Monsieur Viehbacher , Monsieur Syrota, que pensez-vous du projet Néreis ?
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, , le 19 février 2010
Sanofi-Aventis vient d’annoncer la signature d’un partenariat de Recherche avec AVIESAN, l’Alliance Nationale pour les Sciences de la Vie et de la Santé [1] (voir le site MyPharma). Sanofi-Aventis s’est engagé à y consacrer un budget "qui pourra atteindre 50 millions d’euros sur 5 ans".
Il faut comparer cette somme avec l’économie que Sanofi va réaliser en supprimant 3000 postes dont 1300 en recherche et développement (soit 20% des ressources internes du groupe en recherches). Une estimation minimale du salaire moyen, augmenté des cotisations patronales et des frais de fonctionnement associés à leur activité est de 100 K€ par personne et par an, ce qui correspond à 1500 millions d’euros sur 5 ans, sans compter les économies réalisées par l’arrêt de nombreux projets en développement. En retirant le coût de ses restructurations d’environ 500 millions € pour la France sur 5 ans, c’est au moins un milliard d’euros que le groupe aura économisé en réduisant son activité de recherche.
Comme l’Etat s’est engagé, au titre du crédit d’impôt recherche, à rembourser 60% des investissements dans le cadre de partenariats public-privé, l’investissement propre promis par Sanofi-Aventis ne sera plus de 50, mais de 20 millions. Nous devrions donc saluer cet investissement de Sanofi dans un partenariat public-privé, preuve de "son engagement pour le développement de la Recherche et de l’Innovation sur le territoire français" comme vient de le déclarer Christopher Viehbacher, Directeur Général de Sanofi-Aventis ? Nous devrions applaudir le fait qu’un groupe qui vient de faire 8,5 milliards € de profit va économiser 1 milliard sur son activité de recherche, et ré-investir 20 millions, soit 2% de ce milliard ?
Au passage, Sanofi-Aventis et ses actionnaires pourront ainsi contribuer à définir les axes de recherche pour lesquels le gouvernement annoncera un soutien particulier, "tels que le vieillissement, l’immuno-inflammation, les maladies infectieuses et la médecine régénérative", tous domaines qui intéressent Sanofi-Aventis.
Le texte de l’accord indique : "Afin de permettre l’émergence de la créativité, des équipes, des laboratoires, des plateformes technologiques, voire des centres de recherche communs à Sanofi-Aventis et aux membres d’AVIESAN pourront être envisagés". Cette phrase nous donne l’occasion d’interpeller les responsables de Sanofi et de l’Aviesan/Inserm. Monsieur Viehbacher, Monsieur Syrota, vous savez qu’à l’occasion de la fermeture du centre de recherche d’Aventis à Romainville, des salariés de ce centre ont élaboré en 2003 un projet innovant, très structuré, de Centre de recherche commun à Aventis, au CNRS, à l’INSERM, et à l’Institut Pasteur. C’est le projet Nereis, qui a été reconnu comme potentiellement très utile et scientifiquement viable, mais qui a été écarté par les parties concernées. La finalité de ce projet est toujours d’actualité. Que pensez-vous, Messieurs, de ce projet, et des raisons pour lesquelles il a été rejeté par les pouvoirs publics et par Aventis en 2003-2004 ? Est-il question de revenir sur ces raisons, et ce choix ?
En attendant la réponse de messieurs Viehbacher et Syrota, nous soulignons que pour qu’un tel partenariat ait un sens, pour qu’il soit réfléchi et établi pour l’intérêt de la nation –puisque telle est une des intentions affichées-, il faut que quatre conditions au moins soient remplies.
La constitution de Centres de recherche communs public-privé et leur fonctionnement ne sauraient être décidés par quelques dirigeants. Elle doit passer par la consultation des praticiens de la recherche publique et de la recherche privée, c’est-à-dire ceux qui ont une connaissance approfondie de ce qui est possible et efficace ou qui ne l’est pas, en matière de recherche.
Les sujets de recherche doivent être décidés au regard des besoins de santé publique en lien avec les professionnels, sans interférence des actionnaires
Les sommes qui doivent y être consacrées, pour être utiles, ne sauraient se limiter à quelques dizaines de millions d’euros. Si Sanofi Aventis veut y contribuer, il faudra que les dirigeants s’engagent sur des moyens sérieux, qu’ils mettent sur la table une somme sans doute comparable à celle qu’ils s’apprêtent à économiser par des licenciements.
Il ne s’agira pas seulement de bâtir de nouveaux centres, de monter des murs. Ce sont des êtres humains qui font la recherche. Il va falloir embaucher, non pas des chercheurs - Kleenex, flexibles et sous-payés, mais des ingénieurs, des techniciens et des chercheurs avec des contrats de travail dignes, ambitieux, excellents, pour reprendre la terminologie des signataires de l’accord.
Thierry Bodin (CGT, Sanofi-Aventis) et Alain Trautmann (Sauvons la Recherche)
[1] L’Aviesan est constituée par l’INSERM, le CNRS, le CEA, l’INRA, l’INRIA, l’Institut Pasteur, l’IRD, la Conférence des Présidents d’Université et la Conférence des Directeurs Généraux de Centres Hospitaliers Régionaux et Universitaires. Elle est présidée par André Syrota qui est également le PDG de l’INSERM.