School of Economics, les cours y sont donnés en anglais) : son club des partenaires (AXA, Banque de France, BNP-Paribas, CDC, Crédit Agricole SA, EDF, Exane, Famille Meyer, France Télécom, GDF SUEZ, La Poste, Total) est partie prenante du CA, on ne sait pas comment a été choisi le CS (formé d’"économistes reconnus") 150 enseignants chercheurs, une centaine de doctorants et on lit à la page des partenariats "Toulouse Sciences Économiques adopte un mode de gouvernance original, caractérisé par l’importance de la levée de fonds auprès du monde économique, par une vraie gouvernance public-privé, et par le caractère non consomptible des capitaux ainsi levés", les laboratoires d’excellence en archéologie n’ont qu’à faire de même !

On arrive donc plutôt, pour les pôles d’excellence, à des établissements type École, plutôt qu’ Université, suivant un vieux penchant français.

Le rapport passe beaucoup de temps à décrire l’organisation de ces pôles, son conseil d’administration (on ne parle pas encore de jeton de présence) ces conseils, pas trop d’élus surtout mais des experts (comment mesure-t-on leur excellence ? La chose n’est pas précisée), on privilégie les ’comités ad hoc’ construits au besoin, entre copains (tous excellents bien sûr) ce qui est présenté comme une forme originale de démocratie.

Pourtant le graphique de la page 35 sur la composition du CA nous apprend qu’à Oxford et Cambridge il n’y a pas de membres extérieurs mais beaucoup d’enseignants chercheurs (respectivement 16/25 et 15/25) tant pis, ce modèle est désuet, on prendra le MIT.

Et l’on reste pantois lorsqu’on apprend, en conclusion, qu’une initiative d’excellence consiste en

"Une forte appropriation par la communauté scientifique qui participe activement au pilotage et au suivi des initiatives."

Rien ne permet en effet de comprendre comment un tel objectif peut être atteint, tant la démocratie est bafouée, la légitimité dévoyée.

Il n’est pourtant pas sûr que ce rapport soit suivi d’effets car M. Aghion a l’honnêteté d’avouer qu’une augmentation des moyens est nécessaire, une vraie. On préfèrera sans doute le concept de "grand établissement" par regroupement de plusieurs universités (voir l’ exemple lyonnais).

D’autres analyses de ce rapport se trouvent ici.

[1] Webometrics mesure les activités visible sur le web, son but affiché est de promouvoir la web-visibilité : "If the web performance of an institution is below the expected position according to their academic excellence, scientific authorities should reconsider their web policy, promoting substantial increases of the volume and quality of their electronic publications" . Avec ce critère, les laboratoires les plus importants du CNRS sont sans surprise en informatique, on se souvient que pour nos dirigeants la présence de l’informatique au CNRS n’a pas toujours été évidente. Le G-factor est relié au nombre de connexions sur le site d’une université venant des principales universités.

[2] Le classement de Times Higher Education est fourni par ’Thomson Reuters’ d’après leur propre site c’est à dire par pondération non précisée des données bibliométriques fournies par la plate forme web of science, la même que celle utilisée par l’université de Shanghaï, la différence des sources n’est donc qu’apparente !

[3] il s’agit dans ces graphiques de trouver une tendance linéaire à un nuage de points très éparpillés, la corrélation n’est pas calculée mais on teste le choix de la pente, sans donc mettre en cause l’hypothèse de dépendance linéaire dont la non-pertinence saute aux yeux.