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Etudiant Aghion : en seconde session !

Par Dezellus, le 5 février 2010

Je viens de finir la lecture du rapport de Philippe Aghion sur "L’excellence universitaire" et franchement j’en reste bouche bée ! Mr Aghion, un grand économiste comme vous, professeur à Harvard, et tout et tout vous vous moquez du monde ou quoi ? Ce rapport c’est du travail bâclé et je dirais même, excusez moi, mais c’est du franchement pas excellent du tout ! Désolé, mais vous reviendrez en Septembre, pour vous c’est la seconde session obligatoire.

Je m’explique. On sait que votre rapport traite de l’excellence mais de là à utiliser ce mot près de 10 fois dans votre introduction dans un ramassis de lieux communs et de novlangue managériale, vous exagérez un peu ! Ceci dit, votre définition a le mérite de l’originalité. J’ai ainsi appris qu’« Une université d’excellence au sens plein du terme, est composée de facultés disciplinaires structurées en départements et graduate schools, acceptant une gouvernance forte et unifiée au dessus d’eux ». Moi bêtement je pensais qu’une université excellente faisait de l’excellente recherche et de l’excellent enseignement. Quel idiot, une université excellente est bien structurée et composée de gens soumis à l’autorité ! C’est évident, je n’avais jamais remarqué auparavant à quel point les casernes militaires peuvent être des lieux d’excellence scientifique !

Mais venons-en maintenant à votre digression sur la mesure de l’excellence dans laquelle vous avez montré quelques faiblesses coupables. Ainsi Figure 2 où vous nous présentez une corrélation entre un dérivé du classement de Shanghai et la dépense par étudiant qui est très intéressant mais qui revient à corréler un nombre de choux avec l’âge de la crémière ! En effet, l’enseignement n’apparaît dans le classement de Shanghai que par le biais du nombre d’anciens qui sont prix Nobel ou autres médaillés Fields, excusez du peu. Ce n’est pas tant un classement sur l’enseignement que sur la recherche…. Au fait, en passant, la France est 6ième au classement de Shanghai par nation, vous avez oublié de mentionner ce résultat plutôt honorable, surtout si l’on tient compte de sa 18ième place au classement OCDE du financement de la recherche académique.

Vient ensuite toute une série de nuages de points absolument magnifiques sur lesquels vous vous acharnez afin d’en faire ressortir des corrélations pour le moins farfelues ! Ainsi de la figure ci-dessous qui vous amène à conclure que la production scientifique augmente avec l’autonomie… Mr Aghion, ce n’est pas sérieux, vous n’avez même pas osé mettre un coefficient de corrélation….sauf si c’est la valeur 0,027 en dessous de la figure ?? Vous repasserez donc en seconde session pour les cours de statistiques, d’analyse ….Au fait vous avez eu votre Certificat de Compétences Informatiques ? Vu l’usage que vous faites du tableur, j’en doute. Mais plus sérieusement, sur le fond, pourriez vous nous éclairer sur les mécanismes qui font que l’autonomie augmente la productivité ? J’ai une réponse possible mais elle ne va pas vous plaire : l’autonomie augmente le localisme et l’autoritarisme qui impose le publish or perish pour monter dans le classement de Shanghai. Je ne pense pas que cela soit souhaitable ni que quantité soit synonyme de qualité.

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Autre morceau de choix, sur un nouveau graphe censé nous démontrer irréfutablement que l’enseignant-chercheur fonctionnaire est une feignasse à qui il faut botter le train pour lui faire cracher des publications… Bon j’exagère un peu, mais j’ai le droit moi aussi non ? En effet, votre nuage de points et sa corrélation pour le moins fantaisiste entre production et part du salaire versée par l’Etat. Encore une fois, quels mécanismes se cacheraient derrière pareille corrélation ? Ah mais bien sûr, le localisme, l’autoritarisme qui permettra de conditionner le versement d’une prime conséquente voire même d’une portion de salaire, au fait d’avoir bien publié ! (Sous entendu beaucoup bien sûr et avec le bon entête d’université...)

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De même il aurait été intéressant d’expliquer comment la productivité pouvait être inversement proportionnelle au financement etatique et au contraire positivement corrélée au financement privé. Au fait, vous auriez pû penser à faire un classement normalisé en ramenant la productivité à la masse budgétaire. Etant donné la position de la France dans le classement Webometrics ou du CNRS par l’institut Scimago, la mise en regard avec notre 18ième place au classement OCDE du financement de la recherche académique pourrait être intéressante et également riche en enseignements !

Au fait, avez vous écouté le discours inaugural de votre nouvelle présidente à Harvard ? Vous devriez, il est intéressant, on y apprend par exemple que l’enseignement et la connaissance sont valorisés en partie "parce qu’ils définissent ce qui, à travers les siècles, a fait de nous des humains et pas parce qu’ils peuvent améliorer notre compétitivité mondiale". Eh oui, productivité et employabilité ne sont pas toujours l’horizon indépassable et l’on peut produire des connaissances hors tout contexte applicatif et former des esprits hors tout marché de l’emploi, c’est ce qui fait la grandeur de l’Homme.

En conclusion de cette partie, vous avancez des faits bien souvent discutables, que vous interprétez de manière tout aussi discutable pour établir des conclusions qui ne semblent pas assez solidement justifiées et c’est la raison pour laquelle votre publication ne pourrait pas être acceptée par une revue sérieuse… Heureusement que Mme Pécresse est pas trop regardante (ça doit être dû au fait qu’elle n’a pas vraiment d’expérience en recherche).

Passons maintenant à votre développement sur la gouvernance. J’aimerais tout d’abord m’arrêter sur votre emploi du terme de légitimité que vous utilisez de manière indifférenciée pour décrire la légitimité exécutive et la légitimité académique. De quelle légitimité s’agit-il là ? De celle des experts techniques du domaine, ou bien de la légitimité politique du représentant mandaté ? Concernant la légitimité exécutive : « un conseil d’administration composé de personnalités souvent externes à l’université, qui désigne un président doté de pouvoirs étendus, lequel est responsable devant lui », j’avoue ne pas voir la légimité d’un pareil CA ? Il est clair qu’elle n’est pas politique puisque son mode de désignation n’est même pas envisagé. Il n’est pas évident non plus qu’elle puisse être technique étant donné qu’il n’est pas non plus évident que des extérieurs à l’université aient les compétences et la culture pour gérer une université. Encore une fois, vous manquez de précision et votre rapport manque singulièrement d’argumentation.

Dans cette partie on constate également que vous avez dû passablement sécher vos cours de sociologie ou d’histoire. Un système universitaire est consubstantiel de l’histoire de son pays, de son Histoire (avec le grand H) mais aussi de son histoire économique, politique, religieuse, culturelle en général. En voulant importer des éléments qui, soit disant, marchent chez eux pour les mettre chez nous, vous agissez comme un enfant qui souhaiterait combiner les pièces de son puzzle pirate avec celle de son puzzle sur les chevaliers ! En théorie c’est bien joli, mais on ne fait pas entrer des pièces d’une culture dans une autre aussi aisément !

Il est vrai que ce n’est qu’un rapport d’étape, aussi on peut s’attendre à ce que vous teniez compte des diverses critiques formulées à son égard (voir , ici ou encore ) et que la version finale soit améliorée. Tiens, une suggestion, comme le titre est "L’excellence universitaire : leçons des expériences internationales" je vous suggère de ne pas oublier dans ces leçons celles que l’on peut tirer de la récente crise financière qui a valu des pertes records à votre université (11 milliards, aie...), au MIT (2 milliards, ouille ouille ouille) ou à Stanford (4 à 5 milliards, pffff) ; conduisant certaines universités, notamment en Californie à envisager des hausses de leurs frais d’inscription de plus de 30% ! Il serait intéressant d’éviter d’importer chez nous de tels excellents fonctionnements...

Finalement, pour conclure, je vous conseillerais de nuancer vos propos, d’affiner et muscler vos argumentations et de diversifier vos sources en vous assurant d’une bibliographie exhaustive. Avez vous passé un petit moment à surfer sur le site de Sauvons La Recherche par exemple ? Je vous conseille les articles d’Henri Audier, ils sont excellents !